Les pionniers fêtent leur anniversaire

Il y a 25 ans, les premiers noms de domaine étaient enregistrés. Au moment où les .COM, .NET et .ORG soufflent leurs 25 bougies, petite promenade dans le passé avant d'imaginer ce que le futur nous prépare.

Dans les années 80, il était coutume de penser que l'humanité avait plus changée durant le 20e siècle qu'à tout autre moment de son histoire. Il est d'ailleurs vrai que sur le plan de la géographie, des moeurs, de la technologie, de la gouvernance, de l'économie, de la communication et des libertés, le siècle dernier a tout changé.

Puis vint l'Internet. Une nouveauté qui, à elle seule, a impacté tous les secteurs d'activité précités. Internet a raccourci nos frontières ; changé les règles du jeu en matière de sexe, de drague ou de rencontres ; révolutionné l'informatique ; obligé les états et les autorités à s'unir à la société civile et aux acteurs commerciaux au sein d'un organe de gouvernance inédit appelé Icann ; modifié la façon dont fonctionnent les flux financiers mondiaux ; fragilisé l'étreinte de certaines dictatures sur leurs peuples et favorisant les échanges d'informations venant de l'extérieur... et chamboulé le fonctionnement des médias, le partage des informations, et même la façon dont nous regardons la télévision.
 
Retour vers le futur  
Il y a 25 ans, personne ne pouvait imaginer de tels changements. Rappelez-vous, en 1985, l'URSS existe encore et Mikhail Gorbachev y devient le secrétaire général du parti communiste. Ayrton Senna remporte sa première victoire en Formule Un. Nintendo sort un nouveau jeu vidéo : Super Mario. Un téléphone portable est utilisé pour la première fois, en Angleterre. La DGSE coule le navire de Greenpeace, le Rainbow Warrior. Boris Becker devient le plus jeune vainqueur de Wimbledon de l'histoire, à 17 ans. Le drame du Heysel fait 39 morts en Belgique pendant la finale de la coupe d'Europe de football. Microsoft commercialise la première version de son système d'exploitation avec interface graphique, Windows 1. Michael Jackson achète les droits de toute la discographie des Beattles pour $47 millions. Le film "Retour Vers Le Futur" sort sur les écrans. François Mitterrand est président, Margaret Thatcher dirige le gouvernement britannique, Ronald Reagan est à la Maison Blanche...

...Et le 15 mars, le tout premier nom de domaine en .COM, symbolics.com, est enregistré. Pourquoi .COM ? On ne sait plus vraiment. Certains des chercheurs qui développaient à l'époque le système d'intercommunication appelé à devenir l'Internet se souviennent d'un .COR (pour CORporations) comme étant l'extension initialement projetée. Mais au moment de l'implémentation, le suffixe aurait été changé en .COM (plutôt pour COMpany que COMmercial d'ailleurs...). Le .COM est créé au même moment que les .NET, .EDU et .MIL (pour des applications militaires).

Le succès de ce nouveau système est loin d'être fulgurant. Deux ans et demi après symbolics.com, la zone .COM ne compte pas plus de 100 noms ! J'en connais qui aimeraient bien pouvoir remonter dans le temps, comme Marty McFly (le héros de Retour Vers Le Futur), pour profiter des nombreux noms encore disponibles à l'époque et qui valent une fortune aujourd'hui... Sept ans après la création du premier .COM, il n'y a pas plus de 15 000 noms déposés. Et il faudra attendre 1997 (nous sommes alors dans la "bulle Internet") pour voir le .COM dépasser le million de noms. Aujourd'hui, on en compte 90 millions !
 
Briser les monopoles 
Le 10 juillet 1985, une autre extension devenue célèbre enregistrait son premier nom. Tout comme le .COM, le .ORG aurait dû initialement s'appeler différemment. Elle était prévue sur le nom de .PUB (pour PUBlic). Le premier nom enregistré est mitre.org. Si la société Symbolics n'a pas duré aussi longtemps que son .COM (aujourd'hui détenu par quelqu'un d'autre), l'organisme Mitre existe toujours et continue de soutenir des projets de recherches dans des domaines comme l'aviation, la sécurité ou la santé. Tapez donc www.mitre.org pour le découvrir.

Depuis ce premier nom, le .ORG a considérablement grandi. Certes, beaucoup moins que le .COM, mais il dépasse néanmoins les 8 millions de noms. Il a également changé de gestionnaire, là où les deux autres mastodontes du nommage Internet que sont les .COM et .NET, restent aux mains de la même société.

