Laurent Frigara (Enovacom) "Avec l'IoT, Orange ambitionne d'être dans le top 3 sur la santé digitale"

Le CEO et fondateur d'Enovacom, filiale d'Orange Business Services en charge des sujets de santé, revient sur la stratégie du groupe dans ce secteur et sur l'apport de l'IoT.

Laurent Frigara, CEO et fondateur d'Enovacom. © Enovacom

JDN. Orange Business Services (OBS) a fait de la santé un axe fort de son plan 2025. Quelle a été la stratégie du groupe dans ce secteur en 2022 ?

Laurent Frigara. Le groupe a affiché une forte volonté d'accélérer dans le BtoB en santé et Enovacom s'est donné les moyens de ces ambitions. Cela s'est manifesté par une première croissance externe, avec le rachat de l'éditeur français Exelus en mai dernier, d'autres suivront dans les mois à venir pour compléter notre portefeuille d'offres et nos compétences. Avec sa plateforme de télémédecine d'urgence, Exelus comble un manque que nous avions dans ce domaine. Qui plus est, 2022 marque un changement dans le positionnement d'Enovacom : nous nous concentrons depuis 18 mois sur les besoins métiers alors que nous étions auparavant focalisés sur les solutions techniques sur le software.

Quel est le rôle de l'IoT dans votre stratégie ?

La technologie IoT est la base pour développer les solutions répondant aux besoins métiers. Et les usages sont multiples. Cela peut concerner les soins, la prise en charge dans les ambulances, ou encore les sujets de smart building pour gérer les consommations des hôpitaux et les rendre plus intelligents, via la mesure de la qualité de l'air ou les boutons d'appel. Avec Nomadeec par exemple, la plateforme de télémédecine d'Exelus, les objets connectés servent à récupérer les constantes vitales des patients (température, pouls, électrocardiogramme, etc.). Ces dernières sont envoyées directement au service d'urgence pour réguler le flux patient sans encombrer les plateaux techniques.

Quels sont les challenges ?

Pour se différencier sur le marché de la santé, l'IoT peut être une clé mais il faut bien régler trois sujets essentiels. D'abord celui de l'interopérabilité : il ne suffit pas d'avoir une plateforme qui ne discute qu'avec elle-même. Nous veillons ainsi à l'interopérabilité de la plateforme d'OBS avec les systèmes d'information des hôpitaux pour que les objets connectés soient directement intégrés dans les applications et tableaux de bord. Car il n'y a pas de norme pour les formats des messages et des données générés par les objets connectés, chaque constructeur d'appareils biomédicaux a son propre protocole. Nous jouons donc le rôle de bus applicatif. On a développé une interface standard entre le logiciel de l'hôpital et notre bus. Pour le reste, on travaille en partenariat avec tous les constructeurs pour utiliser les API.

Le deuxième ingrédient est la sécurité, qui devient de plus en plus critique. On le voit avec les dernières cyberattaques touchant des hôpitaux (lire notre article Au moins 30 millions d'euros : ce que comptent (vraiment) tirer les hackers de l'hôpital de Corbeil-Essonnes)

Troisième point essentiel : répondre aux usages. Cela ne sert à rien de développer une solution IoT si cela ne sert pas le professionnel de santé ni le patient. Notre objectif est d'être simplificateur et d'assurer une plus grande une richesse fonctionnelle. L'une des attentes concerne par ailleurs la pérennité des objets connectés, pour que les solutions ne soient plus jetables. Orange accorde une grande importance au développement durable. Proposer des solutions durables sera aussi un atout auprès des utilisateurs.

Enovacom travaille avec plus de 2 000 établissements de santé. Parmi les projets que vous menez, quels sont les plus novateurs actuellement ?

Nous pouvons citer par exemple le cas de Sérène IoT, qui met en avant ces enjeux d'interopérabilité. Suite au changement de son logiciel de gestion du dossier patient informatisé, le Groupe Hospitalier Mutualiste de Grenoble a souhaité connecter 112 appareils biomédicaux de typologies différentes à son nouveau logiciel de dossier de soin dans plusieurs services et unités de l'établissement. L'un des points de vigilance portait sur la connexion des pousses-seringues pour obtenir la dose administrée ou la vitesse du débit : les données remontées par ces appareils ne sont plus de simples constantes, mais elles sont en lien direct avec la prescription médicale. On a mené ce projet de manière transverse avec les équipes d'Orange Innovation et celles dédiées à l'IoT.

Dans la Vienne, la plateforme Novadeec permet de gérer plus de 150 000 dossiers par an en régulation des urgences. © Enovacom

Connecter les ambulances est un autre sujet d'actualité, sur lequel on travaille via la plateforme Nomadeec, citée précédemment. Nous sommes sollicités par plusieurs régions pour équiper les ambulances de dispositifs afin d'échanger les données du patient en temps réel avec les médecins régulateurs aux urgences de l'hôpital. La Vienne par exemple a un maillage territorial complet. Poitiers a commencé à équiper en 2016 le Samu avec l'application web qui a permis de traiter 150 000 dossiers de régulation par an. Puis cela a été au tour des sept camions du Smur. Une trentaine de compagnies d'ambulance privées se sont depuis équipées et le dispositif a été étendu aux 70 Ehpad et à des établissements recevant du public, comme les parcs Futuroscope et Center Parcs. Ce dernier a régulièrement des clients ayant un traumatisme, sans que cela soit nécessaire d'aller aux urgences. Une vidéo en temps réel permet un diagnostic rapide.

Où en est votre projet de constituer un entrepôt de données en santé ?

Enovacom a signé en un renforcement de son partenariat avec le CHU de Rennes, avec qui on travaille depuis une dizaine d'années. Le défi pour le secteur est de rattraper son retard et structurer la donnée qui existe déjà. Il y a un fort potentiel à travailler sur la donnée de santé pour améliorer l'efficacité de l'hôpital, le suivi patient, la prédiction, etc. (le plan France2030 prévoit à terme de connecter les entrepôts de données au Health Data Hub, ndlr). Notre objectif avec le CHU de Rennes est de développer un entrepôt de données structurées appelé eHOP, à travers un laboratoire public/privé afin de faciliter la recherche clinique. Nous veillerons dans un second temps à ce que les applications de santé utilisées par les patients fournissent by design des données structurées afin d'être intégrées à cet entrepôts de données. La troisième étape concernera l'IoT. Nous étudierons également si la connexion avec des objets connectés médicaux peut générer de la donnée qualitative. Par exemple, un projet de recherche étudie si les objets connectés donnant les constantes vitales de nourrissons permettent de détecter en temps réel des problèmes post accouchement. Nos ambitions pour 2023 sont de réussir tous ces projets lancés pour que le groupe figure dans le top 3 sur la santé digitale.

Tout juste diplômé de l'EISTI, Laurent Frigara crée avec Renaud Luparia sa première société en 1997. Ils développent alors des logiciels pour la médecine de ville et font leurs premiers pas dans la santé, un secteur d'activité qu'ils ne quitteront plus. Fort de ce succès et après avoir cédé leur société, ils créent ensemble Enovacom en 2002. Leur mission : accompagner les structures de santé pour maîtriser leurs données afin de les aider à ouvrir leurs systèmes d'information.