Facebook ne dit pas tout à ses investisseurs

Facebook ne dit pas tout à ses investisseurs Comme Yahoo en son temps, Facebook profite d'une manne publicitaire qui pourrait fort bien s'arrêter brutalement. Et il oublie de le dire à ses investisseurs.

Le 23 juillet, lorsque Facebook a révélé ses bénéfices pour le second trimestre, tout le monde a été ébahi. Ils s'élevaient à 2,68 milliards de dollars, soit 67% de plus que ceux de l'année dernière à la même période.

Encore mieux, 62% de ces bénéfices provenaient des ventes de publicité mobile, une activité que Facebook n'a lancée qu'en 2012, année de son introduction en bourse. La société vaut aujourd'hui 200 milliards de dollars, une somme considérable. Sa valeur boursière dépasse celles d'Amazon et de Yahoo réunies.

Tout ceci a ravi les investisseurs de Facebook. Ils peuvent l'être ! Quiconque a investi de l'argent lors de l'introduction en bourse de Facebook a récolté le double de cette somme aujourd'hui.

Facebook mérite son succès. Le réseau continue de développer sa base utilisateur. Mark Zuckerberg a démontré qu'il était très habile dans l'art de faire des offres d'achat agressives. Sheryl Sandberg, directrice des opérations, sait évidemment utiliser la publicité pour générer des revenus.

Mais Facebook a déçu ses actionnaires en omettant de leur communiquer des informations cruciales au sujet de ses opérations publicitaires : il ne révèle pas le montant des sommes récoltées grâce à "Mobile App Install Ads."

Pour comprendre pourquoi Facebook devrait révéler ces chiffres, il faut remonter à l'an 2000. Cette année-là, la plus importante société de l'Internet se composait d'un portail basé à Sunnyvale : Yahoo. En janvier, sa valeur boursière atteignait à l'époque 128 milliards de dollars.

Les investisseurs ne savent pas à quel point Facebook en pâtira si le commerce de Mobile App Install Ads s'effondrait

Ses revenus augmentaient rapidement de façon considérable. Ils s'élevaient à 1 milliard de dollars en 2000. Mais le business de Yahoo comportait un défaut majeur. Les annonceurs qu'il attirait n'étaient pas des acheteurs traditionnels – Ce n'étaient pas les grands annonceurs qui achetaient les publicités pour la télévision, les magazines et les journaux – mais en majorité des jeunes sociétés financées par le capital risque.

Pendant un certain temps, les affaires étaient florissantes. En 1999, les capital-risqueurs investirent 56,9 milliards de dollars dans de nouvelles entreprises qui, à leur tour, utilisèrent cet argent pour acheter de la publicité dans des portails publicitaires comme AOL.com, MSN.com ou Yahoo.com.

La situation était étrange. Une société pouvait entrer en bourse à une valeur considérable, presque uniquement parce qu'elle possédait un partenariat avec un portail.

Le problème était que ces publicités n'aidaient pas les start-up à viabiliser leurs modèles. A mesure que ces sociétés s'effondraient, la peur remplaçait l'appât du gain sur les marchés boursiers et leur cote flanchait. L'argent du capital risque avait quasiment disparu.

Pour Yahoo, la chute fut brutale. En septembre 2000, neuf mois après avoir atteint une valorisation de 128 milliards, la valeur boursière de Yahoo passa à 5 milliards de dollars. En 2001, ses revenus étaient tombés à 500 millions de dollars et les profits se sont transformés en pertes à mesure que ses clients faisaient faillite.

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La valeur boursière de Yahoo s'est effondrée. © Google Finance

Aujourd'hui, à cause de Mobile App Install Ad, Facebook se retrouve dans une situation similaire à celle de Yahoo en 2000. Le plus inquiétant réside dans le fait que, comme les publicités de Yahoo en 2000, celles de Facebook ont été achetées par des jeunes entreprises en quête de clients financées par le capital risque.

