Facebook et ses poissons pilotes de l’innovation
Facebook réussit à fédérer sans vampiriser les innovateurs du web. C'est l'une des raisons du succès actuel de Facebook et peut être aussi le meilleur moyen pour le site d'éviter une érosion de ses visites une fois le buzz retombé...
Le phénomène fait toujours les gros titres : Facebook, le site social quiconnaît la plus forte croissance mondiale depuis 4 ans (plus de 70 millions
d'utilisateurs aujourd'hui), se place en challenger plus que sérieux du
leader MySpace et atteint des records en terme de valorisation (15 milliards
de dollars environ). S'il impressionne, ce phénomène populaire interpelle
les observateurs. Quelles sont les recettes du modèle d'innovation de ce
nouveau géant de l'internet ? Comment parvient-il à fédérer sans vampiriser,
autour de principes techniques, financiers et commerciaux originaux, les
innovateurs du web ?
En premier lieu, le choix de Facebook d'ouvrir sa plate-forme technique à
tous les développeurs tiers a été déterminant et a permis de décupler
l'usage du site. La logique d'ouverture des systèmes informatiques via des
interfaces standardisées et ouvertes (on parle d'API) est clé dans le monde
du logiciel : elle permet de stimuler la création rapide de nouveaux modules
ou de connecter différents systèmes en uniformisant les interactions. Rendre
publiques ces interfaces permet de multiplier les candidats aux connexions.
Ainsi se multiplient dans l'univers de Facebook des fonctionnalités et des
applications virales (partage de photos, « food fight »...) que des individus,
communautés ou sociétés tiers ont développées. Leur usage grandissant, ces
sociétés cherchent à monétiser leurs applications. Facebook leur propose
alors les outils communs indispensables pour percevoir des revenus.
Ce flux incessant de nouveaux modules anime l'usage du site (95% des membres
ont au moins utilisé une fois une application) et contribue largement à son
succès. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : lancée en mai 2007, la
plate-forme ouverte de Facebook proposait 10 000 applications en novembre
2007, 20 000 aujourd'hui.
Si ces applications n'ont pas toutes des millions d'adeptes, cette ouverture
de plate-forme a permis à Facebook de stimuler et de flexibiliser
l'innovation sur son site en se dotant d'un écosystème de développeurs. Le
site est donc chef de file d'une nuée de start-ups et exalte les approches
entrepreneuriales par la promesse d'un juste partage des futurs revenus.
Facebook s'implique aussi financièrement. Pour entretenir ce flux créatif
venant de l'extérieur, Facebook a lancé en septembre 2007 le fond Fb fund
qui permet de soutenir, par l'intermédiaire de dons jusqu'à 250 000 dollars,
les projets les plus prometteurs. Ce fond ne prend pas de participation mais
se réserve un droit de veto au premier tour de table si l'activité grossit.
Facebook participe seulement à la sélection des projets, laissant à des
capitaux risqueurs, en l'occurrence ses investisseurs historiques, les
éventuelles prises de participation en direct.
Facebook n'est pas le seul à allier ouverture d'interface et financement de
start-up. Google a lancé Google Gadget Ventures, qui propose des dons de 5
000 dollars ou des prises de participation à hauteur de 100 000 dollars aux
développeurs sur iGoogle. La société de capital investissement KPCB a créé
iFund, un fond de 100 millions de dollars pour financer les applications
pour iPhone et iPod Touch. Enfin, le canadien RIM a lancé récemment le
BlackBerry Partners Fund : 150 millions de dollars pour les développeurs sur
Blackberry.
En un sens, Facebook revisite deux véhicules historiques de l'innovation :
la spin-off et le corporate venture. La spin-off, start-up émanant d'une entreprise mère dont elle tire généralement son financement, explore des marchés en croissance ou développe des produits innovants. Elle demeure partenaire privilégié de la maison mère et bénéficie de facilités d'accès à ses moyens généraux (locaux...) voire à
ses réseaux de distribution.
Le corporate venture est un type de fonds de capital-risque financés par un
grand groupe industriel. Ces fonds investissent dans des spin-off du groupe
ou des start-up extérieures et permettent de se positionner indirectement
sur des marchés en croissance.
Le modèle de Facebook réinterprète ces stratégies sans véritablement
s'inscrire ni dans l'une, ni dans l'autre. Il permet de « recruter » les
meilleurs innovateurs sur un modèle de « spin in » : l'entreprise donne les
moyens à des individus ou des entreprises de bénéficier d'accès aux moyens
de production et les transforme en coentrepreneurs, sans investir en direct
car elle n'en a pas les moyens. La contribution financière sous forme de
dons lui permet d'attirer l'attention des développeurs tout en évitant
d'avoir des participations hasardeuses dans son bilan. Ainsi les jeunes
pousses se retrouvent avec les mêmes investisseurs, mêmes objectifs, mêmes
risques et mêmes stratégies que Facebook.
C'est finalement ce modèle gagnant / gagnant qui conduit Facebook à
s'adjuger les taux de croissance mondiaux les plus impressionnants du web. Les
services innovants collent au plus près aux besoins des utilisateurs, il
existe une animation permanente autour du lancement de nouvelles
applications et les revenus engendrés sont justement partagés. Ce modèle
d'innovation trouve son sens majeur dans les activités internet ou logiciel,
où il est poussé par les logiques d'agrégation (mash-up) et d'ouverture
d'API. Pour autant, une extension à d'autres secteurs d'activité peut être
envisageable. Dans un contexte où les plates-formes de développement sont
de plus en plus ouvertes (plate-forme commune dans l'automobile...), ces
nouvelles formes de management de l'innovation illustrent la tendance
actuelle en faveur d'une innovation distribuée au sein d'un écosystème
d'entreprises.
Voila sans doute une des raisons du succès actuel de Facebook et peut être
aussi le meilleur moyen pour le site d'éviter une érosion de ses visites une
fois le buzz retombé...
Par Henri Tcheng, Benjamin Blasco et Franck Szabo, BearingPoint