Nicolas Godfroy (UFC Que Choisir) "Les e-commerçants appliquent bien la loi Chatel, mais pas la garantie légale de conformité"

L'UFC Que choisir estime que grâce à la loi Chatel, les cybermarchands ont amélioré leur service aux clients. Son spécialiste e-commerce juge toutefois peu respectées les obligations de SAV.

JDN. Globalement, quel bilan tirez-vous de l'application de la loi Chatel dans l'e-commerce ?

Nicolas Godfroy. Nous sommes globalement satisfaits, car les différentes mesures sont bien appliquées par les e-commerçants. Nous rencontrons toujours quelques problèmes mais avec le support de la loi, il nous est désormais facile d'attaquer le marchand. Même ceux qui posaient le plus de problèmes avant, comme Cdiscount, s'améliorent. Pour ne pas se laisser distancer par les modèles du service au client, comme Amazon, tous les marchands sont obligés de monter en gamme et au final, un équilibre se fait. Evidemment, pour le cybermarchand, cela a un coût. Il devient donc de plus en plus difficile de rester un casseur de prix. Pour autant, nous n'avons pas observé de véritable hausse des prix. Lorsque la loi Chatel est passée, il y a deux ans, les e-commerçants menaçaient tous de devoir augmenter leurs prix. En pratique, il y a beaucoup trop de concurrence pour qu'ils puissent se le permettre.

Quelles sont aujourd'hui les questions de protection des consommateurs qui vous semblent les plus problématiques dans l'e-commerce ?

Parmi nos actuels chevaux de bataille, la proposition de loi "visant à renforcer la protection des consommateurs dans la vente à distance", votée le 20 janvier à l'Assemblée nationale et qui doit encore passer au Sénat. Rédigée à l'époque des faillites de Camif et de Showroom2001, elle a en réalité été proposée par les conseillers de Luc Chatel et reprise par Hervé Novelli.

Le texte prévoit que lorsque la DGCCRF reçoit suffisamment de plaintes, elle va voir le marchand et si ce dernier n'améliore pas la situation, elle suspend son activité pendant un mois renouvelable. Les inconvénients de cette solution sont multiples. D'abord, il faut attendre un nombre important de plaintes pour que des mesures soient prises, autrement dit à ce moment là la situation est probablement déjà irréversible. Cette approche vise davantage à limiter les dégâts qu'à avoir une action préventive. Ensuite, la DGCCRF ne peut pas surveiller tout le Web marchand à elle toute seule. Enfin, imagine-t-on vraiment la DGCCRF prendre l'initiative de suspendre l'activité d'un acteur tel que la Camif ? Je pense que cela ne fonctionnerait qu'avec les petits sites. Bref, l'intérêt de la mesure est assez limité.

"Le problème majeur de l'e-commerce, c'est le service après-vente"

Que préconisez-vous ?

Nous voyons deux façons de protéger le consommateur dans ce type de circonstances. La première prend la forme d'une garantie financière, comme dans le secteur du voyage : chaque agence de voyage est déclarée à la préfecture, qui détermine un niveau de garantie, une somme que l'agence doit confier à l'assureur. En cas de liquidation, c'est l'assurance qui prend en charge les derniers coûts en puisant dans cette garantie. La deuxième possibilité consiste à généraliser le paiement à l'expédition (ce que recommande aussi la Fevad, ndlr). Le marchand est payé suffisamment vite quand même et le consommateur est content également car il est à peu près sûr de recevoir sa commande. On voit même se développer le paiement à la réception, c'est dire si c'est une bonne idée ! Pourtant, aucune de ces deux méthodes n'a été reprise par les députés. Nous comptons bien relancer ces idées au Sénat mais aucune date n'y est encore fixée pour l'examen de la proposition de loi.

Cette proposition de loi présente-elle selon vous des avancées pour les consommateurs ?

