Quel avenir pour le magasin ? Ce que nous dit l'histoire de Darty

La concurrence exercée par le e-commerce sur les magasins conduit les distributeurs à interroger leurs pratiques, et notamment la relation client. L’aventure entrepreneuriale de Darty apporte un certain nombre d’éléments utiles à cette réflexion, plus de soixante ans après la fondation de l’enseigne.

Par son rôle majeur dans l’équipement des foyers et dans l’éducation des consommateurs à l’achat de biens technologiques, Darty, le spécialiste de l’électroménager, est l’un des fleurons français de la distribution spécialisée. Aidé d’un historien et d’une écrivaine pour la collecte et la mise en récit des souvenirs du personnel et des articles de la presse interne, Bernard Darty, cofondateur de l’enseigne, livre le récit d’une aventure entrepreneuriale au succès incontestable (Une histoire de confiance. L’aventure Darty, Dunod, 2018). S’il s’agit d’une histoire « autorisée », qui ne passe toutefois pas sous silence certains échecs  comme celui du développement international ou les mouvements de grève, ce document est instructif pour nourrir la réflexion continue sur l’avenir des magasins.

 

Parti de Pologne, réfugié en France, établi dans le XXème arrondissement de Paris, Henri Darty ouvre en 1947 les Établissements Darty et Fils spécialisés dans la confection masculine vendue dans un premier temps à des détaillants puis, cinq ans après, aux particuliers dans une première boutique de la Porte de Montreuil. La conversion est plus connue : les Darty rachètent, au mois de décembre 1957, le bail du magasin voisin qui vend des postes de radio, des électrophones et les premiers téléviseurs. L’administration parisienne refusant la transformation de la nature du bail, Henri et ses fils, Natan, déporté à Auschwitz, Marcel et Bernard, décident de poursuivre l’électrodomestique.

Dès les premières années, le modèle de l’enseigne se met en place : les prix bas, le choix, l’exposition desproduits, le crédit trois fois sans frais pour l’achat d’un téléviseur, le service après-vente intégré et immédiat sept jours sur sept ainsi qu’ une relation de proximité à l’égard des clients des quartiers populaires de l’Est parisien afin de mieux comprendre les besoins et les usages et ainsi adapter l’offre. Ces éléments se diffuseront rapidement par l’ouverture de succursales dans la capitale et en banlieue dès les années 1960 (le « vaisseau amiral » de Bondy fera des Darty des personnalités de la commune à l’instar de Kylian Mbappé) et des campagnes publicitaires pour lesquelles les célèbres camionnettes de livraison et de dépannage serviront de supports. Les visites de magasins américains encourageront les Darty à voir plus grand : il s’agit d’ouvrir des magasins et des entrepôts spacieux, des ateliers pour le service après-vente, puis, avec l’aide d’IBM, de mécaniser dès 1965 puis d’informatiser huit ans après la gestion des ventes et des stocks.

Une étape importante de l’histoire de l’entreprise est celle du lancement en 1973 du fameux « contrat de confiance », exposant les treize engagements de l’enseigne auprès de ses clients.

Miser sur la relation client à tous les niveaux

Plus généralement, l’ouvrage de Bernard Darty montre comment l’enseigne a su créer une relation de confiance entre les consommateurs et les magasins. Ce récit constitue indiscutablement une leçon au moment où les détaillants classiques voient leur modèle d’affaire déstabilisé par les nouveaux acteurs du commerce en ligne et les plateformes du marché de l’occasion.

La relation client, pièce maîtresse du modèle Darty, renvoie au conseil adapté, à l’expertise indépendante, mais aussi au service de livraison et de dépannage réalisés avec le plus grand sérieux dans des délais raisonnables ; ces visites au domicile des clients faisant régulièrement l’objet  de diverses anecdotes restituées dans le journal interne et donc partagées parmi l’ensemble du personnel.

Au delà des temps forts de l’entreprise – l’introduction en bourse, le développement en province, le rachat par le groupe britannique Kingfisher puis par la FNAC en 2016 –, la culture interne forte, marquée par la personnalité de Marcel et de ses trois fils, constitue un autre élément marquant structurant la confiance éprouvée cette fois ci par les salariés à l’égard de la direction. Les composantes de la politique managériale, de l’instauration du 13ème mois à la cinquième semaine de congés payés octroyée avant 1982 en passant par l’étonnant complexe sportif destiné aux salariés de l’entrepôt, témoignent, d’une proximité et d’une attention accrue des dirigeants à l’égard des conditions de travail des employés. On peut y voir une certaine forme de paternalisme mais on peut y observer aussi un sens de l’écoute, élément essentiel pour comprendre l’identification du personnel au destin de l’entreprise. Cette identification a sans aucun doute joué un rôle important lors du rachat de l’entreprise par ses salariés en 1988.

Confiance du consommateur à l’égard de l’offre et du service fourni, confiance des salariés autour d’une politique managériale à l’écoute des salariés. Tels sont les deux principes fondamentaux que cet ouvrage met en évidence. S’ils paraissent évidents et s’ils expliquent la pérennité de la firme, l’histoire de Darty rappelle une nouvelle fois leur efficacité.