Les e-commerçants ont réinventé le commerce, si les boutiques physiques en profitaient ?
Imaginons que vous cherchiez un produit, tel un appareil photo sur Amazon.com. Même si vous ne l’achetez pas, vous allez laisser une foule d’indications sur votre passage. Le cybermarchand et d’autres « pure-players » vont les exploiter.
Si vous cherchez le même produit dans un magasin physique, malgré une expérience plus riche, ces informations seront perdues.
De quelles informations s’agit-il ? Les enseignes physiques pourraient-elles à leur tour les capter et en tirer profit ?
Identifions cinq techniques élaborées par les « pure players » (il y en a d’autres) :
1. Analyse du trafic,2. Détection passive des centres d’intérêt,
3. Détection active des centres d’intérêt,
4. Communication personnalisée,
5. Vente sans friction.
Sont-elles applicables dans le monde du « brick and mortar » ?
1. Analyse du trafic
Les sites web
utilisent des outils comme Google
Analytics pour mesurer leur trafic et leur taux de conversion. En magasin
cet indicateur est aussi suivi, mais le comptage par cellule photo-électrique
est dépassé. Il peut être remplacé par le comptage des demandes d’accès en WiFi
des porteurs de smart-phones. Bien que non exhaustif (60% de la population seront
équipés en 2015)
ce nouveau système permet de mesurer aussi
le temps passé en magasin, le trafic devant
la vitrine pendant les heures de fermeture, le taux de re-visite etc.
Google Analytics indique
en outre l’origine géographique des visiteurs, ce qui donne une indication de
l’attrait de la marque dans une région : inutile d’ouvrir dans une
géographie où le nombre de visiteurs internet est trop faible : le web
aide à quantifier le monde réel.
2. Détection passive des centres d’intérêt
Amazon est passé
maître dans l’art de l’exploitation du parcours
dans le magasin virtuel pour identifier les centres d’intérêt. L’internaute
retrouvera les produits qui l’intéressent sur la « home page »
d’Amazon lors de sa prochaine visite, et dans les emails qu’il ne manquera pas
de recevoir. De son côté Critéo aura enregistré sur le PC du visiteur les
cookies traçant ces mêmes centres d’intérêt, lesquels détermineront les
bannières publicitaires affichées ensuite sur le site du Figaro ou de Libération par exemple.
Dans le monde
physique Disney montre avec son initiative MyMagic+
commencée en mars 2013 à Orlando qu’un bracelet RFID confié à chaque
« guest » permet de suivre son itinéraire dans le parc.
L’identification sert de sésame à l’entrée du parc, mais aussi de trackeur à
l’intérieur. Une telle puce lisible à plus de 5 mètres de distance coûte moins
de 20 centimes. On peut la graver dans la carte de fidélité. Une enseigne comme
la Fnac pourrait alors, après avoir obtenu l’opte-in indispensable, connaitre
le temps passé par l’adhérent dans chaque rayon, et la conclusion ou non par un
achat.
3. Détection active des centres d’intérêt
Avant même l’enregistrement du parcours, Amazon a sollicité les avis des acheteurs de ses livres. C’est une façon de susciter l’engagement et détecter activement les centres d’intérêt qui permettent de préconiser des articles similaires. Aujourd’hui les occasions de manifester un intérêt sont multipliées par les « like » de Facebook ou Google+, la possibilité de lister les « Envies » à côté du panier et l’attribution d’une note jusqu’à 5 étoiles. Le magasin peut-il aussi récolter ces informations ?
La chaine C&A au Brésil expérimente le
« like » Facebook en magasin avec des cintres électroniques où il est
possible de « liker » une robe. Un afficheur indique le score pour
chaque produit : impossible d’acheter un vêtement ringard ! La RFID
façon Navigo montre que
le geste de validation est assez naturel et une carte similaire pourrait
déclencher un « like »
avec l’effet recherché dans Facebook pour le
buzz, et les ventes. Les smart-phones équipés des fonctionnalités
NFC peuvent proposer la même action.
Mais même sans
infrastructure en magasin, ni carte RFID ou NFC, tout cela est déjà possible
aujourd’hui avec un smartphone: l’application Fnac
(comme celle d’Amazon
d’ailleurs) permet de scanner le code à barre d’un article souhaité, de
consulter les avis, le prix, et de le mettre dans une liste appelée
« Sélection » ou de faire un « like ». Ainsi, comme dans
une boutique web, le commerçant peut connaitre avant l’achat les articles que
vous avez pré sélectionnés.
