L'e-commerce dans les pays émergents

Le commerce électronique dans les pays émergents est déjà une réalité. Il concerne aussi bien la vente de services que la vente de produits matériels. Son développement représente un enjeu majeur.

Décomposons la chaîne de valeur de l’e-commerce en 4 composantes : l’identification des produits et services, la transaction, la livraison et le service après-vente.


L’identification des produits et services fait ressortir plusieurs caractéristiques spécifiques aux pays émergents. Le commerce électronique y est avant tout du m-commerce. L’accès se fait majoritairement via smartphone et accès internet mobile, 3G ou 4G.  La croissance soutenue de la pénétration des smartphones et le déploiement de réseau de dernière génération vont continuer à soutenir cette tendance.


Deux spécificités sont à noter en termes de marketing digital. La publicité sur mobile est mieux acceptée que dans les pays occidentaux. Le « niveau de confort » avec le m-advertising est ainsi mesuré à près de 50% au Kenya et au Nigéria contre un peu plus de 10% aux Etats-Unis[1]. Les marketplaces, telles que bidorbuy (bidorbuy.co.za) en Afrique du Sud, représentent par ailleurs une proportion élevée des consommateurs en ligne.


La transaction soulève la problématique des moyens de paiement. Le paiement par carte bancaire n’est pas toujours  répandu notamment de par le faible taux de bancarisation. En Europe, la carte bancaire est également loin d’être le moyen universel de paiement. Elle n’est par exemple utilisée que pour environ 10% des transactions en ligne en Allemagne. Le taux de transaction dématérialisée varie significativement en fonction des pays africains : 10% au Nigéria, environ 25% au Kenya et plus de 40% en Afrique du Sud[2].


Services de mobile payment et « cash on delivery » sont des solutions déjà effectives dans de nombreux pays émergents. Le poids des transferts financiers internationaux est également une composante importante. Les offres de « cash to goods », tel Afrimarket d’Orange, proposent par exemple aux diasporas africaines en France de payer en ligne les biens qui seront délivrés localement à leurs proches.


La livraison aux clients finaux soulève une autre problématique majeure : l’infrastructure logistique. Un index de performance logistique établi par la Banque Mondiale chiffre à 2,5 la moyenne des pays subsaharien, à près de 3 le Nigéria et près de 3,5 l’Afrique du Sud quand la performance d’un pays européen tel que l’Allemagne est notée à 4 (sur une échelle de 0 à 5 - 5 étant le score maximal)[3].

Pour autant, il ne faut pas surestimer son entrave au développement du m-commerce. Dans les zones urbaines, l’infrastructure est en bonne partie existante. Dans les zones rurales, l’appui sur des points relais est une solution naturelle. Bien sûr, la proximité de ceux-ci n’est souvent pas optimale. Les clients n’ont in fine que peu d’autres solutions pour avoir accès à une large gamme de produits. La problématique renvoie à celle de l’inégalité d’accès entre population et au besoin de politiques nationales d’aménagement du territoire.


Le service après-vente, dernier maillon de la chaîne de valeur, pose les challenges génériques de la relation digitale dans les pays émergents[4] mais ne pose pas d’autre difficulté spécifique au commerce électronique. Il est un élément différentiateur par rapport aux marchés gris.


 

Le développement de la distribution traditionnelle a précédé celui du commerce électronique dans les pays occidentaux. Les pays émergents ne vont-ils pas quant à eux passer directement au m-commerce? Ce développement accéléré autour du mobile a déjà été observé à plusieurs reprises. Cela a été le cas de la téléphonie et de l’accès internet mobiles qui ont explosé avant que les services fixes n’aient une pénétration significative. Cela a également été le cas du mobile payment qui est venu se substituer aux services bancaires traditionnels.


L’accès mobile aux sites commerçants pose la question du coût de consultation des services et produits proposés. L’internet mobile étant encore très majoritairement prépayé, la navigation sur le catalogue représente un coût pour les utilisateurs finaux. A l’inverse, rentrer dans une enseigne physique est bien entendu gratuit. Proposer une consultation gratuite des services représente ainsi un véritable enjeu pour les marchands. Ceux-ci pourraient subventionner ce coût d’accès ou passer des accords avec les opérateurs afin d’accélérer la croissance d’audience sur leur site. Jumia, principal retailer électronique au Nigéria, propose ainsi depuis cet été un accès gratuit aux clients MTN.


Les opérateurs mobiles, de par cette question du coût d’accès mobile et de par leurs services de mobile payment, se trouvent une nouvelle fois au cœur du développement. Plusieurs d’entre eux ont lancé des initiatives dans ce domaine. MTN et Millicom (Tigo) sont actionnaires de Jumia.. Orange le fait également en Afrique australe au travers de sa filiale Orange Horizons.


Sébastien Crozier, Senior Vice President Orange – CEO Orange Horizons Jean-Michel Huet, Partner BearingPoint Olivier Darondel, Manager BearingPoint


[1] Millward Brown (2012)

[2] MasterCard (2013)

[3] Banque Mondiale (2014)

[4] La relation client digitale dans les pays émergents : mirage ou oasis ? Jean-Michel Huet, Erik Campanini, http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-93938-la-relation-client-digitale-dans-les-pays-emergents-1000760.php