Mais pour combien de temps ? Le monopole dont jouit actuellement le gestionnaire du .COM est contesté. Ou plus précisément, son contrat avec l'Icann, qui lui permet d'augmenter ses tarifs sans appel à la concurrence. Un organisme américain du nom de CFIT (l'acronyme de "Coalition For Icann Transparency" ou la coalition pour un Icann transparent) a en effet attaqué Verisign, le gestionnaire du .COM, en justice et a obtenu gain de cause. Verisign a fait appel, mais a été débouté il y a quelques jours. L'affaire ne devrait donc pas en rester là.

En 2003 déjà, Verisign avait perdu le .ORG, l'Icann souhaitant introduire d'avantage de concurrence sur la gestion des 3 extensions phares du Web. C'est un organisme à but non lucratif du nom de PIR qui en a récupéré la charge. Le .ORG compte alors 2,7 millions de noms...
 
Révolution continue  
Verisign et PIR ont tous les deux fêté les 25 ans de leurs extensions respectives cette année à grand renfort de communiqués de presse, Verisign allant même jusqu'à ouvrir un site dédié au quart de siècle du .COM. Au-delà de la démarche commerciale et publicitaire, ces anniversaires nous rappellent à quel point notre monde a changé en 25 ans d'Internet. Vu la vitesse à laquelle le Web évolu (qui connaisait Facebook il y a 5 ans, ou Twitter il y a 3 ans ?), le Net de 2035 n'aura certainement rien à voir avec celui d'aujourd'hui.

Il ne faudra d'ailleurs pas attendre un nouveau quart de siècle pour voir l'Internet changer en profondeur. Les premières évolutions sont déjà en marche. Les nouvelles extensions par exemple. L'Icann finalise un programme pour donner à tous la possibilité de créer sa propre extension. Le but : augmenter le choix pour l'Internaute et permettre de mieux cibler le Web. Ainsi, peut-être dès 2012, votre marque préférée ne s'appellera plus www.ma-marque.com mais directement www.ma-marque.
Les villes et régions du monde s'intéressent aussi énormément à ce programme. Paris travaille sur un .PARIS, tout comme Berlin (.BERLIN), New York (.NYC), Barcelone (.BCN) et beaucoup d'autres villes du monde. On s'attend aussi à voir des extensions génériques créées. Demain, ceux qui aiment le sport prendront peut-être l'habitude d'aller directement consulter des sites sous le .SPORT, tandis que les personnes ayant la fibre écolo consulteront en priorité des pages avec des adresses Internet se terminant en .ECO.

Cette catégorisation renforcée du contenu Internet est d'ailleurs déjà en marche. Le mois dernier, l'Icann a approuvé la création du .XXX, extension réservée aux sites à caractères pornographiques. Pour obtenir un nom de domaine en .XXX, ces derniers seront contrôlés. L'idée : sous .XXX, les sites seront légitimes (réduire la peur de l'arnaque pour l'Internaute) et balisés (éviter que des enfants ou personnes sensibles tombent sur un site de ce type par hasard, comme cela peut arriver sous une extension non descriptive comme le .COM).

Autre révolution, celle des extensions en caractères non latins. A quoi servent-elles ? A permettre à ceux pour qui notre alphabet, c'est du chinois, de pouvoir quand même utiliser Internet. Imaginez-vous qu'au lieu d'avoir été inventé par les américains, le Web soit née dans un pays arabe et, par conséquent, qu'il faille maîtriser cet alphabet pour l'utiliser. Vous auriez hâte que le régulateur sorte des IDN (le nom barbare pour ces "extensions internationalisées", c'est à dire acceptant tous les alphabets).

Les IDN ont été ratifiés par l'Icann à la fin de l'année dernière après de longues années de travail pour développer et fiabiliser les technologies spécifiques nécessaires à leur exploitation. Plusieurs pays s'apprêtent à ouvrir leurs extensions nationales en IDN : la Russie (en cyrillique), les Emirats ou l'Egypte (en arabe) ou Taiwan (en chinois). Pour certains, l'attente était tellement forte qu'à peine activée par l'Icann, leur extension était déjà mise en service. C'est le cas des chinois. Testez le en tapant
教育部。中国 par exemple.

Très rapidement, les évolutions du Net mélangeront ces deux développements. Ainsi Verisign travaille actuellement sur des versions non latines de ses extensions, le .COM et le .NET. A terme, l'idée serait de combiner toutes les versions pour que, par exemple, un Internaute russe puisse taper www.google.com intégralement en cyrillique et se retrouver au même endroit que l'Internaute français tapant la même adresse, mais cette fois en caractères latins. Un tel développement faciliterait bien entendu la vie de tout le monde et accélèrerait le développement de l'Internet dans le monde.

Et puis à 25 ans, il était grand temps que les extensions pionniers de l'Internet apprennent à parler autre chose que l'Anglais !