Le numérique, un chantier qui a pris du retard pour les entreprises du CAC 40

Les grandes entreprises françaises, qui font face à la révolution numérique et à l’émergence des pure players du Web, semblent avoir pris du retard en ce qui concerne leur stratégie digitale.

Cependant les géants américains nous montrent qu'il est possible de se doter des mêmes armes à condition d'entamer une transformation franche. Les grandes entreprises françaises du CAC 40 se retrouvent aujourd’hui face à un double enjeu : comment maintenir leur leadership face aux pure players du digital tout en conservant leur ADN. La révolution numérique remet en cause les fondements des business models traditionnels qui ont permis leur internationalisation et redistribue les cartes en faveur d’entreprises nouvelles capables de croître très rapidement.

Comme le mettent en évidence Gilles Babinet et Nicolas Colin (1), les grands groupes français ont le devoir de réagir s’ils entendent éviter de se trouver en situation de fragilité face aux nouveaux enjeux du digital et aux nouveaux acteurs. En effet, ces derniers tentent de s’imposer comme de nouveaux intermédiaires ou de nouveaux interlocuteurs entièrement tournés vers le numérique et qui court-circuitent les circuits traditionnels par le biais des technologies digitales, tout en ayant des structures de coûts bien moins lourdes. Leur arme ? La donnée.

Pour répondre à ce challenge, les grandes entreprises historiques doivent se doter des mêmes moyens que les nouveaux entrants.

Toute l’expertise et la puissance des entreprises industrielles traditionnelles peut aujourd’hui devenir obsolète si elles ne maîtrisent pas les éléments suivants :

  1. Infrastructure de collecte de données clients,
  2. Traitement et analyse des données,
  3. Connaissance client,
  4. Flexibilité de l'offre,
  5. Proximité immédiate avec le client.

La finalité : Une optimisation et une personnalisation de l'offre en temps réel

Cet enjeu de maitrise des données est aujourd’hui primordial pour ne pas être dépassé par les nouveaux pouvoirs octroyés aux individus via les nouvelles technologies. Cela soulève l’importance d’entamer une réflexion profonde sur la stratégie digitale qui permettra d’y faire face, notamment sur les problématiques web et mobilité qui sont le socle des nouveaux business models.

Aux États-Unis cette démarche a déjà été entamée par certains géants du 20ème siècle. Devant l’érosion de ses ventes et le succès retentissant du leader de l’e-commerce Amazon (+ 40% de CA en 2011 vs 2010), Walmart a rapidement pris conscience de la nécessité d’investir à son tour ce nouveau modèle économique afin de relancer l’ensemble de ses ventes.

Sous l’impulsion d’une nouvelle équipe dirigée par Joel Anderson, Walmart a fondé un centre de développement R&D numérique (@WalmartLabs) qui a donné naissance à un set d’applications mobiles et un centre de collecte et de traitement des données (Le Social Genome). Grâce à ces outils Walmart est capable d’assurer le lien entre l’expérience magasin, web et mobile du client afin de lui proposer des promotions ultra-ciblées et en temps réel. Le groupe compte ainsi capitaliser sur les 140 millions d’individus par semaines qui arpentent les rayons de ses 4400 magasins. La stratégie est efficace comme en témoigne la réaction épidermique d’Amazon, livrant depuis une véritable guerre sur les innovations, les prix et les exclusivités. Amazon entend par ailleurs développer une présence physique ainsi que des devices mobiles, comme la tablette Kindlefire,  pour accompagner les ventes online.

En France, certaines entreprises comme Pernod Ricard, sortent du lot en matière de stratégie numérique. Le groupe alcoolier a par exemple organisé sa démarche autour du projet Pernod 2.0 qui se matérialise en interne par l’utilisation poussée du BYOD (Bring Your Own Device), d’applications mobiles, de réseaux sociaux internes, le tout soutenu par des séminaires de formation.
En externe, ce sont les consommateurs qui sont impliqués via l’utilisation de la géolocalisation et des applications mobiles : par exemple une application permet d’envoyer aux clients géolocalisés à proximité d’un bar partenaire, un sms  leur offrant un cocktail gratuit. L’objectif est de renforcer le lien avec les clients sur le point de vente au moment de consommation.

Malgré tout, ce type d’initiative reste marginal au sein des entreprises du CAC 40. Une étude menée par l’organisme CFRIO en collaboration avec le CIGREF auprès de 250 grandes entreprises françaises montre que si les outils informatiques traditionnels (suites bureautique, site internet, progiciels de gestion voire systèmes de Business Intelligence) sont parfaitement intégrés, les nouveaux outils digitaux restent largement sous-exploités. Ainsi seules 15 % des entreprises déclarent utiliser les outils de Web analytics de manière régulière, 13 % pour les FAQ collaboratives, 19 % concernant les réseaux sociaux en externe, 22 % les applications mobiles ou encore 22 % pour les outils de stockage et de gestion de données (cloud, big data, datamining).

Cela montre l’étendue du chantier existant pour les grands groupes français et de l’urgence qui caractérise ce besoin de transformation.
Ces outils encore si peu utilisés sont déjà indispensables et seront parfaitement maitrisés par les entreprises qui domineront le marché de demain. C’est pourquoi les acteurs historiques doivent réfléchir dès maintenant à éliminer le plus rapidement possible toutes les barrières à cette transition.

(1) Gilles Babinet et Nicolas Colin, Le numérique, talon d’achille des entreprises du CAC 40, le 5 Juin 2013 – Les Echos