Box alimentaires sur abonnement : beaucoup d'appelés, peu d'élus...

Box alimentaires sur abonnement : beaucoup d'appelés, peu d'élus... On ne compte plus les box de produits d'épicerie, les coffrets de vin ou les kits de repas à préparer. Pourtant, la recette du succès n'est pas à la portée de tous.

Dans la foulée des coffrets mensuels de cosmétiques créés par Birchbox en 2010 et immédiatement copiés de par le monde, ont éclos des centaines de box de tout et n'importe quoi, des chaussures aux jeux en passant par les petites culottes et la mousse à raser. Evidemment, l'alimentaire a aussi vu émerger son lot de services d'e-commerce sur abonnement. Actuellement, Touteslesbox.fr dénombre environ 70 box de nourriture et d'alcool actives en France. Sont également apparus des kits de repas qui comprennent une recette et les ingrédients pour la réaliser. Quelques petits coups de buzz par-ci, quelques petites levées de fonds par-là, que reste-t-il aujourd'hui du secteur de l'alimentaire sur abonnement ?

"J'ai vu passer des dizaines de dossiers de ce genre, se souvient Marc Fournier, partner chez Serena Capital. Il y a beaucoup de monde sur ce créneau, mais y survivre est assez difficile." La plupart de ces services plafonnent à quelques milliers de box ou de kits livrés chaque mois et après de bons démarrages, ces start-up peinent à devenir des acteurs nationaux. Pourquoi un BlueApron (5 millions de repas par mois) ou un HelloFresh (4 millions de kits par mois) n'émergent-t-ils pas dans l'Hexagone ? Le second s'est même retiré du pays du camembert après une année 2013 peu convaincante.

En France, l'offre alimentaire est déjà très complète

Marc Fournier, Serena Capital © S. de P. Serena Capital

Il est vrai que le marché français est assez particulier. On se rend facilement au marché où regorgent les produits frais de bonne qualité, on trouve dans les grandes villes tous les ingrédients possibles et tous les restaurants qu'on veut, et globalement on réalise sans y penser une cuisine plutôt plus élaborée qu'ailleurs. "Pour avoir de l'intérêt, les produits livrés doivent dont être très difficilement disponibles et les recettes assez rares, analyse Marc Fournier. Des box sur des créneaux très spécifiques peuvent donc subsister, mais elles ne grandiront jamais beaucoup. Car les allergiques au gluten ont depuis longtemps appris à tout cuisiner eux-mêmes et les adeptes de fromage trouvent déjà leur bonheur chez le fromager du coin ou avec les plateaux de Monoprix."

Quant aux kits de repas, on peut imaginer que l'on ne prévoie pas toujours avec beaucoup d'avance d'avoir six invités à dîner. "Et entre le marché, les petits commerces, les grandes surfaces, Picard et les traiteurs à domicile comme La Belle Assiette, on dispose déjà de beaucoup d'alternatives très faciles d'accès", note-t-il.

Pas besoin d'être gros pour être heureux

Ce n'est d'ailleurs pas grave ! Evidemment, beaucoup de start-up de ce domaine finissent par mettre la clef sous la porte. Mais d'autres se font une petite place qui peut très bien leur suffire. "On n'a pas besoin d'être gros pour être heureux, souligne Marc Fournier. Avec un millions d'euros de chiffre d'affaires, on peut dégager 2 ou 300 000 euros de salaire ou de dividende et être très content. Une box sans gluten qui n'envoie pas plus de 3 000 box par mois peut très bien dégager une marge incroyable."

L'investisseur recommande donc à ces start-up qui n'ont sans doute pas la capacité à grandir beaucoup de ne pas lever de fonds et de rester de belles petites entreprises rentables. "Il existe des marchés sur lesquels aucun gros n'émerge jamais. Celui-ci en fait partie. Même si une box rachète les autres, elle conservera sans doute les spécificités de chacune. Il s'agit donc d'un marché de petites sociétés, pas fait pour le venture capital et pas fait pour que ses acteurs deviennent des leaders mondiaux." Un discours adressé aussi bien à Envouthé qu'aux Nouveaux Fromagers, à Gourmibox, à Fouchette&Bicyclette (produits du terroir), à Gula (snacks) et à Une Petite Mousse (bière).

Quelques-unes toutefois, sur des segments plus porteurs, parviennent à maintenir une belle croissance. C'est notamment le cas de QuiToque, anciennement Cookintheworld, qui a livré 10 000 kits de repas en janvier, de Kitchen Trotter, qui expédie aussi 10 000 box d'épicerie fine par mois, et du Petit Ballon, qui comptait fin 2015 plus de 40 000 abonnés à ses coffrets de vin. Alors que la plupart des acteurs voient leurs abonnés se lasser rapidement après l'effet de surprise des premiers mois, ceux-là affichent au contraire un churn très bas, grâce à une offre pensée sur le long terme.

