Joshua Silberstein (Thrasio) "Thrasio réalise entre deux et quatre acquisitions de vendeurs Amazon chaque semaine"

Financé à hauteur de 1,85 milliard de dollars, l'américain Thrasio rachète à tour de bras des boutiques sur Amazon pour les développer en mutualisant leurs coûts. Son fondateur décrypte ce business model d'un nouveau genre.

JDN. Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser sur l'acquisition de vendeurs issus de la marketplace d'Amazon ?

Joshua Silberstein est cofondateur et co-CEO de Thrasio © Thrasio

Joshua Silberstein. En 2018, nous sommes partis du constat que beaucoup de vendeurs sur Amazon rencontraient des difficultés à scaler leur activité. Bien souvent, lorsque le chiffre d'affaires passe de 1 à 10 millions de dollars et que le catalogue produit se diversifie, il devient difficile de tout gérer avec une équipe réduite et d'exceller dans des domaines aussi variés que le marketing, la logistique, l'administratif, etc. Parce qu'elles ne sont pas structurellement préparées pour cette croissance, la marge réalisée par ces entreprises se réduit. Parallèlement à cela, il n'est pas simple pour ces entrepreneurs de revendre leur société dans un secteur où il y a plus de vendeurs que d'acquéreurs. D'autant que ces opérations peuvent prendre plusieurs mois, sans avoir de garantie que l'acquisition sera finalisée. Thrasio répond à tous ces problèmes.

Combien de marques avez-vous racheté depuis 2018 ?

Nous gérons un portefeuille de 114 marques pour un total de 20 000 produits. Nous réalisons deux à quatre acquisitions chaque semaine. Ces opérations sont réalisées en moins de 35 jours et nous finalisons 98% de nos term sheets, ce qui rassure les entrepreneurs. Thrasio emploie plus de 1 000 collaborateurs et nos principaux bureaux sont basés à New York, Boston et Houston. Nous comptons également des collaborateurs à Salt Lake City et à Los Angeles mais aussi à l'international, notamment aux Philippines, au Pakistan, en Ukraine, au Portugal, en Allemagne et en Grande-Bretagne

Concrètement, comment faites-vous pour gérer simultanément le développement d'autant de marques ?

"Nous regardons aussi des entreprises qui ne génèrent pas de revenus sur Amazon"

Notre idée de départ était de pouvoir acquérir suffisamment de sociétés pour pouvoir réaliser des économies d'échelles et ainsi recruter des spécialistes dans chaque domaine. Pour faciliter l'organisation, des responsables sont nommés pour gérer chaque marque. À tout moment, un responsable peut demander à notre équipe marketing (qui travaille pour l'ensemble de notre portefeuille) de réaliser une campagne sur Google par exemple. Cela fonctionne aussi dans le sens inverse : l'équipe marketing peut suggérer aux responsables de marques de réaliser une campagne sur Spotify s'ils observent de bons résultats avec une autre. Ce système nous permet d'être efficace en ayant de vrais experts dans chaque domaine, plutôt que des gestionnaires de marques qui feraient tout à la fois.

Quels sont vos principaux marchés ?

Nous recherchons des sociétés dans le monde entier. Nous avons ouvert un bureau en Chine et au Japon. Nous sommes également très intéressés par de potentielles marques à acquérir en France. En général, les vendeurs Amazon européens que nous rachetons distribuent leurs produits à travers toute l'Europe. Par ce biais, 3 000 à 4 000 de nos produits sont distribués sur le marché français.

Comment sélectionnez-vous les sociétés que vous rachetez ?

"Nous avons commencé à créer des sites Shopify pour certaines de nos marques"

Nous n'investissons pas dans des effets de mode. Nous recherchons avant tout des produits qui répondent à des problèmes concrets de la vie de tous les jours : des produits d'entretien, des protections de sport pour enfants, des pièges à insectes, des appareils pour masser les pieds, etc. Une fois identifiés, nous commandons les produits les mieux notés sur Amazon répondant à ce besoin. Nous demandons à une dizaine d'employés d'évaluer les produits reçus puis d'effectuer un classement en fonction de la qualité.

D'une centaine de produits au départ, nous arrivons à une liste des cinq produits. Nous regardons ensuite si certains ont un avantage compétitif particulier et nous lisons les avis laissés par les clients. Enfin, nous étudions s'il y a un potentiel pour la marque de croitre davantage, que ce soit en modifiant le produit ou en lançant d'autres.

