La fin de l'Internet monolingue

En terme de contenus, l'Internet parle plusieurs langues depuis des années. Et en terme d'adresses ? 2010 marque l'arrivée des premières extensions en version originales. Plusieurs de ces nouvelles extensions fonctionnent déjà. Panorama.

Des mots comme "IDN" ou "Icann" vous disent-ils quelque chose ? Si la réponse est non, vous faite partie des gens normaux qui utilisent l'Internet comme ils utilisent leur voiture, sans ce soucier de comment marche le moteur. Vous vous contentez de mettre tourner la clef pour démarrer. Facile.

Mais pour de nombreux Internautes dans le monde, ces mots barbares pourraient leur changer la vie. Car aujourd'hui, pour naviguer sur Internet il faut obligatoirement pouvoir taper des caractères en anglais. Plus pour longtemps, grâce aux IDN. Par quel miracle ? Les "Internationalized Domain Names" visent à permettre l'utilisation de tous les alphabets du monde sur un réseau Internet conçu à l'origine uniquement pour les caractères latins de la langue anglaise. L'Icann, le régulateur du nommage sur Internet, a ouvert fin 2009 la possibilité de créer des extensions en IDN. Elles fonctionnent avec un codage spécifique.
 
Aller plus loin que les seuls caractères latins 
A la base, l'Internet ne marche que en ASCII (le "American Standard Code for Information Interchange" est un jeu de caractère conçu pour permettre une représentation informatique de l'Anglais). Il n'est pas possible de taper directement une adresse en arabe ou en chinois. Pour que les ordinateurs puissent fonctionner avec une extension IDN, il faut donc avoir recours à une astuce. On a inventé un codage, chaque extension non latine démarrant toujours par les 2 lettres "xn" suivies de 2 tirets.

Cela permet de les représenter de 3 manières différentes pour les rendre exploitables par tous, sur tout type de système. Elles peuvent soit être écrites en version codée (xn--ygbi2ammx), en version originale (فلسطين) ou dans leur version traduite (le .PALESTINE en l'occurrence). Attention, seules les 2 premières sont utilisables dans un navigateur. La version codée sera acceptée par toutes les machines (par exemple, http://xn--fhqya62el8j7s3b.xn--fiqs8s est une adresse Internet en chinois qui fonctionne déjà). En revanche, la version en caractères natifs peut poser problèmes sur certains navigateurs trop anciens.
 
Mais pour les pays concernés par ces extensions IDN, le problème est plus de pouvoir taper dans sa langue que de trouver un navigateur susceptible de la comprendre. Ce luxe - ne plus devoir passer par l'anglais - est tellement attendu que l'Icann avait déjà reçu 31 demandes de création d'extensions IDN. Des pays comme la Palestine, le Quatar ou le Sri Lanka, pour qui l'Internet vient de passer du noir et blanc à la couleur, leurs Internautes n'ayant plus à supporter une barre de navigation monochrome - en Anglais uniquement.
 
3 critères et 3 étapes 
Comment fait-on pour obtenir une extension IDN de l'Icann ? Avant tout, il faut être un pays. Il faut aussi remplir 3 critères. Le premier semble assez évident, puisqu'il s'agit de demander une extension en caractères non latins. Deuxième critère, le script demandé doit correspondre au(x) langage(s) officiel(s) du pays revendiqué (il est tout à fait possible de demander plusieurs extensions pour un même pays si ce dernier utilise plusieurs langues officielles ou plusieurs alphabets). Dernière obligation, celle de passer les tests techniques imposés par l'Icann et visant à garantir la stabilité de l'Internet.

Pour traiter les demandes qui lui parviennent, l'Icann a mis en place un processus en 3 étapes. La première est celle de la préparation du dossier par le pays candidat, généralement au travers du gestionnaire (appelé "registre") de l'extension nationale existante (par exemple, pour la Chine, c'est l'entité déjà gestionnaire du .CN qui a demandé les versions IDN). La seconde est l'examen du dossier soumis. Si ce dernier est aux normes, l'extension sera alors activée... et peut être mise en fonction par le pays qui l'a demandé.
L'Icann a déjà validé 15 dossiers, dont voici la liste.
 