Kitchen Trotter se diversifie pour renforcer sa marque

Fondé en 2012 en plein boom de l'e-commerce sur abonnement, Kitchen Trotter a adapté le concept à la cuisine du monde en mettant au point des coffrets mensuels thématiques par pays. "Ils contiennent des ingrédients d'épicerie sèche typiques et difficiles à dénicher que nous sourçons aux quatre coins du globe, une petite recette, mais aussi un goodie du pays et une playlist musicale", indique sa cofondatrice Kenza Hachimi. Toute une expérience prévue pour 4 à 6 personnes afin d'assurer sa convivialité comme le bouche-à-oreille.

Kenza Hachimi, Kitchen Trotter © S. de P. Kitchen Trotter

La croissance de Kitchen Trotter n'a pas fléchi, puisque son rythme d'expédition actuel a quasiment doublé en un an et que la croissance attendue en 2016 devrait encore s'élever. La start-up développe en effet de nouveaux relais de croissance qui alimentent habilement sa marque et la font connaître d'un plus grand nombre. "Nous avons réalisé des kits en cobranding avec Cuisine Actuelle, Elle à Table, Madame Figaro, Geo et Marmiton, précise la dirigeante. Et nous nous sommes diversifiés dans le retail en développant une gamme pérenne de mini-kits pour Monoprix, La Grande Epicerie, Lafayette Gourmet et Alice Délice." Après un coffret pour la sortie du film "Les recettes du bonheur" et une opération avec les pamplemousses de Floride, d'autres pistes encore sont à l'étude, en particulier des cadeaux de parrainage pour fidéliser les clients d'une entreprise.

Kitchen Trotter a réalisé 2 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2015, prépare son lancement au Royaume-Uni pour le printemps et compte bien se renforcer dans l'Hexagone. "D'abord, beaucoup de gens encore ne connaissent pas le concept d'e-commerce par abonnement, rappelle Kenza Hachimi. Ensuite, le levier des kits offerts en cadeaux, qui fonctionne déjà très bien, peut encore se développer." Face à lui, La Bonne Box se concentre désormais beaucoup sur ses box pour geeks et EatYourBox a été racheté par Reworld Media pour épauler ses magazines. L'entrepreneuse ne s'inquiète donc pas outre mesure de son paysage concurrentiel, à moins que de nouveaux arrivants ne bénéficient de gros budgets marketing. Un facteur essentiel pour acquérir des clients dans un contexte aussi concurrentiel, qui a poussé la start-up à se lancer dans une deuxième levée de fonds pour redonner une impulsion à ses investissements marketing.

QuiToque se pose en alternative à la grande distribution

QuiToque, lancé en 2012 sous le nom de Cookinthworld, a également trouvé comment dépasser le palier de sa niche d'origine. "Pendant plus d'un an, nos kits de recettes et d'ingrédients de cuisine du monde ne décollaient pas vraiment, se rappelle son cofondateur Grégoire Roty. Les clients étaient ravis du service mais ne l'utilisaient que rarement car les recettes prenaient 2h à préparer. Pour mieux répondre à leurs besoins, nous nous sommes repositionnés mi-2014 sur les courses du quotidien." En l'occurrence un panier de quatre repas pour deux ou quatre personnes, livré en début de semaine avec des aliments frais de saison, des recettes variées et équilibrées, qui se préparent en 30 minutes cuisson comprise… et permettent de sortir des 5 à 10 recettes sur lesquelles tournent toutes les familles. Une proposition qui a fait bondir le nombre de repas distribués par mois de 200 avant le pivot à 1 000 juste après et 10 000 aujourd'hui.

Grégoire Rotty, QuiToque © S. de P. QuiToque

"En proposant une alternative aux courses du quotidien, nous répondons à un vrai besoin et nous positionnons sur un très gros marché, celui de la grande distribution, avec des produits plus frais, des recettes en plus, la livraison comprise et des formats adaptés aux végétariens et aux familles", avance Grégoire Roty. Contrairement à Kitchen Trotter, l'objectif n'est plus de se faire plaisir, mais de se libérer des contraintes des courses au supermarché tout en améliorant son alimentation.

