Instagram construit la marketplace du futur

Instagram construit la marketplace du futur Avec le lancement en beta du programme Checkout, le réseau social est sur la voie pour devenir une marketplace. Son milliard d'utilisateurs et son pouvoir de prescription en feraient un vrai driver de ventes e-commerce pour les marques.

Et si Instagram devenait le bras armé de Facebook pour concurrencer Amazon ? La question peut paraître surprenante alors que l'e-commerce n'est encore qu'une activité balbutiante pour le premier, quand le second s'arroge près de 50% du marché aux Etats-Unis, selon eMarketer. Et pourtant…

La rubrique "Explore" d'Instagram fait désormais bonne place au shopping. © Instagram

En mars 2018, Instagram annonçait le lancement de Shopping, une fonctionnalité permettant aux marques d'identifier jusqu'à 5 produits par post pour leur accoler un lien vers leur site e-commerce. Une première brique qui en amène une autre, un an plus tard, avec le déploiement de Checkout, un service qui permet aux utilisateurs d'acheter lesdits produits… sans même quitter Instagram. Vingt marques, dont Nike, Zara ou Dior, participent à cette beta que le réseau social a récemment annoncé étendre à certains influenceurs. "Instagram est le royaume du lèche-vitrine, nos utilisateurs y viennent pour trouver de l'inspiration auprès de leurs amis, des marques ou des influenceurs. Il était donc logique de leur proposer une fonctionnalité leur permettant d'aller au bout de l'expérience d'achat", justifie Julie Pellet, brand development lead pour l'Europe du Sud chez Instagram.

Preuve de l'engouement de son audience pour le shopping, ils sont déjà près de 130 millions d'utilisateurs à cliquer chaque mois sur un tag produit, selon la plateforme. Annoncé mi-mai, le redesign de la rubrique "Explore", un espace où l'utilisateur peut découvrir des contenus postés par des comptes qu'il ne suit pas, devrait augmenter ce nombre. Une rubrique "Shopping" y a fait son apparition.

Le déploiement de Checkout acte la transformation d'Instagram en une marketplace. Une marketplace d'un nouveau genre, mixant social et e-commerce, et disposant de sérieux atouts. A commencer par son audience : plus d'un milliard d'utilisateurs actifs chaque mois dans le monde. Mais aussi un pouvoir de prescription certain, en atteste cette étude Retail Touch Points qui révèle que 72% des utilisateurs d'Instagram déclarent faire leurs achats en fonction de ce qu'ils ont vu sur la plateforme.

"Nous voulons créer une expérience e-commerce d'un nouveau genre, en nous appuyant sur des prescripteurs qui inspirent notre communauté"

Alors que les retailers se battent pour capter l'attention du consommateur le plus tôt possible dans le tunnel de conversion, Instagram bénéficie d'un avantage de taille. Il se situe tout en amont de ce tunnel, là où se crée l'envie et où s'opèrent nombre d'achats d'impulsion. "Nous voulons créer une expérience e-commerce d'un nouveau genre, en nous appuyant sur des prescripteurs qui inspirent notre communauté", avance Julie Pellet. De quoi permettre à Instagram de piquer aux Amazon, Walmart et autres géants de l'e-commerce une partie de leurs ventes ?

C'est ce qu'a réussi à faire en Chine une plateforme au positionnement similaire, baptisée Xiaohongshu. Cette dernière réunit déjà des millions de Chinois qui suivent des influenceurs beauté et profitent des tutos live de ces derniers pour acheter, via des liens intégrés à la vidéo, les produits mis en avant. Près de 413 milliards de dollars de produits seront vendus via des plateformes de social e-commerce en 2022 en Chine, selon les recherches du cabinet Frost & Sullivan. Ce nombre était de 90 milliards de dollars en 2017. Toujours selon le même cabinet, le social shopping représentera 15% des ventes onlines à l'horizon 2022 (contre 8,5% en 2017).

Instagram n'en est pas encore là. Et l'échec de Wechat en Europe a prouvé que les consommateurs occidentaux ne sont pas forcément enclins à suivre l'exemple des Chinois. Mais le développement du social shopping est, à en croire le CDO d'Yves Rocher Kuider Akani, un phénomène mondial. "Les plateformes sociales comme Instagram ont à cœur d'intégrer la brique transactionnelle au cœur de leur service. Cela leur permet d'aller chercher des revenus complémentaires à la publicité et permet aux marques de réduire le nombre de clics avant l'achat", analyse celui qui a déployé Shopping dans 15 pays et attend Checkout "avec impatience".

