Emmanuel Deschamps (Boulanger) "Boulanger est en train de tester la vente par téléphone"

Le JDN poursuit sa série d'interviews sur la réaction des entreprises face au coronavirus. Le directeur général de Boulanger en France raconte notamment comment le groupe a développé la vente en drive pour répondre aux demandes des clients.

Emmanuel Deschamps, directeur général de Boulanger en France. © Boulanger

JDN. Comment la crise du coronavirus s'est-elle fait ressentir sur votre activité  ?

Emmanuel Deschamps. Boulanger n'a pas rencontré de problème d'approvisionnement et n'a donc pas subi d'impact avant le début du confinement à la mi-mars. La fermeture des usines en Chine en début d'année nous avait poussé à réaliser des stocks importants, qui nous servent actuellement. Par contre, la fermeture de l'ensemble de nos 170 magasins dès l'annonce du confinement a été vécue violemment, on ne s'y attendait pas.

Quelle a été votre réaction pour y faire face ?

Boulanger a entièrement basculé sur le digital, et nous enregistrons sur le site deux fois plus de visites que l'an dernier. Nous assurons depuis le début les livraisons à domicile mais rapidement nous avons rencontré des difficultés sur le dernier kilomètre : les délais de livraison s'allongeaient car nos partenaires ont été saturés. Nous avons fait appel à des prestataires supplémentaires et nous utilisons les véhicules de nos techniciens informatiques pour effectuer nous-même une partie des livraisons de petits colis. La mise en place de drives avec des comptoirs donnant sur la rue s'est imposée pour répondre à cette difficulté. Cela nous a permis de satisfaire nos clients tout en garantissant la sécurité de notre personnel. L'initiative a été très bien accueillie. Aujourd'hui, 150 drives sans contact sont en place pour délivrer les produits commandés en click&collect sur notre site web.

"La clé pour faire face à une crise est l'agilité. Il ne faut pas attendre d'être prêt à 100% pour se lancer. C'est ce que nous avons fait pour les drives"

Quelles actions avez-vous entreprises en interne pour vous réorganiser ?

Nous avions la volonté de sécuriser les rémunérations des salariés et d'assurer un service minimum. 70% de nos 9 000 salariés sont chez eux, une part en chômage partiel, l'autre en télétravail, et 30% effectuent les préparations dans les entrepôts, les livraisons et la gestion des drives. La clé pour faire face à une crise est l'agilité afin de s'adapter à la situation. Il ne faut pas attendre d'être prêt à 100% pour se lancer. C'est ce que nous avons fait pour les drives, une première pour nous. Nous nous sommes d'abord lancés rapidement sur trois points de vente avant d'étendre ce format en nous appuyant sur les retours des consommateurs, avec des retraits piétons et parking. Il est également essentiel de bien communiquer en interne et auprès de nos clients pour les rassurer. Qui plus est, nous tenions à faire notre part pour aider les médecins face à la situation.

Comment cela s'est-il concrétisé ?

Nous avons noué un partenariat avec la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France pour délivrer des tablettes dans le cadre de l'opération "un monde de liens". Nous avons fait un don de 10 000 tablettes, la fondation également, et nous avons cherché des partenaires pour qu'un total de 30 000 tablettes soit distribué aux patients pour communiquer avec leur médecin et leur famille. Ensuite, dès le 20 mars dernier nous avons mis notre service de télémaintenance à distance à disposition de trois plateformes de télémédecine (Medaviz, Hellocare et Rofim, ndlr). Troisième initiative, Boulanger a instauré une conciergerie numérique pour le monde médical. Nous avons notamment eu le cas d'une infirmière qui nous a contacté à la suite d'une panne de son lave-linge, elle a pu être dépannée le jour même.

Par ailleurs, nous nous sommes rendus compte que parmi notre base de clients, les seniors ont disparu de nos ventes pendant le confinement, signe d'une fracture numérique. Nous sommes ainsi en train de tester depuis quelques jours la mise en place d'un numéro dédié pour proposer un accompagnement et la vente par téléphone.

Quels sont les produits les plus demandés en cette période particulière ?

La demande évolue en même temps que dure le confinement. La première semaine, nous avons enregistré de fortes demandes sur l'équipement connecté de bureautique et les webcams pour répondre aux besoins du télétravail et de la télémédecine. Les tablettes, un produit dont les ventes étaient en sommeil, ont désormais le vent en poupe. La troisième semaine de confinement a vu l'essor des produits destinés au do it yourself : machine à pain, robot de cuisine, machine à coudre en tête. Sur notre site, les contenus éditoriaux présentant des recettes ou des tutoriaux sont quatre fois plus consultés depuis le début du confinement et les internautes restent deux fois plus longtemps sur ces pages. Depuis le 20 avril, c'est au tour des tondeuses à cheveux de figurer parmi les plus grandes requêtes.

"Nous organiserons les magasins pour étaler les activités et garantir la distanciation physique"

Comment anticipez-vous la reprise ?

Nos magasins resteront fermés avec une activité digitale et en drive jusqu'au 11 mai. A cette date, nous avons la volonté de rouvrir avec un haut niveau de sécurité. Nous organiserons les magasins pour étaler les activités et garantir la distanciation physique. Nous distribuerons des masques, des gants et des lunettes ou une visière à nos employés. Des parois en plexiglas seront installées aux caisses et du gel hydroalcoolique mis à disposition en magasin. Enfin, nous menons un POC pour donner aux clients la possibilité de prendre rendez-vous pour le service après-vente.

Quelle est votre vision à moyen terme de l'évolution du marché ?

La consommation va se recentrer sur les produits essentiels. Avec la fermeture des frontières, il est possible que les produits made in France soient privilégiés, ce qui renforcerait une tendance que l'on commençait déjà à observer. Du côté des retailers, ceux qui s'en sortiront sont ceux qui ont développé l'omnicanalité. La connexion des systèmes d'approvisionnement en temps réel va certainement s'accentuer. Le livreur connecté va devenir incontournable pour garantir un lien avec le client.

Fort d'un parcours opérationnel en magasin, Emmanuel Deschamps évolue au sein de Boulanger depuis 1996. D'abord directeur de magasin, il a ensuite occupé les fonctions de directeur régional et directeur opérationnel en France, où il a notamment supervisé des sujets digitaux. Après une parenthèse de deux ans chez Alinéa aux mêmes fonctions, entre 2017 et 2019, Emmanuel Deschamps a pris la tête de Boulanger en France en janvier 2020.

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