Le programme secret de Google pour conserver ses cadres placardisés

Le programme secret de Google pour conserver ses cadres placardisés Dans le secteur IT, les ingénieurs et cadres ont une valeur énorme. Mieux vaut éviter de les laisser filer vers la concurrence, même quand ils n'ont plus de mission. Google a une méthode bien à lui pour y parvenir.

Le "banc des vétérans" de Google est rempli de visages familiers, et ce n'est pas un hasard. En raison de l'obsession du géant d'internet pour les ingénieurs et les chefs de produits de valeur et de son instinct de compétition pour les garder à l'écart de ses concurrents certains cadres peuvent rester inactifs pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, tout en recevant un salaire en attendant que l'entreprise ait de nouveau besoin d'eux.

Certains de ces visages réapparaissent un jour sous le feu des projecteurs. Omid Kordestani, le premier chef des ventes de Google a été rappelé à un rôle actif l'an dernier pour superviser les activités après le départ brutal du directeur commercial Nikesh Arora.

Brian McClendon, un des premiers responsables du produit Google Maps, est resté sur la touche pendant plus de six mois après avoir quitté son poste à l'automne dernier. McClendon, est un personnage important de Google mais il reste pour l'instant sur le "banc des vétérans" afin de réfléchir à son évolution au sein de Google, ont déclaré des sources proches de l'entreprise. On ne sait pas réellement s'il va commencer un nouveau projet ou quitter l'entreprise.

Certains cadres peuvent rester inactifs pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, tout en recevant un salaire

Quant à Salar Kamangar, un des 15 premiers employés de Google et ex directeur de la branche Youtube, il détient le titre de vice-président produits mais son poste actuel implique également de conseiller le PDG Larry Page, selon un rapport récent de The Information.

Il s'agit là d'une tactique efficace mais toutefois peu connuevde la stratégie de Google pour intégrer de nouveaux marchés tout en gardant une longueur d'avance sur un nombre croissant de concurrents qui cherchent à tout prix à récupérer des experts d'internet.

"Cette stratégie permet de garder les employés compétents à l'écart de la concurrence," déclare un ancien cadre de l'entreprise. "Cela permet de conserver une personne qui connait déjà l'entreprise en cas de besoin. Et garder ces personnes à proximité coûte beaucoup moins cher à Google que les laisser partir au risque qu'elles lancent le nouveau Facebook."

Environ un tiers des 100 premiers employés de Google travaillent toujours dans l'entreprise à en croire "Work Rules!", le livre du responsable RH Laszlo Bock. D'après les  sources, il s'agit plus d'un système informel que d'un programme établi. Mais l'intention sous-jacente est claire et délibérée. "C'est très rationnel," déclare cet ancien cadre. Google s'est refusé à tout commentaire.

Les poches bien pleines et les projets internes divers de Google incitent l'élite des cadres et des ingénieurs à rester dans les parages même après avoir été écartés de leur poste précédent. L'entreprise annonce souvent à un cadre qu'il doit prendre 18 ou 24 mois pour réfléchir à ce qu'il veut désormais faire dans l'entreprise, explique l'ex Googler.

En cas d'urgence

Dans certains cas, les cadres de valeur reçoivent un titre fourre-tout, tel que "conseiller spécial". Dans d'autres cas, ils sont envoyés dans des services variés de Google, souvent à des postes qui ne sont pas clairement définis ou qui n'ont pas une importance stratégique évidente.

Selon un autre employé, il n'est pas rare pour un cadre de passer soudainement dans "l'ombre" en raison des nombreux projets confidentiels qui apparaissent au sein de l'entreprise. Jeff Huber, qui supervisait l'unité cartographie et commerce, travaille désormais au Google X Lab sur des projets non divulgués. Mike Cassidy, qui est arrivé chez Google en 2010 au moment de l'acquisition de l'équipe à l'origine du site de voyages Ruba, a été à la tête du projet de ballon Internet en secret pendant un an avant que Google ne le rende public en 2013.

Selon une autre source, certains cadres prennent leur mal en patience et attendent une opportunité intéressante pour réapparaitre au sein de l'entreprise. D'autres jouent plus le rôle d'atouts d'urgence conservés dans une boîte en verre, qui peut être brisée à tout moment.

