LeWeb 2014 : la mort du Web ? Une question économique et politique

Après avoir évoqué lors de la première journée de la conférence LeWeb, les nouvelles frontières du Web autour de l’Internet des objets, l’explosion de la mobilité et le dynamisme des applications natives, la question de Loïc Le Meur à Sir Tim Berners-Lee était attendue : « le Web est-il mort ? »

La réponse de l’inventeur des technologies HTML et HTTP, considéré comme le père du Web moderne il y a 25 ans, ne s’est pas faite attendre et a été très claire: Non. Certains parlent pourtant de l’App World et insistent sur le fait que plus de 80 % du temps passé sur mobile se fait aujourd’hui sur des applications et non  sur un browser. Il est vrai que les apps offrent la meilleure expérience possible et sont bien meilleures à créer de l’engagement et de la fidélité. Malgré cela, le Web mobile reste dans le monde entier, un vecteur unique d’acquisition client et la plus importante source de trafic et de revenus m-commerce.
Pour autant malgré les efforts de certaines sociétés comme Quixey, URX ou Tap Commerce (rachetée par Twitter) ou de Facebook avec Parse, le monde des apps n’est pas interopérable et les liens profonds (app deep linking) sont encore loin d’être standardisés. C’est un des enjeux fondamentaux de la standardisation des apps mobiles et il est encore loin d’être réglé. C’est la raison pour laquelle Sir Tim Berners-Lee s’inquiète du lobby de ceux qui veulent mettre fin à la neutralité du net, de la remise en question de la vie privée et du poids croissant des écosystèmes fermés d’applications natives comme iOS. Forrester avait intitulé  ce phénomène « SplitInternet » il y  a déjà quelques années.
De son côté, le fondateur et directeur du World Wide Web Consortium (W3C) trouve les applications natives ennuyeuses et s’inquiète de leur manque d’ouverture. Il leur préfère évidemment les Web Apps, les URLs et les systèmes open-source.
En ardant défenseur de la vie privée, il s’inquiète de la réglementation européenne du « droit à l’oubli ». Le débat est loin d’être simplement technologique, il est donc avant tout politique et économique. C’est la raison pour laquelle les discussions sur le choix entre
HTML5 et applications natives sont plus souvent passionnées qu’objectives…

Cette discussion prend tout son sens si on la met en perspective des grands débats de la deuxième journée de la conférence LeWeb : «la réinvention de la santé » et « le futur de l’esprit ».  La technologie fait évoluer notre rapport au corps et le fonctionnement même du cerveau. Comme le résume très bien Loïc Le Meur, fondateur de LeWeb : « Cela peut sembler paradoxal, mais nous connaissons souvent très mal notre propre corps et le fonctionnement du cerveau. Ce thème inspire de très nombreuses start-ups de la Silicon Valley et nous pensons que c’est clairement un nouveau territoire à conquérir ».  Jusqu'où ira le corps connecté ? La société américaine PillCam a par exemple créé de petites caméras connectées sous forme de pilule afin de réaliser, dans le milieu médical, des endoscopies ou des coloscopies. Sans aller jusque-là, la robotique, l’intelligence artificielle, la capacité à anticiper les comportements grâce à l’analyse prédictive des données, les smartphones et les objets connectés sont en train de bouleverser l’industrie de la santé. Les exemples ne manquent pas, telle que  la récente  participation d’Orange à un programme scientifique d’utilisation des  smartphones et leurs données contextuelles comme l’une des sources de prédiction de l’évolution du virus Ebola en Afrique. 
Les enjeux financiers et économiques sont énormes mais puisque l’on touche à l’humain, à la santé et  à la vie privée, la question de la régulation prend tout son sens. Au-delà de la capacité des entrepreneurs et des investisseurs à s’emparer du sujet, on comprend mieux le cri d’alarme de Sir Tim-Berners Lee et pourquoi la réponse doit aussi venir des politiques. Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie, invité de  LeWeb a ce matin joué le jeu des entreprises et des startups et défendu une France qui bouge et innove. Au-delà de l’amélioration de l’image de la France auprès des investisseurs américains, l’enjeu est de démontrer la capacité de la France à innover et à créer des emplois dans les nouvelles technologies.
En fait, l’enjeu à long-terme est même bien plus important qu’il n’y parait : à quel rythme les entreprises françaises du CAC 40 vont prendre conscience de la nécessité vitale de réaliser leur mue digitale et comment la France au sein de  l’Europe peut-elle imposer un cadre réglementaire et un modèle de société qui lui permette de rester compétitive face à la domination des plateformes digitales américaines que sont Google, Apple, Microsoft, Amazon et Facebook ?