Les dommages collatéraux de la guerre entre Apple et Google

Avec la sortie d'IOS 9, Apple fait monter la pression auprès des sites médias en autorisant le développement d'adblockers sur Iphone. Quels enjeux/réponses ?

C’est LE tremblement de terre de septembre 2015 : via sa mise à jour IOS9, Apple ouvre la possibilité de développer des Ad-blockers (bloqueurs de publicités). Les développeurs tiers ont déjà commencé à s’engouffrer dans cette brèche : plusieurs applications (payantes) sont d’ores et déjà disponibles sur l’Appstore. Crystal, Purify, Peace, 1blocker… Tout le monde cherche à tirer son épingle du jeu.

Apple laisse ces nouveaux acteurs s’affronter, tout en inaugurant de leur côté leur propre service de presse en ligne "Apple News", aux publicités non bloquables. Cette application est alimentée par des médias partenaires, qui proposent du contenu pour le publier sur l’application d’Apple. L’espace résultant est ensuite monétisé : soit par le média à 100%, soit laissé à la charge d’Apple, qui dès lors empoche 30% des gains publicitaires.

 

Mais qui est réellement visé ? La réponse est assez évidente : c’est Google qui est directement dans la ligne de mire de cette mise à jour. La publicité a toujours été la première source de revenus du géant américain. Et pas seulement sur les recherches : les solutions de monétisation de Google (adservers, Adsense) sont utilisées par la grande majorité des acteurs du web.

Quand on sait la part de marché actuelle du navigateur mobile Safari (12% contre 11% pour Firefox !), c’est quand même un joli petit trou qu’Apple perce directement dans la poche de Google.

Les éditeurs, victimes collatérales

S’il y a un marché qui souffre de l’adblocking, c’est bien celui des sites médias. Journalistes, rédacteurs de contenus, bloggeurs indépendants, ils ont tous un point commun : ils se rémunèrent généralement uniquement sur l’affichage de publicités (display). Déjà impactés par le succès d’Adblock (le bloqueur de publicité le plus utilisé du marché, édité par la société Eyeo), avec un manque à gagner s’étalant entre 15 et 30% de leurs revenus, ils vont devoir faire face à de nouvelles pertes.

Un véritable défi à relever pour les éditeurs de contenus justement,  qui s’inquiètent. Il va falloir encore une fois s’adapter aux changements imposés par le marché.

Une occasion de repenser la publicité sur Internet ?

Le combat entre publicité et expérience utilisateur n’est pas nouveau, et si les bloqueurs de publicités sont de plus en plus populaires, c’est parce que certains éditeurs ont poussé le bouchon un peu trop loin. Pubs plein écran qui empêchent de lire ce que l’on est venu voir, redirections, vidéos qui se lancent toute seules : difficile de ne pas pester contre ces pratiques qui mènent la vie dure aux utilisateurs.

Le problème, c’est que les adblockers mettent tout le monde dans le même panier : bon nombre de publicités ne sont pas réellement envahissantes et intrusives (en général, plus c’est envahissant et intrusif, plus cela rapporte, la tentation est donc forte), et finissent tout de même par ne pas être affichées.

De plus, si les adblockers se placent directement du côté des utilisateurs, certaines de leurs pratiques peu morales commencent à être éventées, comme le white-listing (mise en liste blanche). Il est avéré que certains géants donnent 30% de leurs revenus publicitaires à Adblock, en l’échange d’une mise sur liste blanche, ce qui est considéré par beaucoup comme une forme élégante de racket. Plusieurs plaintes ont d’ailleurs été déposées par des médias (français et allemands notamment) à ce sujet, sans jamais aboutir.

Vers le Native Advertising ?

Toutes ces mutations affectent fortement le modèle publicitaire classique du display, de moins en moins profitable aux éditeurs. De nouvelles façons de faire se développent, notamment le Native Advertising qui est de plus en plus plébiscité, que ce soit via des contrats directs ou des régies.

Le Native Advertising, au cas où vous n’en auriez pas encore entendu parler, consiste à intégrer des publicités au sein même du contenu, comme si elles en faisaient partie intégrante. Le but est d’attirer l’attention du consommateur en fournissant du contenu dans le contexte de l’expérience utilisateur : sa forme et sa fonction s’adaptent parfaitement au média parcouru par le visiteur.