Quand Jonathan Rosenberg a quitté son poste de chef de produit en 2011, certains employés et personnes extérieures à Google ont supposé qu'il avait quitté l'entreprise pour de bon. En fait, selon certaines personnes qui ont eu vent de l'affaire, il est resté inscrit sur les listes de personnel et a gardé son bureau et son secrétaire. Rosenberg agissait en qualité de conseiller en coulisses de l'équipe en charge de Motorola après l'acquisition du fabricant de téléphones par Google en 2012. Quand le PDG de Motorola Dennis Woodside a démissionné et accepté un nouveau poste chez Dropbox en 2014, Google a rapidement fait appel à Rosenberg pour combler le vide, permettant ainsi une continuité dans la gestion quotidienne. La dernière mission qui a été confiée à Rosenberg fut la gestion de l'équipe chargée de la robotique, mission apparemment temporaire après une succession de changements de managers dans le groupe, selon The Information.

Le "traducteur Larry"

Selon un ancien manager de l'entreprise, certains de ces postes portaient au début le titre de "projet spécial". Google s'est finalement rangé à "conseiller" afin d'éviter de laisser croire qu'il s'agissait d'un lancement d'une nouvelle activité par la personne concernée, ce qui pouvait causer une confusion interne ou créer des conflits au sein du groupe. Le terme "conseiller" est beaucoup plus anodin et fait référence à un rôle de soutien.

Ce système de "banc des vétérans" n'est pas exclusivement réservé aux cadres haut placés. Les ingénieurs compétents et les employés commerciaux peuvent également être écartés de leur activité, selon un ancien employé Google, qui se rappelle qu'un ancien collègue a attendu six à huit mois pour être informé de son prochain poste, tout en continuant à percevoir son salaire.

Dans certains cas, un de ces employés continue à effectuer quelques tâches en lien avec son ancien poste. D'autres peuvent déconnecter plus complètement. Matt Cuts, employé depuis 14 ans chez Google et chef de la prévention contre les spams, a annoncé l'été dernier qu'il partait en congé et a prolongé son absence jusqu'en 2015 (on ne sait pas s'il est encore inscrit sur les listes du personnel).

Combien d'entreprise peuvent se permettre de payer un salaire complet à un employé qui ne travaille pas à temps plein ?

La possibilité d'être payé et de recevoir des dividendes grâce à ses actions tout en pensant à la prochaine étape de sa vie présente un attrait indéniable. Et il est peu probable que l'élite des programmeurs et des cadres qui quittent l'entreprise conservent le statut et la crédibilité dont ils jouissaient chez Google.

"Chez Google, le travail est intense. La direction a conscience que tout le monde, à un moment donné, craque et doit faire une pause," déclare cet ancien manager en présentant ce système comme un avantage important de Google. "Combien d'entreprises peuvent se permettre de payer un salaire complet à un employé qui ne travaille pas à temps plein ?"

Tout le monde ne reste pourtant pas dans les parages. Andy Rubin, qui est à l'origine de la création du très réputé logiciel mobile Android, a quitté son poste en 2013 pour prendre la tête d'un nouveau projet robotique au sein de Google. Mais après 10 ans, Rubin a finalement quitté Google en octobre dernier pour créer un incubateur de start-up indépendantes de matériel informatique.

Pour Google, le meilleur exemple de l'importance de garder cette collection de cadres confirmés sous le coude est Kamangar. Grâce à son poste à la tête de la branche Youtube et à la création du premier business plan de Google, Kamangar connait tout sur l'entreprise et, plus important encore, sur son cofondateur et PDG instable Larry Page. Il est le "traducteur" de Larry Page, comme l'indique l'ancien manager. Il a remarqué que Kamangar pouvait presque prédire les paroles de Page dans certaines situations et remplissait parfaitement son rôle de lien entre Page et l'entreprise. "Larry remet tout en cause, mais il accorde de l'importance aux arguments de Salar," déclare-t-il.

D'autres ex-employés ont fait écho à cette idée, en affirmant que Page avait totalement confiance en Kamangar.

Si un groupe prévoit de montrer un produit à Page, Kamangar peut aider à préparer la présentation, en conseillant la meilleure approche à adopter. De cette manière, l'équipe risque moins de se faire renvoyer par Page et d'être démoralisée.

Article de Alexei Oreskovic et Jillian D'Onfro. Traduction par Manon Franconville, JDN.

Voir l'article original : Google has a secret 'bench' program that keeps executives at the company even when they're not leading anything