Plombés par l'épidémie, les commerces de proximité se digitalisent

Plombés par l'épidémie, les commerces de proximité se digitalisent Commerces de bouche et pharmacies notamment adoptent des solutions de prises de commande et livraison. De quoi faire le bonheur de certains prestataires.

En matière de digitalisation, les commerces de proximité ne sont pas les meilleurs élèves. Mais la crise sanitaire du Covid-19 contraint nombre d'entre eux à franchir le pas. En témoigne Rapidle, solution de click & collect et livraisons : "Nous avons enregistré un boom de demandes d'adhésion à notre solution par les commerces de proximité depuis le 13 mars. Les comportements vont changer et les commerçants l'ont bien compris, raconte le co-fondateur Steeve Broutin, avant de détailler. Nous avons noté une hausse de 2 000 % des demandes d'adhésion par jour, passant de 2 à 40 et ce chiffre risque d'augmenter." 

Alors, qui sont ces commerçants qui se digitalisent ? A Paris, la boulangerie Du pain et des idées a vu sa fréquentation chuter drastiquement, passant de 750 clients par jour à 150 en moyenne depuis le début du confinement. "J'ai commencé à m'intéresser à la solution de Rapidle au mois de janvier quand j'ai constaté l'ampleur de la situation en Chine mais je ne l'utilise réellement que depuis les annonces du confinement. Actuellement, nous réalisons 50% de notre activité grâce au digital", explique Christophe Vasseur, qui gère sa boulangerie depuis 18 ans. En commandant et en réglant son produit sur le site Internet, le client n'a plus besoin de faire la queue dans le commerce. Si celui-ci propose aussi la livraison à domicile, Christophe Vasseur constate que la clientèle préfère récupérer son produit sur place. Histoire de maintenir le lien social et la vie de quartier, a minima. D'après le boulanger, la crise sanitaire marquera par ailleurs la fin des paiements en cash. "Nous sommes obligés de refuser les espèces au profit de la carte bancaire afin d'éviter les contacts. Après l'épidémie, je n'accepterai plus les paiements en espèces d'autant qu'un certain nombre de clients commandera en ligne. Cela m'évitera des tracas comme la crainte du braquage. Je ne pense pas que la manière de consommer évoluera beaucoup, mais la révolution sera celle du mode de paiement", prophétise-t-il. 

Au coeur de la vallée de Chevreuse, la boucherie Chevry II à Gif-sur-Yvette enregistre une hausse de 1 400 % de son chiffre d'affaires entre la semaine qui a précédé les mesures de confinement et le début du confinement. Des résultats exceptionnels dus au digital. "Nous avons triplé nos ventes avec Rapidle depuis le début de l'épidémie alors que sans l'outil, nous aurions connu une baisse de chiffre d'affaires, affirme Sébastien Taugourdeau, le gérant. Les clients ne restent que quelques secondes dans la boucherie, le temps de récupérer leur commande et croisent peu de clients. C'est rassurant pour tout le monde." Avec la fermeture récente des marchés, la boucherie Chevry II qui débourse 236 euros par mois pour bénéficier des services de Rapidle, voit l'avenir d'un bon œil : "Les clients découvrent notre vitrine virtuelle mais connaissent déjà notre boutique donc ils commandent en ligne les yeux fermés", sourit Sébastien Taugourdeau. 

Exploiter le potentiel du "e-commerce local"

Lancée en juin 2017, la plateforme de e-commerce Ollca réunit des artisans et commerçants des métiers de bouche. Là encore, les résultats sont éloquents : Ollca constate une augmentation de 655% du chiffre d'affaires apporté aux artisans et commerçants pour la première semaine de confinement et note une hausse de 300% de trafic sur les boutiques des commerçants via la plateforme, sur la première semaine de confinement. "La fermeture des marchés pousse les consommateurs habitués aux produits de l'artisanat local et non à la grande distribution, à se tourner vers notre offre. Que ce soit de la part des commerçants ou des consommateurs, la sollicitation est forte", analyse Victor Goburg, CEO de Ollca, entreprise normande. La plateforme permet aux commerçants de créer leur boutique de produits en ligne, avec pour objectif le développement du "e-commerce local", selon les mots de Victor Goburg. Avec 400 commerçants partenaires en France, et une vingtaine de nouveaux par semaine depuis le début de l'épidémie, Ollca propose des services tels que la livraison et le retrait express en boutique. "Nous voulons remplacer l'acte d'attente dans les commerces pour limiter les risques de contamination, mais préserver le contact entre les clients et les commerçants", complète le CEO. 

