Pierre Kosciusko-Morizet (Priceminister.com) "Rakuten veut faire de Priceminister le leader européen de l'e-commerce"

Au soir du rachat de son groupe Priceminister par le géant japonais de l'e-commerce Rakuten, Pierre Kosciusko-Morizet revient sur les détails de l'opération et le futur de sa société.

JDN. Vous venez de signer la vente de 100 % du capital de Priceminister au Japonais Rakuten. Quels sont les détails financiers de l'opération ?

Pierre Kosciusko-Morizet. La transaction avoisine les 200 millions d'euros, payés intégralement en cash. Comme toujours dans ce type d'opération, tous les actionnaires ont vendu leur parts : fondateurs (47 % du capital, ndlr), salariés (10 % environ), fonds et investisseurs privées (43 % environ).

Les multiples sont très bons, ils se situent dans la fourchette haute du marché. Tout-à-fait logique, puisque nous sommes devenus très rentables. Il y a deux ans, les multiples étaient plus élevés mais nous étions plus petits. Aujourd'hui les multiples sont plus bas mais nous avons beaucoup grossi. La valorisation de Priceminister ne relève pas de la spéculation, mais d'une forte croissance.

L'accord comprend-il une clause d'earn-out ?

Les fondateurs s'engagent à rester cinq ans à la tête de Priceminister, donc il y a une rémunération en face.

Pourquoi cet engagement écrit à rester cinq ans ? Qui avait besoin de garanties ?

Rakuten n'a pas d'équipe en Europe aujourd'hui. Ils ont créé une activité juridique il y a deux ans, Rakuten Europe, dans laquelle il n'y a que nous. Ce rachat est leur manière de s'implanter et de se développer en Europe. Leur vision : devenir le premier e-commerçant au monde. Ils sont premiers au Japon, ont déjà posé des pions en Asie et aux Etats-Unis, mais ne sont pas encore présents ici. Ils pensent qu'avec leur aide, notre équipe peut beaucoup se développer en Europe. Nous conservons donc le même objectif qu'avant, avec des moyens plus importants.

Qu'est-ce qui va changer pour Priceminister ?

Appartenir un groupe aussi puissant et rentable va nous apporter une couche d'ambition supplémentaire. Rakuten n'est pas là pour faire de l'optimisation à trois mois, mais pour devenir leader... et nous faire devenir leaders. Cela nous libère aussi de la pression des actionnaires, qui veulent un jour vendre, l'autre entrer en bourse.  

D'autre part, Rakuten, dont le chiffre d'affaires atteignait pas moins de 3,2 milliards de dollars en 2009, est le premier spécialiste mondial du BtoBtoC. Ce domaine ne représente aujourd'hui que 40 % de notre volume d'affaires, mais avant de signer, nous avions déjà beaucoup de projets dans ce domaine, car il est en pleine croissance. Avec l'expertise de Rakuten, nous allons pouvoir développer plus d'outils pour les vendeurs, avoir des relations commerciales plus suivies avec eux, apprendre à mieux développer leur chiffre d'affaires... A titre d'exemple, parmi les 33 000 vendeurs professionnels commercialisant leurs produits sur Rakuten, certains font plus de 1 million de dollars de chiffre d'affaires mensuel. C'est le cas par exemple d'un vendeur d'œufs frais !

La priorité de Rakuten va aussi être de développer votre activité dans le reste de l'Europe...

Nous allons effectivement bénéficier de plus de moyens pour cela, en particulier pour réaliser des acquisitions. Elles auront a priori lieu hors de France. C'était peut-être moins clair avant, mais désormais nous donnerons la priorité aux acquisitions dans de nouveaux pays plutôt que dans de nouveaux métiers en France. Avec son prisme résolument européen, il n'y a pas de pays sur le continent où Rakuten ne veuille pas aller. Et devenir numéro 1 dans le monde peut prendre plusieurs chemins. Si nous avons des idées de sociétés à racheter, il n'y aura donc pas de problème. Nos nouveaux moyens ouvrent d'ailleurs la voie à des acquisitions de sociétés plus importantes.

Avez-vous néanmoins des projets de diversification ?

Rakuten est comme nous une marketplace. Ils ont également un site de voyage leader au Japon, des participations dans des gros sites, une banque, des services d'assurance... Mon sentiment est qu'avoir une marketplace dans un pays, puis développer d'autres services qui viennent alimenter sa croissance, est une très bonne façon de procéder. C'est d'ailleurs bien par les marketplaces que Rakuten attaque le Web marchand mondial. En rachetant Buy.com aux Etats-Unis, en concluant une joint venture en Chine avec Baidu, en rachetant le leader des marketplaces en Thaïlande, en montant une joint venture en Indonésie sur une marketplace... Nous allons rester sur cette stratégie.

