L'IoT conduit le char Leclerc sur la route de la maintenance prédictive

L'IoT conduit le char Leclerc sur la route de la maintenance prédictive L'entreprise française CKP Engineering a mis au point par jumeau numérique une solution de maintenance prédictive du circuit d'huile moteur du char Leclerc.

Le char Leclerc, décrit comme l'un des blindés les plus performants au monde, doit se moderniser pour rester à la pointe. Pour ce faire, le ministère des Armées a signé en avril 2021 un contrat de plus de 1 milliard d'euros pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) de cet engin entré en service en décembre 1993. L'un des sujets d'amélioration : la maintenance prédictive du moteur, en particulier du circuit de refroidissement, un élément critique. L'objectif, que le conducteur du char soit prévenu d'un risque de panne à venir pendant l'utilisation. Pour mener à bien ce projet, le ministère des Armées a fait appel, par le biais de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) à l'entreprise française CKP Engineering.

Travailler sur un char de 54 tonnes n'est pas une mince affaire. "Nous nous sommes spécialisés dans le sport automobile de haut niveau (Les 24 heures du Mans ou Paris-Dakar, ndlr), nous sommes habitués à différents véhicules", confie Julien Ferrazzo, son fondateur, qui n'a pas été freiné par le challenge de démontrer qu'il est possible de réaliser de la maintenance prédictive sur un appareil militaire ancien. L'entreprise avait été auditionnée en 2020 pour réaliser un démonstrateur. Le cahier des charges, qui prévoyait pour cette expérimentation un budget limité, stipulait l'utilisation de briques existantes et non du sur-mesure.

25 semaines de tests

Le char a été équipé de six capteurs pour obtenir un jumeau numérique de son moteur. © CKP ENgeneering

Après une parenthèse due à la crise sanitaire, CKP Engineering a pu commencer en 2021. L'entreprise, qui a pour habitude de travailler avec des partenaires industriels, a sollicité les experts de l'entreprise Nexter, le constructeur du char. Ensemble, ils ont d'abord récolté toutes les données possibles. "Cela n'était pas suffisant, nous n'avions rien du motoriste. Il nous a donc fallu instrumenter le char avec six capteurs pour avoir les informations manquantes. Le plus difficile a été de bien qualifier les huiles du moteur, les neuves et celles usagées avec le cycle de refroidissement", se remémore Julien Ferrazzo. Les équipes ont également étudié la mécanique pour comprendre les contraintes que le char applique au moteur et à son refroidissement.

Pour la pratique, CKP Engineering a dans un premier temps effectué des tests basés sur un jumeau numérique du circuit d'huile du moteur sur un banc d'essai pendant 25 à 30 semaines pour calibrer les systèmes. "Chaque test demande huit heures de travail", indique Julien Ferrazzo. Le ministère des Armées a par la suite mis à disposition un char en février 2022 pour expérimenter la solution pendant 25 heures de roulage. Plus le char va rouler avec la solution, plus l'algorithme de prédiction va être précis et fiable. "Finalement nous n'avons eu besoin que des deux tiers du temps pour finaliser la solution", se réjouit Julien Ferrazzo. Le projet a mobilisé au total une trentaine de personnes.

Résultat : les alertes sont transmises au conducteur et à l'atelier de retour en temps réel. "La solution de maintenance prédictive ne doit jamais mettre en panne le véhicule donc l'implantation doit être bien réfléchie", souligne Julien Ferrazzo. CKP Engineering et le ministère des Armées présentent le démonstrateur au salon Eurosatory, consacré à la défense et à la sécurité terrestres et aéroterrestres, la maintenance prédictive y étant un thème fort. Les deux partenaires ont ensuite prévu de passer à l'échelle sur un peloton de chars. Près de 240 chars équipent l'armée de Terre au sein de quatre régiments blindés. "L'armée constitue un très bon secteur de diversification pour CKP Engineering car les acteurs y sont très exigeants, comme dans le sport. Il y a une obligation de résultat et il est question de souveraineté française", confie Julien Ferrazzo, qui envisage des perspectives dans le naval et l'aéronautique également.