Le texte contient un petit élément positif. Aujourd'hui, si le délai de livraison dépasse 7 jours, l'acheteur a le droit d'annuler sa commande et d'en demander le remboursement. Par contre, le marchand dispose de 30 jours pour le rembourser, un délai ubuesque ! La loi prévoit de réduire ce délai de 30 à 15 jours. D'autre part, si le marchand ne respecte pas ce délai, d'après le nouveau texte il devra payer des intérêts de retard calculés sur la base du double du taux légal. Ce n'est pas très intéressant d'un point de vue dissuasif. Nous aurions voulu une majoration évolutive.

Votre autre combat, c'est la garantie légale de conformité...

Globalement, le problème majeur de l'e-commerce, c'est le service après vente. Beaucoup d'e-commerçants disent ne pas assurer le SAV ou renvoient le consommateur vers le constructeur. Or cela ne devrait pas être permis, puisqu'il existe la "garantie légale de conformité", qui garantit le produit deux ans et d'ailleurs s'applique même en cas de panne.

Quelques exceptions mises à part, cette garantie permet au consommateur de choisir entre échange et réparation, en cas de défaut de fabrication ou de panne. Cette garantie impose aussi que la réclamation - qu'il s'agisse d'un échange ou d'une réparation - soit traitée dans un délai maximal d'un mois. Au-delà, le consommateur peut exiger le remboursement du produit, les tribunaux sont clairs là-dessus. Troisièmement, l'ensemble des frais de réparation et d'échange sont à la charge du professionnel, y compris donc les frais de retour. Cette garantie est la transposition directe en droit français d'une directive européenne, réalisée en février 2005. Il n'y a donc pas d'erreur d'interprétation possible.

"En cas de liquidation du vendeur, le transporteur ne devrait pas se retourner contre le client final"

Que reprochez-vous aux e-commerçants ?

De bien souvent ne pas assurer cette garantie. Rien à voir typiquement avec Darty, qui pour sa part applique très bien cette garantie à deux ans. En revanche, lorsque Pixmania - mais ils ne sont pas les seuls - vend une garantie "échange à neuf en cas de panne", il vend en réalité quelque chose auquel le consommateur a droit gratuitement, même si le site considère cela comme un manque à gagner. En Belgique et au Luxembourg, presque tous les sites marchands sont passés à cette garantie à deux ans. Mais pas en France.

Nous voudrions donc ajouter cet aspect dans la loi discutée actuellement, pour faire en sorte qu'Internet reste une bonne affaire... mais sans être une prise de risques. Nous demandons uniquement à ce que les cybermarchands se conforment à la loi et à ce qu'ils affichent, sur leur site et dans leurs publicités, une référence à la garantie légale de conformité, valable deux ans. Après, les e-commerçants peuvent tout-à-fait négocier avec les fabricants, c'est prévu dans leurs contrats...

Notre conseil dans tous les cas : bien lire les conditions générales de vente et toujours vérifier la réputation du professionnel.

Avez-vous d'autres propositions pour le secteur ?

Oui, elles concernent les transporteurs. Il arrive qu'en cas de liquidation judiciaire du vendeur, ils se retournent contre le client final et exigent qu'il lui paie directement les frais de livraison. Or ils n'ont certes pas été réglés par le vendeur mais le client a déjà payé le port et n'a pas de raison de le payer une deuxième fois.

Un autre cas de figure problématique se produit lorsque l'article commandé arrive cassé ou abîmé. Aujourd'hui, le transporteur refuse que le consommateur vérifie l'état du produit à la réception. Cela permettrait pourtant de prouver que ce n'est pas le client qui a par exemple laissé tomber son téléphone dans l'eau deux jours après l'avoir reçu. Nous voudrions inscrire dans le code de la consommation que le transporteur ait l'obligation d'attendre que le consommateur vérifie l'intégrité de sa commande. Puis faire en sorte que le transporteur doive démontrer qu'il a bien fait son travail, avant de lui permettre d'accuser le client.