Cybersécurité et cloud : la France trop dépendante de ses "alliés"
L'actualité et la dépendance croissante aux fournisseurs de cloud non européens posent une question essentielle : nos infrastructures numériques sont-elles assez résilientes pour faire face ?
Trop longtemps perçue comme l’affaire de quelques experts, la cybersécurité ne peut plus être cloisonnée. La complexité des systèmes dépasse les capacités des seuls spécialistes, et l’approche « Shift Left » s’impose, à savoir l’intégration des questions de sécurité dès la conception des systèmes pour réduire les vulnérabilités en amont.
En particulier, les chaînes de déploiement logiciel (CI/CD), essentielles pour mettre à jour et stabiliser les applications en continu, sont devenues un point de vulnérabilité critique. Si une attaque les paralyse, les entreprises risquent tout simplement de ne plus pouvoir restaurer leurs services en cas d’incident.
Or, beaucoup d’entreprises hébergent leurs CI/CD sur les mêmes infrastructures cloud que leur production, sans réelle redondance. Dans un monde où les interruptions de service ne sont plus seulement dues à des pannes techniques, mais aussi à des décisions géopolitiques, la capacité à redéployer rapidement sur une alternative souveraine devient cruciale.
Un Internet centralisé : quels risques pour la continuité des services ?
Le grand public n’en a pas réellement conscience, mais l’Internet que nous utilisons au quotidien repose aujourd’hui sur un petit nombre d’acteurs majeurs contrôlant des pans entiers de son infrastructure : réseaux, hébergement, indexation des contenus. En Europe, ces infrastructures sont largement dominées par des entreprises américaines.
Si ces acteurs offrent des performances optimales, leur concentration crée une fragilité systémique. Les pannes récurrentes de services cloud critiques, comme celles de Cloudflare en 2022, ont montré qu’un incident isolé pouvait rendre des milliers de services inaccessibles à l’échelle mondiale.
Cette dépendance pose ainsi la question de la souveraineté numérique : en cas de crise ou de rupture géopolitique, serions-nous capables d’assurer la continuité des services essentiels ? Rien n’est moins sûr.
Souveraineté ou décentralisation : quelles stratégies pour l’Europe ?
Face à ces risques systémiques, deux grandes approches émergent. La première, à savoir la souveraineté numérique, vise à garantir que les infrastructures critiques restent sous contrôle national ou régional. Cela passe par le développement de clouds souverains européens et des investissements dans des infrastructures réseau indépendantes.
La deuxième consisterait à plaider pour une décentralisation d’Internet, et donc à limiter la dépendance à quelques grands acteurs grâce à des architectures distribuées. Parmi les solutions explorées : l’hébergement distribué, qui repose sur plusieurs petits centres de données indépendants plutôt qu’un nombre limité de méga-datacenters, les architectures multi-cloud, qui permettent de basculer rapidement d’un fournisseur à un autre. Ou encore les réseaux maillés, capables d’assurer la connectivité même en cas de panne des infrastructures centrales à l’image des réseaux électriques.
L’Union européenne a bien compris l’enjeu, comme le démontrent les textes réglementaires DORA ou encore NIS 2, mais les efforts doivent s’accélérer. Dans un monde où la maîtrise des infrastructures numériques est aussi cruciale que l’indépendance énergétique, il ne s’agit pas de se couper des innovations mondiales, mais d’adopter une approche plus résiliente et plus stratégique.