Mike Shields a rapporté pour le Wall Street Journal que, la plupart du temps, les clients de l'application publicitaire de Facebook étaient des sociétés qui développaient des jeux mobiles. A l'heure qu'il est, vendre de la pub à de telles compagnies de jeux vidéos représente un commerce lucratif pour Facebook. Au second trimestre, les investissements en capital-risque ont augmenté de 55% par rapport au trimestre précédent et de 126% par rapport à l'année dernière. Le capital-risque n'avait pas augmenté autant depuis le trimestre en 1999 précédent les 128 milliards de dollars de valeur boursière de Yahoo. Au cours de ces trois mois, les investissements en capital-risque avaient augmenté de 66% par rapport au trimestre précédent et de 298% par rapport à l'année précédente.

Mais que se passera-t-il lorsque cet argent n'aura plus aucune valeur, comme ce fut le cas en 2001 ou 2008 ? Qu'adviendra-t-il de Facebook ? Les investisseurs n'ont actuellement aucun moyen de le savoir – ni de faire des suppositions. Facebook ne leur dévoilera pas combien d'argent il touche de ces sociétés financées par le capital-risque.

Soyons clairs. Le réseau social et ses investisseurs se trouvent sur un terrain plus stable que celui de Yahoo en 2000. Tout d'abord, Facebook vend des publicités diverses et variées grâce à Mobile App Install Ads et les analystes pensent que la majeure partie de ses bénéfices provient d'annonceurs traditionnels.

Ensuite, les start-up qui alimentent Facebook diffèrent de celles qui alimentaient Yahoo. A l'inverse des points-com des années 90, les développeurs de Mobile App Install Ads génèrent des revenus. Ils forment de vraies entreprises. Selon Superdata, elles amasseraient plus de 21 milliards de dollars.

Il est difficile d'imaginer qu'une implosion du capital-risque d'ici 2015 ou 2016 pourrait affecter Facebook au même point que Yahoo en 2001. Mais le réseau social en subirait les conséquences. L'industrie du jeu mobile n'est pas soutenue par le capital-risque de la même façon que les points-com dans les années 90, mais il gonfle sans doute le budget marketing global de cette industrie.

Pour l'heure, le vrai problème est que les investisseurs ne savent pas à quel point Facebook en pâtirait si le commerce de Mobile App Install Ads s'effondrait.

Quiconque possède des actions Facebook ne fait pas seulement un pari sur l'avenir du réseau social, il parie également sur l'avenir du jeu mobile et du marché du capital-risque qui le finance.

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La valeur de Mobile App Install Ads augmente rapidement. © BI Intelligence

Au cours de la présentation de résultats de Facebook pour le 2e trimestre, Sheryl Sandberg a déclaré : "Les gens pensent que notre application publicitaire constitue la majorité de nos bénéfices, mais ce n'est pas le cas. Elle n'en représente qu'une partie, car ceux-ci proviennent de sources multiples. Nous collaborons avec des annonceurs célèbres, petits ou grands, ainsi qu'avec des développeurs qui se servent de nos publicités mobiles.

Le marché des publicités pour les installations d'applis n'est pas constitué que par des développeurs. De grandes sociétés sont aussi clientes et elles représentent une bonne partie de ce chiffre d'affaires. Mais pour nous, le marché de la publicité mobile est bien plus large que celui lié aux installations d'appli."

Cette déclaration constitue une première étape avant le dévoilement des sommes perçues par Facebook grâce à Mobile Apps Install Ads, et à quel degré ce commerce dépend d'entreprises à fonds de capital-risque.

Facebook doit maintenant franchir une nouvelle étape. Lors de la prochaine présentation de ses résultats, Facebook devra révéler combien de ses annonceurs se trouvent être des entreprises qui utilisent l'argent du capital-risque afin d'obtenir de nouveaux utilisateurs.

Cette industrie est terrifiante, même pour les investisseurs les plus expérimentés. Il y a quelques jours, deux des plus éminents capital-risqueurs au monde, Bill Gurley et Fred Wilson, ont déclaré qu'ils étaient inquiets parce que les jeunes entreprises flambaient leur argent comme ça se passait dans les années 90.

Les investisseurs de Facebook ont le droit de savoir à quel point ils sont impliqués dans ce commerce instable.

Article de Nicholas Carlson, Traduction de Floriane Wittner, JDN

Voir l'article original : Facebook Is Hiding Important Information From Investors