Il faut dire que les enjeux sont multiples pour les commerçants : s'affirmer aux côtés de la grande distribution mais aussi faciliter l'écoulement des stocks sans perdre de l'argent. D'après Nicolas Passalacqua, CEO de Octipas, solution de digitalisation des points de vente pour les grandes enseignes, la démarche des commerces de proximité est encourageante. "C'est un bon début même si leur site Internet n'aura pas forcément un grand taux de transformation. Dans un premier temps, ce sera un moyen d'écouler les stocks et de sauver l'activité. Mais l'étape d'après, c'est le paiement en mobilité, qui est aussi une offre essentielle en pleine épidémie, précise Nicolas Passalacqua. Or, ces processus sont plus longs à mettre en place car ils requièrent une modification totale du système de paiement."

Le réveil des pharmacies pour tenir la cadence

En tant que gestionnaire des centres commerciaux Carrefour en Europe, la foncière Carmila accompagne les initiatives locales en faveur de la digitalisation de ces lieux qui restent ouverts aux clients durant le confinement. Au sein des 129 centres commerciaux Carrefour en France situés dans des villes de taille moyenne, 6% des commerces présents accueillent du public en ce moment, parmi lesquels une centaine de pharmacies. Une semaine après le début du confinement, la directrice du centre commercial Carrefour d'Aix-en-Provence a suggéré à la pharmacie installée sur place d'intégrer la plateforme monAppliPharma. Le but ? Permettre aux clients d'y déposer leur ordonnance en ligne et aux pharmaciens de prendre le relais en apportant les médicaments au client stationné à l'extérieur. Le client échappe à la file d'attente et le pharmacien peut continuer d'exercer son activité en sécurité. L'application monAppliPharma a notamment été recommandée par Carmila à la pharmacie du centre commercial Carrefour de Montesson, en région parisienne alors que celui de Vénissieux, près de Lyon, a choisi l'application Valwin. En renfort, la foncière Carmila a communiqué sur l'intégration de ce nouveau dispositif auprès de la base de données des clients finaux.

Toujours rayon pharmacies, la country manager France de la marketplace spécialisée Doctipharma, rachetée en 2019 par l'espagnole PromoPharma, observe une prise de conscience de la part des professionnels du secteur. "Les pharmacies françaises sont prêtes à la digitalisation et ont bien saisi l'intérêt du e-commerce. Mais ce n'est pas leur métier à l'origine et nous devons les accompagner. C'est pour cela que les pharmaciens qui nous rejoignent ne s'occupent que de la préparation des commandes. En ce moment, certaines pharmacies ont des centaines de colis à préparer", explique Jessica Capuano, country manager France de Doctipharma. Depuis le 23 février, le site a enregistré une hausse de 100% en transactions et en trafic. Côté ventes, les gels hydro alcooliques, les masques et les soins hygiéniques ont bondi de 300%. Chez Doctipharma, les équipes gèrent tout, aussi bien le contenu des fiches produits, que les relations avec les partenaires de livraison et la partie paiement. Avec 150 pharmacies, le réseau Doctipharma qui ne procède à aucun frais d'inscription et qui engrange les commissions uniquement sur la base des ventes réalisées, a noté six demandes entrantes de pharmacies depuis le début de l'épidémie. "En termes de digitalisation, le réseau pharmaceutique français souffre d'une image négative. Mais les circonstances actuelles changent la donne, avance Jessica Capuano. La profession perçoit désormais le numérique comme un allié et un canal complémentaire de vente." Nécessité fait loi.