La Hadopi britannique fait peur aux gestionnaires d'extensions Internet

Un projet de loi sur l'économie numérique provoque l'émoi en Angleterre. L’industrie du nommage locale, notamment, a peur d’être laminée si le texte passe…

Telnic, le registre du .TEL (donc gestionnaire de cette extension), a sorti la grosse artillerie : communiqué de presse alarmiste et "twitition" tous azimuts (pétition organisée sur Twitter, ici)... Pourquoi une telle mobilisation ? Le titre de la pétition est parlant : "Contre l'ingérence du gouvernement britannique dans la gestion de Telnic" !
 
Telnic n'est pas le seul à s'émouvoir d'un projet de loi partageant bon nombre de traits communs avec notre Hadopi. La DEB ou "Digital Economy Bill" (loi sur l'économie numérique) est toute aussi décriée outre-manche que notre version l'a été chez nous. Pas étonnant, puisqu'elle semble afficher les mêmes travers.
 
Ainsi, les britanniques se sont-ils émus de ce texte suggérant que les fournisseurs d'accès à Internet puissent surveiller la connexion de leurs abonnés dans le but, bien sûr, de détecter ceux qui téléchargent illégalement. Qu'il soit Anglais ou Français, lorsqu'il se penche sur Internet, le législateur est enclin d'avoir les mêmes mauvais réflexes. La DEB propose ainsi une déconnexion sommaire de l'Internaute téléchargeur après 3 sommations. Pas de recours ou de passage devant les tribunaux : le FAI déconnecte, un point c'est tout.
 
La mesure parait inique, comme le souligne un bloggeur britannique. "Aujourd'hui, les FAI ne surveillent pas ce que font leur abonnés. D'abord parce que cela représenterait une intrusion dans la vie privée de leurs clients, mais aussi parce que ce serait très cher à mettre en place. Imaginez une loi obligeant la poste à ouvrir toute lettre, colis ou paquet qu'elle achemine pour vérifier qu'ils ne contiennent pas de CD copiés et vous commencez à comprendre pourquoi la mise en place d'un tel dispositif au niveau d'un FAI est chère. Un coût qui se répercuterait forcément sur l'abonné."
 
Mieux contrôler le registre national 
On retrouve donc avec ce texte de loi des débats très similaires à ceux entendus en France autour de l'Hadopi. Mais les Anglais font aussi dans l'inédit puisqu'une partie de la DEB est dédiée à la fonction de registre Internet. Sous le titre "dispositif en lien avec les registres de domaines Internet", 3 sections du texte semblent nés de l'intention louable (et partagée avec le législateur français) d'exercer un contrôle accru sur le registre national.
 
Qui pourrait trouver anormal qu'un gouvernement veuille s'assurer de la neutralité de l'entité à laquelle il accorde la gestion monopolistique de cette ressource nationale qu'est l'extension du pays ? En France, l'administration a, par décret, décidé de lancer une procédure d'appel d'offre sur la fonction de registre. On suppose que l'Afnic, gestionnaire du .FR depuis de longues années déjà, sera reconduite lorsque le gouvernement donnera son verdict (à la fin de l'année ?). Néanmoins, les conditions du nouveau mandat de gestion du .FR permettront au gouvernement de mieux surveiller l'Afnic.
 
Tant mieux. Car dans notre idée de l'Internet, un registre national n'est pas une société commerciale comme une autre (tous les pays ne partagent pas cette même philosophie). Il ne doit pas utiliser l'argent généré par la commercialisation des noms de domaine dont il a la charge (sans concurrence possible puisqu'il n'y a qu'un registre) pour autre chose que la bonne gestion de l'extension nationale. Le registre assure un service public, et le gouvernement entend s'en assurer.
 
Nominet en ligne de mire  
Si l'orientation législative française ne cible que l'activité de registre national, la DEB va beaucoup plus loin. La loi est manifestement faite pour Nominet, le gestionnaire du .UK. Ce dernier a un fonctionnement proche de l'associatif. Ses membres participent activement à sa gouvernance. Des membres qui sont souvent des bureaux d'enregistrement (INDOM est membre Nominet, condition obligatoire pour pouvoir commercialiser des noms en .UK), mais pas uniquement. N'importe qui peut devenir membre et ainsi avoir le droit de voter aux assemblées générales et d'élire certains membres du Conseil d'administration.
 
Or depuis quelques années, ce système dérive. Les membres les plus actifs ne sont pas toujours les plus concernés par l'orientation d'intérêt général qui devrait être celle d'un registre national. Conséquence : le Conseil d'administration a de plus en plus de mal à fonctionner et des modifications de structure nécessaires sont régulièrement bloquées par des minorités dynamiques (la majorité des membres ne prend pas systématiquement la peine de voter).
 
Afin de pouvoir reprendre le contrôle en cas de dérive caractérisée, le gouvernement propose donc sa nouvelle loi. Manque de chance, telle que rédigée elle concerne tous les registres ! Telnic, société anglaise ayant postulé auprès de l'ICANN pour se voir attribuer la gestion d'une extension générique n'ayant rien de spécifiquement britannique, voit donc le danger poindre. "Aucune société commerciale ne pourrait accepter le risque d'une prise de contrôle par le gouvernement britannique," affirme Telnic dans un communiqué. "Les lois actuelles n'imposent aucune obligation de ce type sur d'autres fournisseurs de services. On ne peut même pas imaginer voir de tels dispositifs concerner des acteurs comme Vodafone. Pourtant, ce secteur est soumis à une régulation très forte."
 
Légiférer sans comprendre 
L'insinuation de Telnic est claire. Dans le contexte du programme de création des nouvelles extensions de l'ICANN, l'Angleterre risque avec cette loi de perdre beaucoup de sa compétitivité. Car qui oserait y installer un registre ?
 
La proposition de loi alarme même les particuliers opérant eux-mêmes leurs propres infrastructures de nommage. "A priori, vu comme il est rédigé actuellement, ce texte concerne n'importe quel opérateur d'un serveur DNS sur lequel des sous-domaine sont créés," écrit l'un d'entre eux. "Si je gère mon domaine exemple.com et que je créé des sous-domaines comme fred.exemple.com ou brian.exemple.com, je deviens un registre et je tombe sous le coup de la loi !"
 
Comment en est-on arrivé là ? Par "méconnaissance de l'Internet", d'après un autre bloggeur britannique auteur d'un post, particulièrement bien rédigé. "Si vous vous posez la question, sachez que je fais exprès de ne pas expliquer certains des termes (domainer, DNS primaire, TLD ou ICANN) que j'utilise ici," écrit-il. "Sans les comprendre, vous vous sentiriez capables de rédiger un texte de loi ? Pourtant, les bureaucrates auteurs de la DEB ne comprennent manifestement pas comment l'Internet fonctionne. Cela ne les a pas empêché d'écrire un texte de loi pour le contrôler..."