Chine
La Chine a demandé 2 versions d'un ".Chine", une en chinois simplifié et l'autre en chinois traditionnel. Ces extensions sont le 中国 (codage xn--fiqs8S) et le 中國 (codage xn--fiqz9S). Elles ont déjà été mises en service par le registre chinois.
 
Egypte
L'Egypte a obtenu la version arabe du ".Egypte", le مصر (xn--wgbh1c). Des sites fonctionnent déjà, comme celui du Ministère de la Communication égyptien accessible au وزارة-الأتصالات.مصر.
 
Hong-Kong
L'extension obtenue est en chinois simplifié traditionnel. Il s'agit du 香港 (xn--j6w193g).
 
Inde
L'Inde a demandé et obtenu 7 extensions ! Des versions en hindi, ourdou, télougou, gujarati, panjabi, tamoul et bengali du terme "bharat" ("Inde" en sanskrit).
 
Jordanie
L'extension obtenue par ce pays est la translitération du ".Al-Ordon" en arabe : الاردن (xn--mgbayh7gpa).
 
Corée
"République de Corée" s'écrit 한국 en hangeul, le langage officiel de ce pays. C'est donc l'extension demandée (xn--3e0b707e en version codée).
 
Palestine
La Palestine a demandé son nom de pays en arabe. Cela donne le فلسطين (xn--ygbi2ammx).
 
Qatar
Une autre extension demandée en arabe, le قطر (xn--wgbl6a) signifie tout simplement "Qatar".
 
Russie
La première extension en cyrillique validée par l'Icann ne reprend pas le nom complet du pays qu'elle représente. Les russes ont en effet préféré rester dans l'usage habituel d'une extension nationale à deux lettres, comme le .DE des allemands par exemple, en visant le ".RF" pour "Russian Federation" ou Fédération de Russie. Cela donne рф (xn--p1ai) en cyrillique.

Pionniers des extensions IDN, le .RF fonctionne déjà. Parmi les perles déjà attribuées dans ce pays où la spéculation est reine, on trouve des noms génériques comme банк.рф (banque.rf) ou недвижимость.рф (immobilier.rf). L'équivalent cyrillique de sexe.rf est non seulement attribué, mais le site fonctionnement même déjà ! Tapez www.секс.рф pour le tester.
 
Arabie Saoudite
L'extension demandée est le "AlSaudiah" ou السعودية (xn--mgberp4a5d4ar). Trois variantes représentant différentes façons d'écrire le terme "AlSaudiah" en arabe ont également été réservées par ce pays.
 
Singapour
Reflet de sa diversité culturelle, le pays a demandé son nom en 2 versions : 新加坡 (xn--yfro4i67o) est la version chinoise et சிங்கப்பூர் (xn--clchc0ea0b2g2a9gcd) la version en tamoul.
 
Sri Lanka
Une autre extension demandée en 2 versions, l'une pour "Lanka" en cingalais et l'autre en tamoul, les 2 langues officielles du pays.
 
Syrie
Le nom du pays a été demandé en arabe, soit سورية (xn--ogbpf8fl), en réservant une écriture variante, le سوريا (xn--mgbtf8fl).
 
Taiwan
A l'instar des chinois, les taïwanais ont demandé le nom de leur pays en chinois simplifié et traditionnel. Cela donne 台灣 (xn--kpry57d) et 台湾 (xn--kprw13d). Une variante a également été réservée.
 
Thaïlande
Le mot "thaï" dans ce même alphabet a été validé par l'Icann. L'extension retenue est le ไทย (xn--o3cw4h).
 
Tunisie
La Tunisie a demandé son nom en arabe, le تونس (xn--pgbs0dh).
 
Emirats
L'extension des Emirats Arabes Unis compte parmi les extensions IDN déjà très actives. Ce ".EMARAT" (xn--mgbaam7a8h ou امارات) est déjà ouvert et se pose même en concurrent direct du .COM pour les Internautes arabes. Plusieurs sites fonctionnent, à l'image de celui de l'aéroport de Dubai (دافزا.امارات).