Coffre-fort numérique : quel est l'intérêt en matière de relations clients ?

Alors que les offres de « bureaux numériques » (ou coffre-fort numérique) en ligne fleurissent à l’initiative des banques, assurances et opérateurs telco, l’intérêt principal des particuliers pour ces service est détourné au profit exclusif des institutionnels qui les proposent … au risque d’étouffer dans l’œuf l’adhésion des utilisateurs cibles.

Imaginées initialement comme des outils de captation de la relation client, ces offres ignorent la coexistence et donc l’indispensable partage de cette relation entre les multiples institutionnels ou marchand dont le particulier est simultanément client.
Quel gros acteur « institutionnel » n’a pas réfléchi sérieusement, ou commencé à mettre en œuvre un Bureau Numérique (ou « Coffre-Fort Numérique ») pour ses clients particuliers ?
La frénésie semble s’être emparée de nombreux secteurs d’activité : Banquiers, Assureurs, Opérateurs téléphonie/Internet …, tous sont à la recherche du Bureau Numérique idéal pour conserver et développer leur relation client.

Pourquoi cette soudaine agitation ?

Peut-être ces institutionnels anticipent-ils à juste titre les 40 millions de clients particuliers « dématérialisés » à horizon 3 à 5 ans. Autant de clients à qui il faudra continuer de parler, alors même qu’ils n’ouvriront plus beaucoup leurs mails, ne recevront plus de courriers papier, et seront inondés quotidiennement de bons plans géolocalisés sur leur mobile.
Le Bureau Numérique, comme partie intégrante de l’espace client, leur apparaît ainsi comme une solution efficace pour maintenir la relation client sous contrôle : tous les documents du client y sont conservés, il s’y connecte donc régulièrement … chaque connexion est un « contact client » particulièrement qualifié, une occasion de lui transmettre un message, une offre ou une proposition d’action … le tour semble joué !
Mais la solution du Bureau Numérique est-elle aussi évidente, aussi performante qu’elle le semble ? Si autant de gros acteurs du marché avec leurs équipes d’experts en sont convaincus, pourquoi se poser la question ?

Et pourtant …

La conception initiale de ces offres de Bureaux Numériques a été réalisée, avec pour principal objectif, d’apporter un bénéfice à l’institutionnel : garder le contrôle sur ses clients.
Les besoins réels des particuliers ne sont envisagés et considérés à ce stade uniquement dans la mesure où ils sont compatibles avec ce premier objectif.
Les Bureaux Numérique proposés sont agrémentés de services (sécurité, partage, …) et de bonnes intentions, mais méfiance ! … les cimetières du marketing sont remplis de bons produits et de magnifiques services conçus en mode « vendor-centric », c’est-à-dire sans tenir compte des attentes clients…
La bonne (et unique) démarche en la matière est de raisonner « consumer-centric » : (i) faire partir la réflexion du client et de ses besoins, (ii) intégrer ensuite à cette réflexion les objectifs et les contraintes du vendeur (l’institutionnel) et enfin (iii) concevoir le service qui répond d’abord aux attentes clients en maximisant l’intérêt du vendeur (et non l’inverse !).

Démonstration :

1 – Quelles sont les attentes et les besoins des clients ?

La vie économique « dématérialisée » des particuliers est de plus en plus complexe à gérer : L’information de consommation[1] est pléthorique, multi-sources (+ de 20 « fournisseurs[2] » différents en moyenne), multi-formats (papier, numérique, SMS, mail, …) et multi-supports (stockée sur un grand nombre d’espaces client différents).
Les particuliers attendent une solution simple et centralisée pour consulter et utiliser eux-mêmes leurs informations de consommation. Ils recherchent ainsi (i) un service capable d’agréger automatiquement toutes les informations issues de toutes les sources hétérogènes (universalité),  (ii) une impartialité / objectivité dans le traitement et l’exploitation de ces informations (neutralité) et (iii) une palette de services capables de leur simplifier concrètement la vie quotidienne (utilité).
Nous retiendrons ici l’attente principale des clients : l’universalité.

En effet, si les différentes offres de Bureaux Numériques se différencieront par l’ampleur et la profondeur des services qu’elles proposent, aucune d’entre elles ne pourra faire l’impasse sur l’universalité des informations qu’elle agrège.

2 – Quelles sont les objectifs et les contraintes du « vendeur » (l’institutionnel) ?

À l’ère du numérique, le client particulier est de plus en plus exigeant, versatile et informé (réseaux sociaux, comparateurs, forums, …). Face à la croissance des coûts d’acquisition, la capacité  de fidélisation est un enjeu majeur.
Le vendeur cherche donc une solution pour (i) apporter un service pertinent à ses clients (valeur ajoutée) et (ii) développer un nouveau point de contact récurrent et privilégié avec eux (unicité).
Le Bureau Numérique doit ainsi s’intégrer parfaitement aux services « cœur-métier » proposés en ligne par le vendeur s’il entend maximiser l’efficacité relationnelle de chacune des connexions client.
Nous retiendrons ici l’attente principale des vendeurs : l’unicité.