Qu'entendez-vous par "marque" ? S'agit-il de revendeurs ou de fabricants qui utilisent la marketplace d'Amazon pour distribuer leurs produits ?

Dans 99% des cas, il s'agit de vendeurs qui conçoivent leurs produits, qui par conséquent ne peuvent pas être achetés ailleurs. Nous recherchons en effet des produits uniques sur la marketplace nous conférant un avantage concurrentiel. Dans certains cas, pour des entreprises qui ont un catalogue comptant une centaine de produits, il peut arriver que certains produits ne soit pas exclusifs.

Ces marques sont-elles bénéficiaires ?

Nous achetons actuellement des entreprises dont l'Ebitda moyen est autour d'un million de dollars. Toutes génèrent des profits. Sur les 114 marques de notre portefeuille, seulement moins d'une dizaine sont moins rentables que quand nous les avons rachetés. Pour la plupart, elles réalisent aujourd'hui plus de profits qu'avant leur acquisition.

Le nom Thrasio n'apparait pas au côté de marques que vous détenez. Prévoyez-vous, à terme, d'apposer le nom Thrasio sur toutes les marques du groupe ?

"Toutes nos marques sont bénéficiaires"

Nous effectuerons probablement ce changement de nom dans le futur, mais c'est un processus qui prend du temps, notamment pour modifier et uniformiser tous les packagings de nos produits. La marque Thrasio devra inspirer qualité et confiance dans l'esprit des consommateurs, peu importe la catégorie de produits. Il arrive toutefois que nous lancions nos propres marques lorsque nous identifions un secteur intéressant et que nous ne trouvons pas d'entreprise à racheter.

Envisagez-vous d'acquérir des marques qui ne vendent pas sur Amazon ?

Nous sommes ouverts. Nous avons initialement démarré en ciblant essentiellement des entreprises tirant leurs revenus d'Amazon et de son système FBA (Fulfillment By Amazon, ndlr) mais nous étudions désormais des acquisitions de sociétés qui ne sont pas présentes sur la marketplace. Nous nous posons toujours la question de savoir si la marque en question peut s'intégrer dans le système que nous avons bâti et si nous pouvons l'aider à croître. Par exemple, nous pourrions racheter des entreprises du retail qui ne vendent pas sur Amazon. A terme, nous distribuerons sûrement nos produits via différents canaux et pas uniquement sur Amazon, que ce soit à travers le retail ou des sites DTC (direct-to-consumer, ndlr) notamment.

Avez-vous déjà des marques qui vendent leurs produits en dehors de l'écosystème Amazon ?

Oui. L'an dernier, nous avons commencé à créer des sites Shopify pour 7 ou 8 de nos marques. Ces sites DTC ont rencontré beaucoup de succès et nous prévoyons d'en créer pour plusieurs dizaines d'autres l'an prochain. Cela ne fait pas forcément sens pour toutes les catégories, notamment pour les produits de faible valeur marchande. Mais ces sites nous permettent de toucher un autre type de clients et de présenter la marque et les produits différemment.

Vous avez levé plus de 1,85 milliard de dollars à la fois en dette et en equity depuis 2018. Quelle est la prochaine étape pour Thrasio ?

Je ne crois pas que nous ayons réellement de la concurrence aujourd'hui. Certaines entreprises ont essayé de copier notre business model sans comprendre que ce que nous faisions était loin d'être facile. Nous avons près d'un milliard de dollars de cash de côté, ce qui nous permet d'être en position de mettre en œuvre notre vision. Lever à nouveau des fonds n'est donc pas une priorité mais nous l'avons déjà fait par le passé et donc ce ne serait pas surprenant si nous réalisions un nouveau tour. Nous voulons continuer à acquérir de belles entreprises.

En 2002, Joshua Silberstein crée Citywise Guides, une société qui publie des guides pour professionnels urbains. En 2005, il devient CEO de Healthguru Media puis président de Kirata Media en 2013, avant de devenir, trois ans plus tard, président de SimpleReach, une plateforme d'analyse de données pour contenus marketing. Il est diplômé d'un BS en économie de l'université de Pennsylvanie et d'un MBA de l'université de Columbia.