De son côté aussi, QuiToque détiendrait une belle longueur d'avance sur la multitude de poursuivants qui ne dépasseraient pas 2000 repas par mois. Il compte maintenant sur sa récente levée pour accélérer et devenir un vrai acteur national. Pour l'entrepreneur, le potentiel est là. "En Suède, premier pays où ce concept est apparu il y a dix ans, plus de 1% des foyers le pratiquent aujourd'hui. Les Etats-Unis, où Blue Apron et HelloFresh affichent des chiffres phénoménaux, sont en train de prendre le même chemin. L'Allemagne est dans une dynamique similaire, tout comme le Royaume-Uni. Pour la France, je pense que nous pouvons aussi briguer 1% des foyers." Un marché adressable de plusieurs centaines de millions d'euros. Car pour Grégoire Roty, si les Français sont plus susceptibles de se concocter de bons petits plats le weekend, les repas des soirs de semaine suscitent le même besoin qu'ailleurs. "Ici comme dans tous ces pays on se pose l'éternelle question : qu'est-ce qu'on va bien faire pour le dîner ?"

Les acteurs traditionnels en embuscade

Bien sûr, les défenseurs du manger sain et de l'agriculture raisonnée peuvent déjà recourir aux Amap, les associations pour le maintien d'une agriculture paysanne. Mais les solutions à la QuiToque présentent l'avantage non négligeable de ne pas vous laisser sur les bras 4kg de panais, d'éviter les répétitions et de fournir tout ce qui intervient dans la préparation du repas à part le sel, le poivre et l'huile.

Cependant, d'autres acteurs bien établis ont commencé à expérimenter leurs propres paniers de courses. Depuis janvier, Ooshop teste une box repas végétarienne. Elle n'est pas encore proposée sous forme d'abonnement, mais pourrait très bien donner naissance à d'autres déclinaisons. Un segment en particulier a attiré les appétits des acteurs déjà en place : celui du vin. La prolifération des coffrets mensuels de bouteilles a en effet vite donné des idées à Vente Privée, à Cdiscount et à Nicolas. Outre l'envie des consommateurs, ravivée ces dernières années, de découvrir de nouveaux vins, deux ou trois bouteilles par mois s'écoulent assez facilement et ont ceci de pratique qu'au contraire de la nourriture, elles ne se déprécient pas lorsqu'on ne les utilise pas.

Martin Ohannessian, Le Petit Ballon © S. de P. Le Petit Ballon

Ce marché n'est pas plus facile pour autant. Chez ces trois grands marchands de vins, seul le coffret mensuel In Vino de Cdiscount existe encore. "Les box qui marchent sont celles qui racontent une histoire, qui ont une communauté et une marque à part, juge Martin Ohannessian, cofondateur du Petit Ballon. Un Cdiscount ne va pas perdre son temps à créer tout cela pour sa box." Les spécialistes tels que Chais d'Oeuvre, Troisfoisvin, Vineabox et MyVitibox sont pour leur part toujours là, s'appuyant sur un sommelier reconnu, comme bien sûr Le Petit Ballon, pour garantir la qualité de leurs sélections. Sauf qu'aucun n'arrive à rattraper le leader.

"Le Petit Ballon se porte à merveille, se réjouit son patron. En 2015 nous avons dépassé les 5 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus que doublé le nombre de nos abonnés. Le churn est de moins de 4% par mois pour les clients qui se sont abonnés eux-mêmes et nous arrivons à réabonner 20% de ceux qui ont reçu un abonnement en cadeau." Générée presque uniquement par les abonnés, l'activité d'e-commerce classique est stabilisée à 30% des ventes. Le nombre d'utilisateurs français devrait encore doubler cette année et la start-up est en train d'ouvrir le Royaume-Uni et la Belgique.

Pour améliorer l'expérience utilisateur et éviter l'effet loterie, Le Petit Ballon a mis en place il y a six mois un dispositif permettant de personnaliser la sélection envoyée à chaque membre. Ceux-ci répondent à un questionnaire sur leurs goûts et le système s'améliore au fil des mois en fonction des notes qu'ils donnent aux bouteilles reçues. Depuis, les indicateurs d'utilisation du site ont doublé. "Notre modèle fonctionne et nous sommes les seuls à nous en sortir aussi bien", conclut Martin Ohannessian. Autour de 5 000 abonnés, ses concurrents sont encore assez loin.

Le marché de l'e-commerce alimentaire sur abonnement n'est donc pas l'eldorado escompté. Que les acteurs traditionnels s'y cassent pour l'instant les dents n'est d'ailleurs pas anodin, même si dans les cosmétiques, l'échec de la box de Sephora n'empêche pas Birchbox de prospérer. Sur l'alimentaire, où la pénétration du Web reste très minime lorsqu'on exclut le drive, il apparaît logique que peu d'acteurs parviennent à sortir du lot au sein de l'étroit segment de l'abonnement. Néanmoins, la base d'utilisateurs en fort développement des quelques leaders montre que la demande est bien présente et que les acteurs les plus persévérants pourront sans doute, comme ils l'ambitionnent, conquérir la France… et le monde.