La révolution annoncée de la maintenance prédictive aura-t-elle lieu ?

La révolution annoncée de la maintenance prédictive aura-t-elle lieu ? La maintenance prédictive devrait peser près de 5 milliards de dollars en 2021, notamment grâce à sa généralisation dans les grands groupes et PME. Ce marché, le plus important de l'IoT, met pourtant du temps à s'imposer.

Le marché mondial de la maintenance prédictive devrait croître de plus de 28% par an entre 2016 et 2021, selon les prévisions du cabinet MarketsandMarkets. Il est considéré comme le marché le plus important de l'IoT en raison des retours sur investissement qu'il apporte. "La maintenance prédictive offre des ROI qui se chiffrent à des millions d'euros quand l'arrêt de chaîne de production est évité", assure Laurent Germain, technical sales chez l'éditeur PTC. Avec le prédictif, les coûts de maintenance sont réduits de 10 à 40% et le nombre de pannes divisé de moitié, rapporte le cabinet McKinsey. Pourtant, les déploiements ne sont pas encore à la hauteur des espérances des acteurs. "Il y a des signes d'intérêt chez nos clients mais ce n'est pas l'euphorie", regrette Pierre Arboireau, PDG de la PME Savoie Transmissions, qui a créé son propre capteur pour proposer un service de maintenance prédictive.

Expérimentée depuis les années 2010, la maintenance prédictive permet de prévoir les pannes avant qu'elles ne surviennent en détectant en temps réel les signes annonciateurs, comme une modification importante des vibrations, de la température ou de la pression des machines. Mais plusieurs freins ont entravé son essor jusqu'à présent. A commencer par la difficulté pour les entreprises de mettre en place une stratégie d'analyse des données. "Les premières expérimentations en maintenance prédictive ont concerné les moteurs d'avion, déjà très documentés en data. Les résultats ont drainé des envies dans toutes l'industrie mais le bilan n'a pas été concluant car les industriels n'avaient pas, quant à eux, une donnée complète et de qualité sur leur métier", explique Ghislain de Pierrefeu, au sein du cabinet de conseil Wavestone. Pour ce dernier, la priorisation est clé et les industriels doivent se poser les bonnes questions : sur les pannes à prédire, leur échéance et pour quel gain escompté. Avant de se lancer dans un projet de maintenance prédictive. "Les industriels n'avancent que pas à pas sur ce sujet, ils ne savent pas toujours comment évaluer les bons KPI et comment mettre en place le bon dashboard", constate Guillaume Anelli, directeur des opérations transformation numérique chez Visiativ, éditeur et intégrateur de solutions logicielles.

La diversité des machines et des protocoles industriels représente également un écueil pour les déploiements à grande échelle. "Avec des langages différents, il est plus compliqué de mettre en corrélation les données", explique Fabrice Hugues, directeur innovation & solutions chez l'éditeur Software AG. La captation des bonnes données, leur stockage et leur analyse pour permettre la création de modèle de machine-learning ont fait prendre conscience aux industriels que la maintenance prédictive est un projet à long-terme. Pour la maintenance d'un ascenseur précis, l'entreprise Kone précise qu'il faut en effet plus d'un an d'apprentissage avant de pouvoir effectuer une détection de panne. "Le modèle établi pour une machine n'est pas forcément performant pour une machine identique placée dans un environnement différent. A chaque équipement, on démultiplie le modèle en autant de projets", affirme de son côté Sadaq Boutrif, solution consulting director du fournisseur Tibco Software.

L'organisationnel, avec les efforts de mise en œuvre et la difficile coopération entre les métiers et les services informatiques, est le principal écueil d'après une étude menée par BearingPoint. "Les données sont captées au niveau opérationnel et sont analysées à l'informatique, la maintenance prédictive met du temps à se développer car elle bouleverse les habitudes de travail traditionnelles", concède Joël Rubino, CEO et cofondateur de Cartesiam, qui a mis au point avec l'entreprise Eolane le capteur Bob Assistant, vendu à des milliers d'exemplaires. Contrairement à la maintenance préventive où les échéances de maintenance sont planifiées, la maintenance prédictive nécessite une équipe dédiée, notamment pour faire évoluer les modèles. "Les techniciens ont encore l'habitude de réparer en mode curatif, ils ne pensent pas forcément à regarder les alertes et il faut trouver le meilleur moyen de leur faire parvenir l'information", souligne Pierre Arboireau, chez Savoie Transmissions.

Selon les acteurs interrogés, le marché arrive cependant à maturité et devrait bien afficher de fortes croissances dans les années à venir. "Les industriels sont en attente de fiabilité et de qualité, mais surtout, ils veulent se réapproprier le sujet de la maintenance, jusqu'alors pris en charge par leurs fournisseurs, pour réaliser des économies d'échelle", observe Sadaq Boutrif chez Tibco Software, qui attend notamment une augmentation de 20 à 30% de son activité liée à la maintenance prédictive. Les déploiements à grande échelle sont ainsi attendus pour 2020. Veolia a déjà affirmé son intention d'étendre son usage à l'échelle internationale. Wavestone estime aussi l'explosion annoncée du marché pourrait avoir lieu cette année, les PME voulant aussi s'équiper de solutions de maintenance prédictive. Eolane cherche à intégrer de nouveaux paramètres à ses capteurs pour répondre aux demandes des clients, qui veulent désormais "obtenir plus de précisions sur la nature de la panne", observe Frédéric Hannoyer, son directeur innovation et développement produits. Des précisions qui permettent par la même occasion aux prestataires de se transformer en proposant une nouvelle offre de services.