Technologies décentralisées : l’Afrique a soif de mobilité

Continent d’une vitalité à toute épreuve malgré les difficultés, Eldorado d’une nouvelle génération d’entrepreneurs boostés par la révolution digitale, l’Afrique adopte aujourd’hui avec ferveur des technologies propices à la mobilité sous toutes ses formes.

Il est parfois plus facile de partir de zéro. Tabula rasa. C’est ce que semblent vivre les pays africains, au premier rang desquels le Rwanda, qui ne cesse de surprendre : croissance, innovation, bonne gouvernance, égalité hommes-femmes, universités et grandes écoles, etc. Les technologies — principalement numériques, mais pas seulement — tiennent une place centrale dans cette reconstruction accélérée de nouveaux écosystèmes économiques qui se jouent des obstacles au développement que sont la pauvreté, les disparités sociales et les inégalités entre villes et campagnes. Derrière ce paradoxe, une réalité : l’émergence de solutions décentralisées.

Le mobile, clé d’entrée

"Préparez-vous car dans les prochaines années, les investisseurs vont affluer en Afrique, là où s’invente le digital", préviennent Haweya Mohamed et Ammin Youssouf, les initiateurs d’Afrobytes et du Fair Digital Lab, un incubateur ayant vocation à faire le lien entre les technologies conçues en Afrique et les investisseurs européens. Ils ont à cœur de faire éclore des start-up africaines grâce à "la rencontre, totalement tournée vers l’opérationnel, entre les acteurs tech des marchés les plus dynamiques (Nigeria, Afrique du Sud, Rwanda, Kenya, Cote d’Ivoire...) et les acteurs de la tech mondiale à la recherche de nouveaux relais de croissance". En ligne de mire un marché de deux milliards d’habitants en 2050 !

Prélude à cette renaissance économique, le marché du mobile explose. Selon le rapport du GSMA, l’association internationale des opérateurs de mobile, l’Afrique subsaharienne comptait à la fin décembre 2017 près de 338,4 millions d’abonnés (avec une hausse de 18,4 % en un an. En progression également, le nombre d’abonnés actifs au moins une fois sur une période de 90 jours, qui était de 122 millions de personnes [+18,2 en un an].

Un accès de plus en plus facile aux smartphones — l’Afrique en étant à la deuxième vague des smartphones low cost, un développement rapide de la couverture du haut débit mobile, une population très jeune et technophile… Les ingrédients de la révolution digitale sont réunis pour faire apparaître une multitude d’applications proches du terrain, arrimées à des besoins locaux et sources de nouveaux usages. Notamment en matière de mobile banking. Les opérateurs font en effet en sorte que les transactions en cash diminuent et tendent à créer un écosystème digital. Ils poussent leurs clients à régler l’essentiel de leurs factures au moyen de leurs mobiles. La hausse des tarifs pour le retrait d’argent et les avantages consentis en faveur des opérations gérées via le mobile facilitent, il est vrai, l’évolution des comportements.

E-santé, e-education, e-agriculture

De fait, les opérateurs sont devenus le premier moteur de croissance des télécoms et du digital en Afrique. Et, dans la foulée, de nombreuses applications voient le jour dans des domaines variés, parfois inattendus. En effet, dès que les personnes vivant en zone rurale ont accès à l’énergie et au digital, tout un univers se crée. Les activités économiques se développent, notamment celles relatives au numérique dans l’e-santé, l’e-éducation... ou de l’e-agriculture.

Alexandre Coster, multi-entrepreneur et créateur en 2015 de Boabab+ (et qui fut choisi en 2017 comme Young Leader par la fondation AfricaFrance) a très tôt misé sur les technologies décentralisées à fort impact social, en particulier avec ses kits solaires à prix abordable. Comment procède-t-il ? "Nous travaillons sur le modèle "Pay As You Go" afin de rendre accessibles les kits solaires permettant de s’éclairer, de recharger les téléphones, les tablettes ou même de faire fonctionner une télé dans les villages. Les bénéficiaires payent par jour un petit montant qui est l’équivalent de ce qu’ils dépensaient auparavant pour l’achat de la bougie ou du pétrole pour s’éclairer". En outre, il fait en sorte que ses clients deviennent peu à peu propriétaires du système solaire qui est installé chez eux. Un modèle vertueux qui ne manquera pas de faire des émules.

Technologies off-grid

"Pour les grands groupes internationaux, ne pas s’intéresser au continent pourrait s’apparenter à une erreur stratégique monumentale", avertissait déjà Ammin Youssouf en 2015, avant de lancer Afrobytes. Les grands groupes semblent avoir entendu le message. Non seulement dans le secteur de la distribution électrique, mais aussi celui de la gestion de l’eau et du traitement des eaux usées, où des technologies off-grid ou "hors réseau" sont désormais proposées. C’est le cas de Veolia avec son plan "Ambitions for Africa" et les solutions de sa filiale VWT (Veolia Water Technologies) adaptées au marché africain. On est loin des grandes stations conventionnelles de traitement. Patrick Couzinet, président directeur général Afrique de Veolia Water Technologies, explique : "Aux côtés des centrales traditionnelles, nous avons développé des solutions beaucoup plus légères, conteneurisées et en mesure au besoin de se passer d’un réseau de distribution d’eau ou d’électricité. Les volumes traités sont bien évidemment plus faibles, mais ils peuvent répondre néanmoins aux besoins d’une ville moyenne. Fiables et robustes, ces solutions présentent aussi l’avantage d’être déployables rapidement, au plus près des populations, pour garantir à toutes l’accès à une eau de qualité."

Suez, le concurrent français n’est pas en reste mais part de plus loin. Pierre-Yves Pouliquen, directeur général Afrique, Moyen Orient et Inde de Suez, résume la situation en ces termes : "L’Afrique nous oblige à réinventer nos modèles d’action et d’inclusion". Oui, décidément, l’Afrique fait bouger.