Avec Checkout, l'expérience d'achat commence et se termine au sein d'Instagram. © Instagram

Le patron du chausseur Jonak, Marcel Nakam, est lui aussi convaincu de l'attrait d'Instagram. "Ce qui rend la plateforme aussi sexy, c'est ce cocktail unique d'image, de prescription et de business", explique–t-il. C'est déjà près de 15% du chiffre d'affaires online de la marque de chaussures pour femmes qui vient aujourd'hui de la plateforme. Et Marcel Nakam est impatient de tester Checkout. "Pour l'instant, plus on y investit, plus le ROI est intéressant au contraire de plateformes plus matures comme Facebook et Google." Frédéric Clément, le CMO de Lengow, une solution qui permet aux retailers de plugger leur catalogue produit aux marketplaces et réseaux sociaux, est lui aussi optimiste. "Instagram va devenir un canal de vente significatif pour certains acteurs de la mode, de la beauté ou de la déco dans les 12 mois à venir", prophétise-t-il. La plateforme devra sans doute s'aligner sur les tarifs pratiqués par Amazon, qui prélève entre 12 et 20% de commission selon les catégories de produits. "Je ne pense pas qu'Instagram, qui aura pour priorité de créer une habitude, soit trop gourmand", rassure Kuider Akani.

"Instagram va devoir proposer des dispositifs de paiement adéquats, tout en se prémunissant contre le risque de fraude et en se mettant en ordre côté taxation"

Pour donner corps à ses ambitions e-commerce, Instagram ne lésine pas sur le recrutement. Alors que ses équipes "produit" sont basées à Palo Alto, la plateforme a musclé ses effectifs aux Etats-Unis et en Europe. Pour chaque verticale sectorielle, un responsable chevronné est débauché. Quant à la partie transactionnelle, elle est gérée depuis Londres. L'expertise de l'autre filiale de Facebook, Messenger, ne sera pas de trop pour l'aider à appréhender ce sujet clé dans le développement d'une marketplace. "Les responsabilités sont nombreuses et Instagram va devoir proposer des dispositifs de paiement adéquats, tout en se prémunissant contre le risque de fraude et en se mettant en ordre côté taxation," détaille Frédéric Clément. Pas de quoi effrayer Julie Pellet. "Nous voulons construire la solution la plus robuste qui soit pour assurer la sécurité des informations des consommateurs", assure-t-elle.

Autre point clé : le service après-vente. "Le succès d'Amazon s'explique aussi par le support client qu'il offre aux vendeurs de sa marketplace", analyse Frédéric Clément. Cela implique pour Instagram, complètement novice sur le sujet, de recruter une équipe dédiée. La question de la brique logistique se posera sans doute dans un second temps. "Ce n'est pas un passage obligé pour les marketplaces mais elles sont de plus en plus nombreuses à suivre l'exemple d'Amazon et à le proposer à leurs vendeurs", observe Frédéric Clément.

La plateforme va également devoir réfléchir au juste équilibre entre ses offres pubs, son service e-commerce et le contenu UGC. Rappelons qu'Instagram ne propose pour l'instant pas de format pub permettant de promouvoir l'offre Shopping. La plateforme va d'ailleurs devoir s'assurer que son offre publicitaire vendue au clic ne cannibalise pas son offre transactionnelle e-commerce. Les emplacements aujourd'hui réservés à des publicités branding seront-ils bientôt alloués à celles des e-commerçants ? "Il y a une vraie différence entre vendre des clics et vendre tout court, juge un connaisseur du marché. L'exemple de Google, tiraillé entre Adwords et Google Shopping Actions, nous a montré que ce n'est pas toujours facile de gérer cette transition en interne." Ça tombe bien, la plateforme veut se donner le temps de bien mener sa barque. "Nous allons continuer les tests avant de réfléchir à un lancement à plus grande échelle, aux Etats-Unis et dans le reste du monde", précise Julie Pellet. Un déploiement gloabl de Checkout pourrait intervenir, si l'on se fie aux habitudes d'Instagram, d'ici 2020.