Le droit des NTIC est un sport de combat

Qui sont donc les juristes et avocats happy few du droit des NTIC ? D'où viennent-ils ? Où vont-ils ? Que veulent-ils ?

Il y a vingt ans déjà la revue Expertises des systèmes d’information se lançait vaillamment « sur la piste des caciques ». Il s’agissait de dresser le portrait d’un avocat ou juriste spécialisé en droit de l’informatique – bientôt accompagné du « multimédia ». Accessoirement, l’homme de l’art était invité à commenter la clause d’un contrat présentant une particularité notable ou une difficulté certaine. « L’industrie informatique » avait entrepris d’imposer « l’ordinateur personnel » dans les entreprises et les foyers. Elle se livrait à une guerre des standards qui avait de quoi plonger dans la plus grande perplexité le futur utilisateur contraint de choisir parmi une kyrielle de systèmes d’exploitation. On s’interrogeait encore sur le point de savoir quel format de disquette triompherait. 5 pouces Œ ou 3 pouces œ ? L’heure était encore aux échanges de données informatisés (EDI) et aux contrats télétel.

Le droit de l’informatique s’identifiait avec celui des « SSII » (sociétés de services en ingénierie informatique). Rien que de très austère. Les rangs des spécialistes demeuraient encore relativement clairsemés, les ouvrages et manuels quasiment absents. Qui étaient ces happy few ? Des agrégés technophiles qui se voulaient précurseurs, des gourous inspirés, des techniciens prudents qui hors du droit civil ne voyaient point de salut ou des zélotes du droit d’auteur à la recherche d’un régime dédié à l’œuvre multimédia. Bref, un village gaulois qui n’envisageait pas d’être envahi par une marée de prétendants.

La société de consommation et son bric-à-brac High-tech, la société du spectacle et ses usines à rêves ont rapidement multiplié les questions autant que les disputes à mesure que les réseaux informatiques innervaient notre quotidien. Désormais, le peintre cède au web-designer et le cinéaste poursuit sans fin ses créations dans les tuyaux du web 2.0. O tempora, o mores !

Entre temps, de nouvelles générations d’avocats sont apparues car, leur a-t-on dit, voilà que se dessine un « marché du droit » prometteur. Il faut pourtant jouer des coudes pour se faire une place sous le soleil de Java. Masterisés par les universités, les impétrants se le sont promis : ils ne seront pas des avocats ordinaires. À voir. Assis, debout, couchés dans un « cabinet de niche », jouant à la marchande de droit dans une « boutique IP/IT » ou intégrés à la practice d’une law firm full service, ils sont très souvent sacrifiés sur l’autel du taylorisme car invités à choisir entre l’art ou l’industrie. L’audience du jour ou les heures passées en data room figurent sur la time sheet (feuille de temps) dès lors que le dossier est billable (facturable). Le constat qui reflète l’exigence de rentabilité du moment conduit à se demander si ce juriste n’est pas finalement devenu un OS du droit. Qu’en est-il ?

À l’orée des années 1950, Norbert Wiener, l’inventeur de la cybernétique et, disons-le, de l’informatique, avait exprimé la plus grande défiance face au droit qui « parle tantôt un langage, tantôt un autre ». Dans ces conditions, il souhaitait que l’avocat puisse « être capable non seulement de savoir ce qu’un tribunal a dit, mais encore de prévoir avec une grande probabilité ce que le tribunal dira » (Norbert Wiener, Cybernétique et société, Éd. des Deux Rives, 1952, p.151). Autrement dit, des algorithmes de théorie des jeux devaient remédier à la subjectivité du juriste, mais surtout à une absence de prédictibilité incompatible avec le développement de la société de l’information. Le rêve désuet d’un avocat-technicien nourrissant son ordinateur de données pour anticiper un résultat judiciaire demeure science-fiction. Car l’avocat du droit des NTIC ne s’est pas fait pur technicien du droit de la technique. Bien au contraire, cette branche du droit apparaît plus que jamais comme un sport de combat arbitré par le juge judiciaire. Juge de ligne chargé de départager l’hébergeur de l’éditeur en dessinant leur frontière mouvante, par exemple. Un point zéro, balle au centre. Vérité au-deçà de la Cour d’appel, erreur en deçà ? Plus si sûr, car voilà désormais le juge communautaire sondé comme la Pythie de Delphes. À désespérer Norbert Wiener…