Tomer Cohen (LinkedIn) "Sur LinkedIn, chaque professionnel finira par avoir sa propre version d'un assistant personnel"

Le directeur produit du réseau social américain est revenu pour le JDN sur sa stratégie de développement, notamment concernant l'intégration de l'IA générative sur la plateforme.

Tomer Cohen est chief product officer de LinkedIn depuis juin 2020. © LinkedIn

JDN. En mars dernier, LinkedIn a annoncé plusieurs nouveautés, basées sur des versions avancées de ChatGPT, notamment des "articles collaboratifs", une aide à la création de profil et une aide à la rédaction d'offres d'emploi. Vos membres en avaient-ils réellement besoin ?

Tomer Cohen. A chaque fois que nous créons, nous le faisons en fonction de notre vision et des problèmes que rencontrent et essaient de résoudre nos membres et nos clients. Nous savons par exemple que les messages que les recruteurs personnalisent sont plus efficaces à 40%, mais cela prend beaucoup de temps. S'il leur fallait auparavant une heure et demie pour faire des recherches et rédiger le message parfait, nous pouvons désormais faire ce travail avec eux, grâce à l'IA, en quelques minutes. Du côté de la recherche d'emploi, c'est aussi très impressionnant. Beaucoup de gens se demandent comment résumer l'ensemble de leur carrière en un paragraphe. L'IA peut les aider. 

LinkedIn insiste régulièrement sur l'importance de l'authenticité pour construire des interactions. L'IA générative na va-t-elle pas changer fondamentalement la façon dont les gens partagent sur LinkedIn et la rendre moins authentique ?

L'avantage, lorsque vous partagez sur LinkedIn, est que ce n'est pas seulement ce que vous dites qui compte, mais aussi votre profil et votre expérience. Ainsi, parce que je peux voir votre expérience et ce sur quoi vous avez travaillé, ce que vous dites aura beaucoup plus de sens si votre profil le corrobore.

Nous testons actuellement la possibilité d'obtenir un soutien de l'IA lorsque vous partagez. Mais il ne s'agit pas de nous dire ce que vous voulez écrire et que nous le créons pour vous. Nous pouvons vous aider à affiner votre idée originale, à la rendre plus professionnelle, mais elle doit venir de vous. Je rencontre beaucoup de scientifiques, par exemple, qui ont des idées extraordinaires. Mais il est très difficile de partager sur LinkedIn un article scientifique que seuls les titulaires d'un doctorat peuvent comprendre. Imaginez que vous utilisiez ChatGPT et que vous lui disiez : "Voici mon idée scientifique, aide-moi à la normaliser pour les gens". C'est une façon assez remarquable de rendre le savoir accessible à tous.

Quelle est la prochaine étape ? L'IA sera-t-elle complètement intégrée à LinkedIn dans quelques mois ou quelques années ?

L'IA est déjà une partie importante de LinkedIn. En fait, il est difficile de trouver des domaines de LinkedIn qui n'y soient pas liés d'une manière ou d'une autre, nous travaillons en étroite collaboration avec l'IA depuis 15 ans. Je pense que nous la verrons bientôt jouer un rôle plus important, allant même au-delà de la mise en relation des publics, des demandeurs d'emploi et des recruteurs, des marques et des acheteurs, des chercheurs de connaissances et des créateurs, pour jouer un rôle plus important pour chaque professionnel. Chaque professionnel va avoir sa propre version d'un assistant personnel, un copilote, un coach pour l'aider dans son parcours professionnel.

Toutes ces fonctionnalités basées sur l'IA sont-elles vouées à être réservées aux membres premium ?
Notre objectif est d'utiliser nos produits d'IA et de les partager avec l'ensemble de la communauté LinkedIn. Comme toujours, certaines fonctionnalités seront réservées aux membres premium. D'autres fonctions seront destinées à nos clients. Par exemple, nous développons des outils pour les recruteurs, des outils pour les spécialistes du marketing, des outils pour les commerciaux sur LinkedIn et des outils de formation pour les apprenants. Ce sont des produits que nous vendons, mais nous construisons toujours pour l'ensemble de la communauté LinkedIn.

Y a-t-il une synergie entre les fonctionnalités développées par Microsoft et celles de LinkedIn ?

En ce qui concerne l'IA, nous partageons beaucoup de choses : la même technologie et les mêmes principes sur la façon de construire avec un état d'esprit responsable. Il y a beaucoup de collaboration entre nos deux entreprises aujourd'hui et cela continuera d'être le cas à l'avenir.

LinkedIn met souvent en avant sa vision "skills-first" (les compétences d'abord). Comment est-ce que cela se traduit dans vos outils ?

Nous pensons en effet que les compétences sont la monnaie la plus importante pour l'emploi. Si nous pouvons faire correspondre les demandeurs d'emploi aux recruteurs sur la base des compétences, nous pourrons non seulement combler le déficit de compétences, mais aussi créer un marché du travail plus équitable, en termes de parité et de diversité. En effet, en se concentrant sur la capacité d'une personne à occuper un poste, nous pouvons réduire une grande partie des préjugés systémiques, car nous nous concentrons sur la capacité d'une personne à faire le travail.

Aujourd'hui, plus de 45% des recruteurs utilisent les compétences pour trouver des candidats

Pour les membres à la recherche d'un emploi, il est possible de faire figurer ses compétences sur son profil mais aussi de passer des évaluations de compétences et de présenter ces certifications sur son profil. Il ne suffit donc pas de dire "je suis très bon en Java". Lorsqu'ils postuleront à un emploi, ils pourront voir si leurs compétences correspondent à l'emploi en question. Si ce n'est pas le cas, ils pourront également regarder combien de compétences ou quelles compétences leur manquent pour postuler à ce poste, et éventuellement aller les apprendre et les faire certifier pour postuler plus tard à d'autres emplois qui requièrent le même ensemble de compétences. Par ailleurs, les compétences sont transférables. Ainsi, si je suis aujourd'hui hôte de caisse dans un supermarché, mes compétences se recoupent à 70 % avec celles d'un chargé de clientèle. Pour passer du premier poste au second, potentiellement plus intéressant pour ma carrière, il suffit donc que j'acquière deux ou trois compétences supplémentaires.

Les compétences jouent aussi un rôle important dans notre outil de recrutement. Aujourd'hui, plus de 45% des recruteurs utilisent les compétences pour trouver des candidats. Je m'en réjouis, car cela signifie qu'ils s'orientent davantage vers une méthode fondée sur le savoir-faire. En France, je ne connais pas le chiffre exact mais ne serais pas surpris s'il était identique, voire supérieur.

Avez-vous des données à partager sur la France ?

Nous avons 26 millions de membres en France, ce qui représente 80 % de la population active française. Ce nombre a massivement augmenté au cours de ces cinq dernières années, pendant lesquelles nous avons progressé de 73% d'une année sur l'autre. En termes de représentation, la France est notre deuxième marché européen, juste derrière le Royaume-Uni.

Quand ils échangent et partagent sur Linkedin, nos membres français parlent beaucoup de travail, d'équilibre de vie, de développement durable, d'IA et de technologie. Un point clé concernant les professionnels français est qu'ils aiment apprendre : au cours des deux dernières années, nous avons constaté une croissance de 78% du nombre d'apprenants français. Nous avons aujourd'hui plus de 2 200 cours LinkedIn Learning en français.

Entré chez LinkedIn en 2012, Tomer Cohen est chief product officer (directeur produit) depuis juin 2020. En parallèle de son MBA obtenu à Stanford, il avait en 2009 fondé FellowUp, une application qui aidait à gérer son réseau et entretenir des relations avec ses contacts.