Trois conseils pour surmonter la pénurie des semi-conducteurs dans l'IoT

Trois conseils pour surmonter la pénurie des semi-conducteurs dans l'IoT L'anticipation est la clé numéro un pour faire face à la pénurie de composants, qui pourrait se poursuivre jusqu'en 2022. Mais il faut aussi savoir prendre des risques.

La crise des semi-conducteurs fait beaucoup parler d'elle pour avoir mis à l'arrêt plusieurs usines automobiles mondiales. Mais elle s'étend au-delà des véhicules et frappe depuis janvier 2021 tous les secteurs de l'électronique, dont l'IoT. Et tous les composants sont concernés par la pénurie (semi-conducteurs, mais aussi microcontrôleurs, puces, diodes, etc.) "Nous utilisons les mêmes composants et nous faisons appel aux mêmes fabricants donc nous sommes tout autant impactés", souligne Thomas Gauthier, CEO de NodOn, fabricant français de produits radio pour connecter le logement et les bâtiments, qui a observé des retards de livraison de plus de 40 semaines chez certains fournisseurs. Même constat chez Stimio, société nantaise spécialisée dans la fourniture de solutions connectées pour l'industrie, pour laquelle le délai de composants est passé "de 16 à 52 semaines".

Pour rappel, la crise des semi-conducteurs est due à l'accumulation d'une série de facteurs : le conflit sino-américain, le confinement lié à la crise sanitaire qui a conduit à la fermeture des usines de production plusieurs semaines, la hausse de la demande en matériel électronique (ordinateurs, consoles de jeu, etc.) mais aussi le déploiement de l'infrastructure 5G et l'essor des véhicules électriques qui requièrent trois fois plus de composants. Sans oublier les conditions météorologiques subies en Asie et le fait que les fabricants de semi-conducteurs "travaillent généralement en flux tendu, ce qui leur prend du temps pour relancer la production", met en avant Christophe Bianchi, EMEA High Tech & Semiconductor director chez Ansys, éditeur de logiciels de simulation numérique.

"Nous avons déjà rencontré des crises, notamment en 2017-2018, mais elles étaient très limitées dans le temps et il était toujours possible de trouver des composants en cherchant bien et en y mettant le prix. Cette crise-ci est sans précédent car la disponibilité de certains composants est nulle", explique Frank Fischer, PDG d'Adeunis, fabricant français de capteurs IoT.

Conseil n°1 : passer commande en fonction des objectifs

Dans l'IoT, pour faire face à cette situation, trois éléments d'organisation sont clé. En premier lieu : l'anticipation. Les acteurs interrogés recommandent tous de passer des commandes à l'avance et de se positionner en fonction de leurs objectifs. NodOn par exemple a sécurisé dès novembre 2020 plusieurs dizaines de milliers de pièces pour honorer ses commandes jusqu'à fin 2021 et a déjà passé début mai des réservations pour 2022. "C'est un réflexe à adopter qui n'est pas naturel mais qui est indispensable pour assurer son activité. Il vaut mieux se tromper sur les quantités que de ne pas vendre du tout", assure Thomas Gauthier. Un constat qu'approuve Yannick Delibie, président et CEO de Kerlink Americas, fournisseurs de solutions de connectivité IoT. "Jusqu'à présent nous planifions nos besoins sur quatre mois. Désormais il faut le faire sur plus d'un an car nous avons des projets de déploiements à très gros volumes et si nous nous retrouvons sans composant, cela peut s'arrêter net."

"Il vaut mieux se tromper sur les quantités que de ne pas vendre du tout"

Cette nécessité de stockage induit néanmoins un inconvénient, à savoir une plus grande exposition à la spéculation. "Les prix ont augmenté en moyenne de 5 à 30% chez les distributeurs, mais chez une minorité d'intermédiaires, les prix sont multipliés par cinq", alerte Frank Fischer. Une hausse qui se cumule avec celle des frais de transport. "Les frais aériens ont grimpé de 50% depuis le début de la crise sanitaire et ceux du maritime de 30%", souligne Olivier Medam, CEO de Konyks, marque française de produits pour la smart home. Conséquence pour les utilisateurs finaux : leurs produits risquent à leur tour une indisponibilité et voient leur prix grimper.

Conseil n°2 : limiter les composants grâce à un nouveau design

Deuxième conseil phare : retravailler le design des produits pour limiter les références et utiliser des composants interchangeables. "Retravailler le design des produits en R&D permet de limiter les références et de remplacer certains composants", confirme Thomas Gauthier. Un avis partagé par Tado, l'entreprise allemande qui conçoit des thermostats intelligents : les composants utilisés possèdent tous une alternative. Un moyen selon Frank Fischer, PDG d'Adeunis, de transformer la crise en opportunité et de se différencier sur le marché.

Le groupe Ansys met en avant à ce propos les avantages de la simulation. "Vérifier le fonctionnement et la sécurité peut se faire par simulation pour accélérer la mise sur le marché des produits. Or, avec la crise économique, la captation de parts de marché est essentielle", rappelle Christophe Bianchi, qui travaille notamment avec STMicroelectronics sur la simulation des phénomènes physiques impactant des composants. Là encore, cette option sur le design implique un revers de la médaille, à savoir les délais de certifications Intégrer un nouveau composant demande près de trois mois, le temps de "réaliser des prototypes, de les tester, de les soumettre à une validation CE et d'en lancer la production", témoigne Olivier Medam, chez Konyks.

Conseil n°3 : impliquer les clients

Enfin, dernière astuce : sensibiliser les clients à ces problématiques. "Il faut échanger davantage avec eux, leur expliquer pourquoi l'on risque d'avoir du retard s'ils ne s'engagent pas dans leurs projets au plus tôt", détaille Thomas Gauthier. Chez Adeunis, des réunions hebdomadaires sont organisées d'une part avec les sous-traitants pour lister les composants à disposition, d'autre part avec les clients afin de déterminer les volumes de consommation annuelle à venir. "Sur le marché de l'IoT, il y a encore beaucoup de variations quant aux volumétries et aux types de produit mais en ce moment il faut prendre des risques", estime Frank Fischer.

De son côté, Patrizio Piasentin, sales manager chez le fabricant de semi-conducteurs Silicon Labs, exhorte aussi à plus de transparence. "Il nous faut une vision et des prévisions pour se préparer à la commande d'entreprises. Sinon, les projets ne seront pas priorisés et dépendront des allocations de matériel." Pour Ansys, la solution à cette prise de risque tient en la conception de produits qui évoluent de par leur logiciel et non par leurs composants, permettant la réutilisation des pièces dans les futures gammes.

Ces procédures sont d'autant plus importantes à adopter qu'elles vont permettre de surmonter de futurs aléas. Déjà, cette crise " va probablement durer dans le meilleur des cas jusqu'à début 2022", estime-t-on chez Stimio et Silicon Labs. Et les acteurs ne sont pas à l'abri d'autres crises dans le futur. "Les crises interviennent de manière cycliques, nous avions déjà des fluctuations de la production depuis deux ans et demi", rappelle Thomas Gauthier. Et Christophe Bianchi de conclure : "Cette crise va finir par se résorber mais elle représente un signal d'alarme. Elle doit faire réfléchir tous les acteurs sur les questions de souveraineté et sur leur écosystème."