4. Communication personnalisée
Là encore Amazon montre
la voie avec ses mails personnalisés à l’envi. Que nous apporte la
transposition de cette technique au monde réel ? La donnée magasin va
compléter l’information sur vos centres d’intérêt, d’abord en intensité. Le
rythme des communications peut être calqué sur la fréquence des visites en
ligne ET en magasin. Ensuite l’atout du « brick and mortar » est
d’offrir une expérience bien plus variée qu’à l’écran. Il est beaucoup plus
probable d’avoir l’œil arrêté par un objet inattendu dans une vraie boutique
que dans un site web, même richement doté en suggestions. Les articles et
rayons ainsi détectés pourront être promus dans un e-mail.
Disney est allé beaucoup
plus loin en personnalisation. Lors de l’inscription au parc il demande si vous
souhaitez que Mickey appelle votre fille par son prénom quand il va la croiser.
Il y a de bonnes chances que votre petite Charlotte se souvienne longtemps du
jour où Mickey l’a reconnue pour lui dire bonjour ! Lors de la
souscription à la carte du magasin, l’enseigne devrait aussi vous demander si
vous souhaitez être identifié par le vendeur qui aura l’historique de vos
achats et le détail de vos centres d’intérêt. C’est cette identification que
Séphora a mis en place en confiant des iPod Touch à ses vendeurs
pour exploiter les informations de la carte de fidélité Maison. C’est cette
focalisation sur le client que prône
Saleforce.com cette année. La technique s’efface au service d’un vendeur
volontaire, renseigné, compétent et vous traitant enfin comme un prospect digne
de considération…
Curieusement ni Amazon ni la Fnac ne semblent exploiter la liste des « Envies » ou des « like » que vous avez exprimés. Selon l’importance du stock, le positionnement prix comparé à internet, ou l’actualité de la marque vous allez recevoir une invitation à un lancement, un bon d’achat ou un nouveau commentaire définitivement déclencheur de ventes. La technologie permettant de calculer le ROI (retour sur investissement) entre l’annonce et les ventes, parfaitement au point sur internet, se cherche encore pour les boutiques mais il y a des solutions, indispensables.
5. Vente sans friction
Amazon, encore lui,
s’est appliqué à supprimer un maximum de freins à la vente quand l’internaute a
fait son choix. Citons l’interrogation du stock qui est levée par l’affichage
de la disponibilité ou du délai, et surtout le tunnel de validation de
commande, magistralement allégé par le bouton d’achat en 1 clic (la technique fait même
l’objet d’un brevet).
Peut-on réduire ces
frictions en magasin ? Nos enseignes de grande distribution équipent
massivement les rayons d’étiquettes
électroniques. Elles pourraient mentionner la disponibilité en stock, voire
indiquer aussi la quantité d’articles d’occasion dans la même référence. Exit
la recherche d’un vendeur pour savoir si le produit est disponible.
Et peut-on imaginer
se dispenser de la contrainte du passage en caisse ? Votre badge d’autoroute Liber-T
montre que l’on sait payer sans s’arrêter. Avec son application EasyPay, Apple vous laisse traiter seul le
paiement. Disney fait de même dans son parc avec le fameux bracelet et un code
PIN et surtout eBay tente de généraliser le paiement en magasin
avec PayPal. Merci à Jeff Bezos d’avoir montré le chemin.
Quelle suite ?
L’histoire ne
s’arrête pas là car une fois que la chaîne de magasins a récupéré les centres
d’intérêt de ses clients, en particulier pour limiter le showrooming, elle peut
utiliser cette mine d’informations à destination de ses fournisseurs. Avec les
noms et les produits, il devient possible d’inviter à des événements de
présentation, de lancement, d’évangélisation, de promotion. Qui ne souhaite pas
être convié à la grand-messe sur son produit fétiche ou avec son auteur
préféré ? Qui bouderait une remise juste sur le produit convoité ou se
précipiterait sur un produit dont le remplaçant vous est annoncé ?
Il reste à faire
mieux au cœur même de l’invitation pour solliciter plus qu’une visite sans
lendemain : souhaitez-vous une invitation pour une autre démonstration ?
Voulez-vous être informé sur une autre marque ? Préférez-vous recevoir des
vidéos ? Quelles sont les personnalités qui vous interpellent ? Il
serait temps que les e-maileurs proposent autre chose qu’un lien de
désabonnement.
Les observateurs appellent cela du marketing personnalisé, de la communication ciblée, de l’événementiel réussi, peu importe. Il faut mieux écouter le client pour le ravir, et les e-commerçants peuvent donner des leçons sur les méthodes. Quant à l’expérience générée, comme le montrent les cohues devant les magasins Vuitton, Abercrombie ou Apple, elle est irremplaçable.