Porté par le flow : les bienfaits de la concentration sur l'engagement et la productivité

Se concentrer au travail est parfois devenu un vrai défi.

Open space, sollicitations incessantes, notifications Teams : les éléments de distraction sont nombreux et redoutables. Or la concentration ne règle pas seulement l’efficacité, elle contribue également au plaisir et à l’engagement.

Le secret du génie

Au cours de ses recherches sur le processus créatif, le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi s’est intéressé à l’état de concentration extrême des artistes, capables de travailler des heures sans se laisser affecter par le monde alentour. Le témoignage de ces derniers, qui évoquent une sensation de fluidité ressentie en plein travail, puis de bien-être, pique sa curiosité : ainsi naît la théorie du flow(1) et ses applications en dehors du domaine de l’art. Et si tout le monde était capable d’atteindre cet état ?

Qui a lu Le Monde d’hier de Zweig, se souvient de la visite du romancier dans l’atelier de Rodin : le sculpteur passe devant un portrait, veut en reprendre un détail, fait une retouche ici, une autre là, et finit par oublier complètement la présence de son hôte... Et Zweig de conclure que « la concentration est le secret du génie ». La leçon qui en ressort est que la sensibilité des artistes trouve naturellement son chemin vers le flow. En réalité, chacun de nous en a fait au moins une fois l’expérience, même brièvement, à l’occasion d’un devoir à rendre pendant ses études. Efficacité décuplée, sentiment de facilité, impression de glisser sur le temps... Ces heures de travail sont rares et précieuses. 

Difficile de ne pas se laisser distraire

Dans un monde professionnel où la question de la concentration est devenue problématique(2), parce que l’attention est sans cesse appelée ailleurs et qu’il faut du temps pour être à ce qu’on fait, une telle théorie a de beaux jours devant elle. Surtout que le flow réconcilie deux grands enjeux de l’époque : la productivité et le bien-être. En effet, au-delà de la satisfaction liée à l’impression d’un travail bien fait, l’état de flow est à lui-même sa propre récompense : l’activité cérébrale particulière à cet état, qui permet d’exploiter à plein régime sa matière grise, donne non seulement un sentiment d’exécution sans effort, mais aussi de plaisir, en lien avec certaines hormones alors libérées.   

Mais on s’en doute : c’est un état qui se mérite, qu’il faut vouloir atteindre et qui suppose en cela certaines conditions préalables. Notre attention est ainsi faite, ainsi « construite » pourrait-on dire, ou façonnée par notre époque, qu’elle éprouve de grandes difficultés à se fixer sur son objet. On zappe, on « swipe », on « scroll »... Tout nous invite à la consommation rapide d’images et de médias, de lectures et de discussions, à l’utilisation simultanée d’appareils qui se rappellent à nous constamment par des notifications, des sonneries et des alertes. Dans ces conditions, difficile de faire abstraction du bourdonnement qui nous entoure lorsqu’il s’agit de se consacrer à une tâche précise, de s’absorber dans sa tâche.

Conditions préalables et bonnes habitudes

Le casque et la musique sont les remèdes les plus couramment utilisés pour réussir à s’isoler, à se mettre dans sa bulle. On trouve d’ailleurs des playlists intitulées « musique pour se concentrer », « musique pour travailler efficacement au bureau » et même « musique pour atteindre le flow »... De manière générale, les salariés écoutent des musiques familières, musiques de fond qui tapissent leur espace mental et favorisent effectivement leur concentration. Mais ce n’est pas là, loin s’en faut, le seul élément qui permette d’atteindre cet état d’exécution sans effort, où l’intelligence paraît plus vive. 

Le plus important reste l’équilibre entre la tâche et les compétences, en lien avec la stimulation intellectuelle que cette tâche représente, suffisamment difficile pour engager le cerveau. Un objectif clair et un feedback direct aideraient également à atteindre ou à maintenir un état de concentration maximale. Il faut bien sûr avoir pris soin d’éliminer en amont tout ce qui est susceptible de distraire l’attention : smartphone, notifications, plan de travail surchargé, mouvements dans le champ de vision, espace bruyant... Côté management, certaines pratiques simples peuvent aider les collaborateurs, comme encourager ces derniers à n’envoyer un message instantané que lorsqu’il est urgent, à le programmer au lendemain 9h sinon. Des réunions moins nombreuses et mieux cadrées, enfin, sont à n’en point douter un facteur clé dans l’amélioration des capacités de chacun à travailler efficacement.

Si le flow peut être accidentel, il exige néanmoins certaines habitudes, des automatismes. C’est un fruit de patience et de volonté. Or comme tout ce qui génère du plaisir, le sport par exemple, il appelle généralement ceux et celles qui en font l'expérience à le rechercher, à le retrouver. Les courbatures en moins.


(1)Flow : The Psychology of Optimal Experience, Harper, 1990.
(2)Enquête Dropbox : l’Economist Intelligence Unit publiée en octobre 2020, le manque de concentration coûterait aux entreprises près d’un tiers de leur temps et de leurs salaires (28% de temps de travail perdu, soit 581 heures par personne et par année).