Telechargement musical : les tubes pour tous ou la culture subventionnée

La liberté de création, notamment en matière de musique, n'a pas de prix. Le vote de la loi Hadopi nous amène à réfléchir au rôle de l'Etat dans la culture en France.

La  préservation d'un marché libre de la musique, dans lequel un producteur, un artiste, un auteur, risquent leur talent et leur argent pour recevoir ensuite les revenus directs et non redistribués par une chaîne collectivisée opaque ; cette préservation est essentielle à une liberté publique tout autant précieuse que la gratuité des tubes : l'indépendance culturelle, le droit d'écouter ce qu'on veut, dans la qualité qu'on souhaite, sans publicité, et même sans devoir supporter Laurent Bayle comme directeur de conscience et arbitre des élégances.

La Loi Hadopi dit essentiellement qu'on n'a pas le droit de voler, et qu'en cas de vol, on recevra des contraventions. Les chansonnettes volées étant par définition sans grand danger politique, je ne vois pas en quoi il faut crier au liberticide - ou alors, que la Quadrature du Net (financée par qui, au fait ?) se mobilise plus clairement en faveur de Julien Coupat !

La musique en ligne en est actuellement à ses balbutiements, et nous assistons à la préhistoire de ses pratiques. Il est urgent de ne rien figer et de laisser s'exprimer la créativité des modèles et leur diversité. Quand on télécharge légalement des répertoires classiques ou jazz, avec en mémoire les informations et la qualité qui étaient de mise avec le CD, on perçoit immédiatement à quel point la musique en ligne a bien des progrès à faire : la rupture technologique a accouché d'une mise a disposition précipitée d'enregistrements mal documentés, mal présentés, sans respect des crédits.

C'est bien sûr pire sur les réseaux peer to peer. Les progrès à réaliser le seront au prix de lourds investissements et d'un travail d'experts, qui devront être financés par des revenus. Il ne faudra pas compter sur des modèles gratuits pour documenter ce qui est essentiel du point de vue culturel mais négligeable du point de vue des revenus, en comparaison de l'inoubliable Grégoire, la plus belle conquête culturelle à ce jour du web participatif.

Les personnes intéressées par des pratiques culturelles spécialisées ont le droit d'exercer leur passion, conformément aux espoirs de diversité culturelle qu'Internet promet. La variété des modèles économiques, où les mélomanes choisissent ce qu'ils ont envie de payer, en faisant confiance à tel ou tel service de musique en ligne selon leurs goûts, est une liberté non moins importante que celle de s'abrutir à écouter des sites de streaming qui ne sont rien d'autre que des pires radios formatées, à la sauce Internet.

Les pauvres arguments répétitifs des partisans du tout gratuit sur Internet ou de la collectivisation de la musique ne font que reculer l'émergence et la viabilité de nécessaires services de musique en ligne ouverts à la vraie diversité culturelle, celle de la liberté d'écouter ce qu'on veut quand on veut, quitte à en payer un prix raisonnable, dans un marché ouvert à la concurrence. Le prix de la liberté de vivre et d'écouter ce que l'on veut.

L'alternative qui nous est proposée par les adversaires de la Loi Internet et Création est la suivante : gratuité par la pub pour les tubes ...et gratuité par l'Etat, ou collectivisation, pour tout le reste. Dimension et exigence culturelles de la musique, moyens pour cette exigence de s'exprimer, ont été tragiquement occultés dans le débat. Comme si le fait de préserver par tous moyens le droit d'écouter gratuitement des conneries, ou de pouvoir voler des chansonnettes, était sérieusement un enjeu des libertés publiques.

Or, pour toute expression culturelle exigeante, le problème de l'accès à une distribution respectueuse, accordée aux contenus, est aussi important que, en amont, la nécessité pour l'Etat de préserver, encourager et financer la création. Il ne sert pas à grand chose de prétendre développer une politique d'éducation aux arts (minable, il faut le dire...), de financer à l'autre bout du paysage de manière honteusement dispendieuse des institutions ruineuses (le nouvel auditorium de La Villette par exemple), si les couches intermédiaires de la création et de la consommation culturelles ne sont pas protégées et encouragées par la Loi. Il y a trop d'Etat dans la culture, et surtout trop mal. Pas la peine d'en rajouter encore.

La gauche (celle de Madame Billard et de Patrick Bloche), aime à poser comme l'amie des Arts, mécène par l'argent public d'une création pure de la plus haute qualité, qui serait donnée au bon peuple - cette condition de la gratuité étant comme chacun sait le sésame avéré pour donner le goût à tous. Héritière d'une louable attitude à l'égard des créateurs et des droits d'auteur, elle s'est déshonorée au cours de la discussion Hadopi en laissant choir idéaux et doctrine.

Seulement populiste, elle se rêve confiscatrice de ce qui reste de marché dans le domaine musical, espère nationaliser l'industrie de la musique enregistrée, cette sauvage beauté qui jusqu'alors avait eu le mauvais goût de lui résister. Ah, les paillettes chez Madonna ! La perspective du bon peuple qu'il faut instruire des belles choses à tout prix ! Ah, s'ennuyer voluptueusement chez Boulez ! Cela n'a pas de prix en effet.

L'industrie de la musique enregistrée pratiquait depuis longtemps une vertueuse péréquation entre succès populaires et production difficile, et se finançait de la sorte, dans une économie de marché cahin-caha. Licence globale, taxe culturelle, tous ces machins visent à faire rentrer la musique dans le grand fleuve des pratiques culturelles contrôlées, subventionnées, régulées. Electoralement, cela ferait moderne et jeune dans les circonscriptions : "T'as pas de quoi bouffer, mais tu peux pirater cool, mon enfant."