Dans l'e-RH, le recrutement est plus bot
Pour améliorer leur marque employeur et attirer les millennials, Adecco et Elior ont misé sur des chatbots. Une idée qui devrait faire des émules.
"Casser l'image d'une entreprise cataloguée saucisse-purée et donner aux jeunes l'envie de travailler chez nous". Voilà le défi que doit relever Thierry Roger, directeur de l'emploi et de la promesse employeur chez Elior, spécialiste de la restauration collective. Pour mener à bien sa mission, l'ancien directeur du recrutement de Carrefour a décidé de faire confiance à Tim, un... chatbot.
Depuis avril 2018, Tim est devenu l'atout principal de la nouvelle stratégie RH d'Elior. "Son objectif est de faire venir vers nous une grande diversité de talents : commis de cuisine, plongeurs, chauffeurs livreurs, managers de restaurant, ingénieurs, auditeurs financiers ou encore professionnels du digital, soit des cibles qui nous connaissent souvent de nom mais qui n'osent pas entrer en interaction avec nous", explique Thierry Roger, qui conçoit le bot comme un outil de mise en relation.
Concrètement, sur le site employeur ou sur la page Facebook, le visiteur peut dialoguer avec Tim. Celui-ci est programmé pour répondre à toutes les questions sur le processus de recrutement, la politique de promotion interne, les offres disponibles en fonction de chaque profil… Cerise sur le gâteau, il est relié au jobboard interne d'Elior. Ce qui permet de postuler en ligne en envoyant son CV et sa lettre de motivation via le bot.
Elior n'est pas la seule entreprise à avoir misé sur un robot conversationnel. Depuis juin 2017, Adecco possède lui aussi son propre bot RH nommé Aloha."Sur le site Adecco, nous avons 2 millions de visiteurs uniques chaque mois. Leur but est simple : trouver un emploi en quelques clics et poser des questions sur le marché du travail. Pour les satisfaire, le bot nous est naturellement apparu comme la meilleure solution. A l'inverse d'un community manager il est présent sept jour sur sept et tout le temps. Ce qui permet de garantir l'instantanéité que recherchent les plus jeunes", témoigne Rémi Thorel, social media manager et chef de projet bot chez Adecco.
Aloha est capable de répondre à plus d'une centaine de thématiques, qu'il s'agisse du salaire, du travail étudiant, du droit au chômage… A l'instar de Tim, il est également possible de postuler via le bot.
"60% des internautes qui discutent avec Aloha sur Facebook ont entre 18 et 35 ans"
Utiliser des bots pour mettre en avant sa marque employeur et recruter de nouveaux collaborateurs peut sembler un pari osé. Pourtant, chez Elior comme chez Adecco, le succès semble au rendez-vous. Du côté du poids lourd de l'intérim, Rémi Thorel est pleinement satisfait : "Aloha mène 2 000 conversations par jour et 10 000 candidatures ont été recueillies suite aux interactions. Autre point important, 60% des utilisateurs qui dialoguent avec Aloha sur Facebook ont entre 18 et 35 ans, pile la tranche d'âge que nous visions". Chez Elior, les feux sont également au vert : un peu plus de 1 100 personnes ont discuté avec Tim pour une durée moyenne de 2,73 minutes.
La start-up spécialisée dans les bots RH Kick My Bot travaille actuellement sur une vingtaine de nouveaux robots
Pour le moment peu d'entreprises ont déployé des chatbots pour mettre en avant leur marque employeur, mais les choses pourraient peu à peu changer. Derrière Tim et Aloha se cache Kick My Bot, une start-up spécialisée sur une niche : les bots RH. "Nous nous sommes créés en juillet 2017. Pour le moment nous avons conçu des bots RH pour Carrefour, Joblink, La Poste et Areas", confie Kevin Colleaux, co-fondateur de cette jeune pousse qui compte pour le moment 8 collaborateurs. Un chiffre qui devrait croître rapidement puisque Kick My Bot confie travailler actuellement à la création d'une vingtaine de nouveaux bots RH, notamment pour des grands comptes comme Grandvision ou encore Renault Retail Group. Pour commander un bot RH, il faut compter sur environ six mois de développement. Le tarif prend la forme d'un abonnement annuel compris entre 40 000 et 70 00 euros. Il comprend des frais de machine learning pour améliorer l'outil jour après jour.
Scénarisation et KPI : les clés du succès
Mais attention, pour assurer la réussite de leur bot, les clients ne doivent pas tout déléguer. Ils ont à mettre la main à la pâte par exemple pour interpréter et créer des KPI correspondant à leurs propres besoins. "Pour cela, nous effectuons un gros travail d'analyse sémantique. Un logiciel permet de relire les conversations et d'analyser les termes qui reviennent le plus. Nous prenons aussi en compte la ponctuation ou la présence de smileys. A la fin de chaque interaction, il est également possible de demander à l'utilisateur son niveau de satisfaction sur une échelle de 0 à 5", explique Kevin Colleaux. "C'est ainsi que nous avons pu constater que des améliorations étaient nécessaires concernant la partie évolution de carrière", précise Thierry Roger.
"Le ton et le vocabulaire du bot doivent refléter totalement les valeurs et l'état d'esprit de l'entreprise"
Outre la conception d'indicateurs, il est également indispensable d'effectuer un travail de fond au niveau de la rédaction des phrases prononcées par le bot. Celui-ci est un outil de marque employeur. Le ton et le vocabulaire doivent donc refléter totalement les valeurs et l'état d'esprit de l'entreprise. Chez Elior, la rédaction des phrases prononcées par Tim a été la partie la plus difficile et la plus chronophage de la conception du bot : "Il fallait trouver un ton correspondant à notre philosophie et à notre ADN. En interne, un conseiller éditorial qui connaissait la maison s'est occupé de cette partie", souligne Thierry Roger. Un travail de titan puisque Tim est capable de répondre à 200 questions avec trois formulations différentes pour chaque réponse. "C'est un travail de niche sur lequel commencent à se positionner des freelances spécialisés dans les scénarios de bots", s'amuse Kevin Colleaux. De quoi envisager des séances de chat endiablées.