La fréquence des visites clients, générée par l’intérêt du service, permet au vendeur d’augmenter le nombre et la récurrence des points de contacts utiles … En d’autres termes : le vendeur utilise l’intérêt du particulier pour des informations qui ne proviennent pas uniquement de lui pour générer une fréquence élevée de contacts qu’il va exploiter pour son propre compte.

L’unicité se nourrit donc de l’universalité.

3 – Comment concilier un service Universel pour le client et unique pour le vendeur ?

L’universalité du contenu présuppose un « libre accès » aux informations du client que le Bureau Numérique entend agréger (quelle qu’en soit la source).

Mais compte tenu de l’unicité des points de contact que génèrent ces informations au seul profit du vendeur… quel est alors l’intérêt pour un autre vendeur de laisser libre accès aux informations de ses clients à un Bureau Numérique tiers ?  Aucune, sauf à accepter délibérément de perdre une occasion de contact avec ses propres clients !
En l’absence d’intérêt commun ou partagé, le Coffre-Fort Numérique proposé par chacun des institutionnels sera ainsi dans l’incapacité d’agréger les informations clients des autres vendeurs.
Nous sommes ici au cœur de la problématique … les attentes (i) d’universalité client et (ii) d’unicité vendeur sont incompatibles !

Face à cette incompatibilité, deux choix sont possibles :

Choix n°1 : Renoncer à l’universalité.

C’est le choix qu’opèrent actuellement les institutionnels (parfois sans le savoir). Réduire le service proposé à un simple espace de stockage dont les sources d’agrégation sont extrêmement réduites et que l’utilisateur doit principalement alimenter lui-même.
L’attente principale du client n’est pas satisfaite. Quelle est alors la valeur ajoutée vis-à-vis d’un Dropbox, GoogleDrive ou iCloud ? … Pas suffisante à mon sens pour rendre l’offre de ces institutionnels attractive.

Chronique d’un fiasco annoncé !

Choix n°2 : Renoncer à l’unicité.

C’est-à-dire permettre et encourager les autres Institutionnels/vendeurs à communiquer avec leurs propres clients au sein même du Bureau Numérique.
C’est un choix audacieux, novateur, voir révolutionnaire. En effet, l’idée de « laisser les autres communiquer avec mon client sur mon bureau numérique  » est une idée révolutionnaire ! … Et pourtant indispensable.

Compte tenu de la multiplicité des offres de bureaux numériques qui est proposée aux particuliers, il est mathématiquement impossible qu’un institutionnel capte 100% de ses propres clients au sein de son offre ... Une partie non négligeable de la clientèle de cet institutionnel sera donc utilisatrice d’un bureau numérique proposée par un autre institutionnel dont elle est également cliente.
Si l’institutionnel concerné s’oppose à transmettre les informations de ses clients à ces Bureaux Numériques tiers, ces derniers s’opposeront eux aussi à transmettre leurs propres informations … retour à la case départ de l’universalité.

Pour qu’un institutionnel « A » accepte de transmettre ses informations clients au Bureau Numérique d’un institutionnel « B », il est obligatoire que « A » puisse garder et entretenir un contact directe, fréquent  et qualifié avec son client au sein du Bureau Numérique « B » … Condition que l’institutionnel « B » exigera en retour pour ses propres clients sur le Bureau Numérique de l’institutionnel « A ».

Le renoncement à l’unicité et l’acceptation du partage des occasions de contacts sont indispensables à la dynamique des Bureaux Numériques.

En conclusion

Le « Bureau numérique », qu’il soit proposé par un institutionnel ou un indépendant, doit intégrer une dimension relationnelle entre l’utilisateur particulier et ses différents institutionnels/vendeurs.
Chaque institutionnel proposant un Bureau Numérique doit ainsi se préparer (i) à développer des espaces relationnels dédiés aux autres institutionnels/vendeurs au sein de son espace et (ii) à interagir avec ses propres clients au sein des « Bureaux Numérique» proposés par les autres institutionnels ou indépendants.

L’écosystème explore actuellement ces sujets : Plusieurs acteurs se sont regroupés pour proposer aux différents institutionnels de mener une expérimentation sur des espaces « communicants » ouverts à chacun des participants dans un Bureau Numérique tiers, pour mesurer le potentiel et la pertinence de ce nouveau mode de relation clientèle « déportée ».

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[1] L’information de consommation : factures, facturettes (Carte bancaire), relevés, attestation, solde de points fidélité, contrat, durée d’engagement, date de renouvellement, durée de garantie, promotions en cours, …

[2] Fournisseur : banque, assurance, mutuelle, opérateur Téléphonie/internet/TV, opérateur énergie/eau, employeur, bailleur, fisc, CAF, sécurité sociale, caisse de retraite, école, mairie, e-marchand, société d’autoroute, garagiste, commerce de proximité, …