Vous avez toujours parlé de Priceminister comme d'une réussite française et, plus généralement, défendu les e-commerçants français. Les Français sont-ils vraiment trop petits pour résister à leurs concurrents étrangers ?

D'un point de vue business, nous avons démontré que nous pouvions rivaliser avec les sites étrangers. Par exemple, nous avons dépassé eBay en audience en mars, d'après Médiamétrie. Les plus grosses croissances du Web marchand en France sont Vente Privée et Priceminister : deux Français.

Du point de vue financier, c'est une autre affaire. Il est très difficile de trouver des liquidités pour les actionnaires français. En dépit de ce qu'ils disent, les investisseurs ne mettent pas leur argent dans l'e-commerce. Quand une société a besoin d'un événement de liquidité, elle peut aller en bourse, qui en France la valorisera très mal, ou se tourner vers l'industrie, mais peu de groupes sont prêts à payer un site 200 millions d'euros. Nous avons été contactés par beaucoup d'acteurs qui voulaient nous racheter et nous avons toujours trouvé les Français très frileux. Ils ne proposaient pas du tout les mêmes multiples. Les offres internationales n'étaient pas comparables. Il existe un vrai problème de sortie pour le capital risque en France.

Qu'est-ce qui vous a plu, dans l'approche de Rakuten ?

Son patron, Hiroshi Mikitani, est aussi son fondateur. C'est un homme exceptionnel, doté d'une vraie vision. J'ai hâte de travailler avec lui. Il n'est pas là pour l'argent car il en a déjà beaucoup, mais pour réaliser son ambition de devenir leader mondial. C'est une vision à cinq ans. C'est désormais aussi mon approche. Priceminister est petit (39,9 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2009, ndlr) mais il veut nous donner les moyens de devenir le leader européen de l'e-commerce.

De plus, j'ai l'impression que les Américains pensent soit que le monde est à leur image, soit qu'ils pourront modeler les gens à leur image. Voyez combien les patrons de filiales françaises de groupes américains ont peu de marge de manœuvre... De ce que je perçois, les Japonais sont, et pour cause, bien plus lucides sur l'importance des décalages culturels entre les pays. Ils ont donc conscience qu'il est plus intelligent de confier leur développement européen à une équipe locale.

Comment Rakuten s'intégrera-t-il aux prises de décisions stratégiques de Priceminister ?

Nous avons des garanties, des engagements forts : nous n'avons pas carte blanche, mais c'est bien nous qui gérerons Priceminister. Sinon, l'offre de Rakuten ne nous aurait pas intéressés. S'ils estiment que nous sommes mauvais, ils nous diront de partir. Mais ils ne nous dirons pas comment conduire notre business. Nous partons du principe qu'ils nous font confiance.

D'ailleurs, les équipes étaient souriantes, ce matin, ce qui m'a fait très plaisir. Les collaborateurs savent que nous restons pour au moins cinq ans, qu'il n'y a pas de postes redondants, que nous allons avoir plus de moyens et bénéficier de l'expertise d'un e-commerçant fantastique.

Comment vous est parvenue la proposition de Rakuten ?

Un jour, en début d'année, notre service client a reçu un email de Rakuten, qui demandait à entrer en contact avec les dirigeants de Priceminister. Nous les connaissions surtout de nom, nous avons donc regardé plus précisément qui ils étaient, réalisé leur taille et commencé à discuter avec eux. Nous sommes allés les rencontrer à Tokyo et le process s'est accéléré fin avril. Nous avons signé ce matin à 8h50.

Priceminister en quelques dates :

 2000 : création de la société, première levée de fonds.

 2001 : lancement du site, deuxième levée de fonds.

 2002 : troisième levée de fonds.

 2005 : lancement du site de petites annonces automobiles PriceMinisterAuto, quatrième et cinquième levées de fonds.

 2009 : lancement de Priceminister.es

 2007 : acquisition de Mixad/321Auto, AVendreALouer, Planetanoo et VoyagerMoinsCher.

 2008 : l'introduction en bourse est annulée, lancement de Priceminister.co.uk.

 2010 : PriceMinister devient de 1er e-commerçant français devant eBay en audience (panel Nielsen Mediametrie NetRatings), rachat par Rakuten.