La fibre, un cap à passer

Où en est la fibre ? Quels sont les freins ? Quels sont les acteurs qui peuvent aider à son développement en France ?

Après quelques mots tapés sur Google, j'ai pu retrouver quelques projections passées : en 2006, les prévisions de foyers abonnés à la fibre en 2010 étaient de 1,3 millions, alors que nous sommes aujourd'hui plutôt à 500.000 abonnés très haut débit : le gap parait important avec moins de 50% de l'objectif atteint. Le rapport à la population atténue cette impression :

- Taux de pénétration estimé par foyer : 5%
- Taux de pénétration obtenu : 2%

Ce semi-échec est la résultante de plusieurs facteurs :

- Un désaccord entre opérateurs sur les technologies à utiliser (GPON, FTTH)
- L'échec du FTTB du fait d'une QoS aléatoire ainsi que d'une difficulté à le déployer et le positionner (mieux que l'ADSL, moins disant que le FTTH)
- Un désaccord sur la mutualisation

Un coût d'investissement élevé :
- Génie civil
- Prestation de raccordement
- Box spécifique (ou mutualisée avec des coûts additionnels de composants)
- Des clients peu enthousiastes : avec 33% de pénétration sur les foyers raccordés, le comparatif avec l'ADSL est sans appel (73% de taux de pénétration)
- Des usages pas encore au rendez-vous, 6 mégas permettent d'avoir la TV, la VoIP et Internet sans problème
- Des propriétaires peu informés et sans compréhension des avantages de la Fibre : pour pouvoir pénétrer les immeubles, il faut l'accord d'une réunion de copropriété (avec de plus, pour certains, un souvenir douloureux du câble)

A l'origine de tous ces freins, il existe un même « problème », très spécifique à notre pays : l'immense succès de l'ADSL.

Le succès de l'ADSL rend difficile un décollage de la fibre

Il est probable que la paire de cuivre soit le problème majeur rencontré par la fibre et l'utilisation de cette dernière d'une façon aussi inattendue que pertinente ; Notamment faire passer des flux Internet puis VoIP et surtout TV sur la paire de cuivre a été un des grands virages des années 2000 et cela a complètement transformé la gestion des médias au foyer. Cela répondait de plus à des besoins clients en terme d'offre avec les appels en illimités, en terme de contenus avec l'ajout de chaines TV et en termes de qualité de service avec un affichage de pages beaucoup plus rapide qui nous a fait oublier le modem 56 K US Robotics avec la norme V90.

Une équation où tout le monde était content :

- L'opérateur : avec une utilisation d'un réseau existant qui limitait l'investissement
- Le consommateur : avec l'accès à plusieurs services pour un prix raisonnable
- L'Etat : avec un taux de pénétration Internet en croissance et un pays avec une image d'innovation

Il est vrai qu'aujourd'hui, l'image de l'ADSL est beaucoup moins sexy ; une qualité de service pointée du doigt, des pays nordiques à la pointe avec de la fibre optique et donc forcément une image de la France moins novatrice, et dernièrement un coût plus élevé.

Les faiblesses à exploiter

Concernant la partie déploiement et raccordement des immeubles, la balle est dans le camp des opérateurs et de l'Etat qui devraient pouvoir redresser la barre. Par contre, concernant le client la barrière est bien plus importante. Ce dernier n'est, à ce jour, pas encore tout à fait convaincu par cette technologie et ne voit pas pourquoi payer plus cher pour un service surtout suite à l'augmentation de la TVA qui amène à environ 40€ le prix d'une connexion fibre.

Si on reprend le succès de Free sur l'ADSL, le mix à trouver est le suivant : un opérateur qui n'est pas leader sur le marché avec une capacité à innover sur l'offre. On peut ajouter à cela, qui n'a que peu à perdre sur l'ADSL et qui a la possibilité d'apporter des plus au niveau produit.

Bouygues remplit en partie ces conditions et peut s'avérer être un concurrent redoutable :

- L'entreprise a déjà prouvé sa capacité à innover d'un point de vue offre (ex : le Quadruple Play)
- Elle a moins à perdre que les autres sur l'ADSL et donc peut se montrer plus agressive sur la fibre
- Par contre, sa profondeur au niveau portefeuille produits n'est pas à ce jour suffisante pour rivaliser mais ce retard n'est pas forcément décisif à date (comme cela a été démontré avec les récentes acquisitions ADSL).

L'augmentation des usages enfin au rendez-vous ?

Les usages ont toujours été pointés du doigt comme l'un des freins au développement de la fibre, car peu en adéquation avec les besoins du grand public, cela semble être remis en question avec l'arrivée de la 3D. Alors, évidemment, il est encore un peu tôt pour faire des estimations, mais après quelques lectures d'articles :

- Orange annonce un débit minimal de 8 Mb/s pour voir de la 3D
- Numéricâble de 15 Mb/s pour une lecture optimale (une légère différence que l'on comprend aisément du fait du monopole de Numéricâble pour la fibre et de la position d'Orange sur l'ADSL)

En ajoutant à cela le fait que seulement 20% des foyers ont une connexion supérieure à 8 Mb/s, on voit tout de suite où se situe la barrière numérique et que 80% des foyers (estimation haute) se trouveront par défaut privé de 3D du fait du manque de fiabilité de la ligne ADSL. Il est peu probable que la 3D fasse basculer le pays entier dans l'ère de la fibre optique mais il s'agit peut-être enfin de l'argument marketing qui manquait pour convertir la cible. A cela s'ajoute :

- Les besoins en Upload : avec le partage de contenus, d'album photo (voir le phénomène à la mode de cloud).
- Une réactivité et une QOS importante
- La TV connectée
- Les équipements toujours plus nombreux à être connectés au foyer : Smartphones, tablettes, TV, Ordinateurs, ...
- Des usages toujours plus consommateurs : avec du streaming vidéo (HD ou SD) toujours plus présent sur les sites de contenus
- La domotique
- Ou encore les besoins de certains foyers en multi-TV
- Enfin, la nécessité des opérateurs de se différencier des "MVNO ADSL" de plus en plus nombreux (Prixtel, Darty,...)


Notre bonne vieille paire de cuivre aura bien vécu et pourra passer le relai à des technos qui sont nées pour servir ce genre d'usage.

Un rythme de tortue pas encore préjudiciable

Il est vrai que la sensation d'être en retard et de louper un train n'est pas agréable ; Et pourtant, nous ne faisons que payer le fait d'avoir su exploiter une techno existante le mieux possible. Ce pragmatisme d'époque doit passer à la vitesse supérieure. Un frémissement technologique commence à se faire sentir et pour changer le marché actuel, l'arrivée d'un nouvel entrant semble être le meilleur compromis.