Liens sponsorisés, articles sponsorisés, colonne dédiée, de nombreuses options sont envisageables. Ces formats, plus rémunérateurs car non bloqués, vont donc naturellement se populariser de plus en plus. Il a d’ailleurs été établi que leurs performances surclassaient fortement celles du display traditionnel : ces publicités génèrent 2 fois plus d’attention, et sont plus volontiers partagées avec les proches.

Moins intrusif, mieux perçu et plus performant, le Native Advertising peut s’imposer  auprès des éditeurs de site. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de son accessibilité.

Un format plus difficile d’accès

Le Native Advertising est avantageux lorsqu’il est conclu grâce à des accords directs entre l’éditeur et la marque qu’il sponsorise. Dans ce cas-là, les créations peuvent être transmises et intégrées directement, sans adserver externe potentiellement bloqué... L’accord peut aussi consister en une création de contenu mandatée par la marque auprès de l’éditeur (Brand-content), et dans ce cas, le contenu est publié de la même manière que sont publiés tous les autres contenus du média.

Il est cependant difficile pour les éditeurs de taille réduite de réussir à conclure ce genre d’accords, leur audience n’est généralement pas assez attractive en terme de volume pour les annonceurs.

Les régies dites native quant à elles, restent des régies, et ne règlent donc pas le problème des bloqueurs de publicité. Les plus importantes négocient donc une entrée dans cette fameuse « liste blanche » d’Adblock, avec succès pour certaines (Taboola).

Par ailleurs, leur classification même pose problème : les formats qu’elles proposent s’approchent du native advertising, mais n’en sont pas vraiment. Les encarts proposés par Outbrain et Taboola se distinguent tout de même fortement du display traditionnel : ils échangent le trafic des sites, en proposant à la fin de votre lecture des contenus en provenance d’autres médias, à la manière des blocs « Lisez aussi » que l’on retrouve sur la quasi-totalité des sites médias.

D’autres régies, comme Adyoulike, proposent des dispositifs au sein du contenu. Au milieu de votre lecture, un encart est inséré, avec une mention « Contenu de marque proposé par : **** ». L’intégration est plus marquée que pour du display traditionnel, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit un dispositif 100% native : il y a une rupture entre le contenu et la publicité.

Cependant, ces dispositifs vont de pair avec une nouvelle tendance : les marques communiquent de plus en plus sur du contenu, et renvoient de moins en moins directement vers des pages de vente lors d’un clic. Mini-sites produits, vidéos, articles : la publicité sur Internet évolue.

Des alternatives originales pour certaines, agressives pour d’autres

a/ Certains éditeurs expérimentent en ce moment même des méthodes originales pour monétiser le trafic cédé aux adblockers. Plusieurs sites détectent les utilisateurs d’Adblock, et remplacent les espaces publicitaires par des messages à destination de ceux-ci. Discours de culpabilisation ou simple demande argumentée, les stratagèmes sont nombreux. Il est pour l’instant difficile d’estimer les résultats de ces stratégies, faute de données à ce sujet.

b/ D’autres éditeurs quant à eux décident tout simplement de restreindre ou de masquer leurs contenus si l’utilisateur refuse de désactiver Adblock. Dans ce cas, il faut une confiance assez inébranlable dans le fait que l’utilisateur n’ira pas chercher l’information ailleurs…

c/ Et d’autres proposent des comptes premium : en devenant membre et moyennant une contrepartie financière, l’utilisateur peut naviguer sans pubs. Une solution un peu contraignante, car soit basée sur l’identification au préalable du visiteur (qui n’aura peut-être pas envie de se connecter à toutes ses visites), soit sur une reconnaissance par adresse IP (adresses qui on le sait sont volatiles pour la plupart…).

Le site de rencontre américain OKCupid a par exemple opté pour un mélange intéressant des options a et c. Moyennant une contrepartie de 5$, ils proposent à leurs utilisateurs de ne plus jamais être exposés à une publicité.

Ces alternatives sont toutes très intéressantes, mais pensez-vous que ces procédés peuvent suffire à éveiller la sensibilité des visiteurs ?

L’heure est au changement !