Pour un open data du langage numérique

Qu’est-ce que le numérique a changé dans les mutations du langage dans l’entreprise ? 

Pour sa treizième étude, l’Institut de la qualité de l’expression a analysé les mutations du langage dans l’entreprise.
Le numérique a provoqué un tsunami et balayé l’écriture amidonnée et la langue rigide des années 90 : « Internet et plus largement le cyberespace se sont développés sur un substrat riche de mythologies et d'idéologies autour de la liberté, comme un nouvel espace à conquérir qui s'affranchirait du poids des institutions et des différentes formes de pouvoir centralisé. » [1]
La langue captive, bridée par la pensée convenue du corporate des années 1990 et 2000, se ré-invente : les nouveaux usages du Web ont obligé les entreprises à repenser leur mode de communication et leur approche éditoriale, pour laisser de côté les approches institutionnelles distanciantes ou commerciales  agressives.
Désormais ce qui compte, c’est la capacité à apporter de la franchise, des solutions à des besoins, des réponses personnalisées à des attentes ciblées. L’écriture vit, respire, tend vers l’autre et devient relationnelle : « Internet a tout changé, sur le fond, et sur la forme. C’est à présent le client qui choisit. De nouvelles attentes vis-à-vis des marques et des entreprises ont émergé. L’entreprise doit désormais se montrer plus à l’écoute de ses publics. » commente Isabelle Cambreleng, Directrice de l’expérience client, des ventes en ligne et de la communication de La Poste.

Open data langage

Et tout cela s’accompagne de nouveaux formats de langage plus directs, plus proches et plus humbles. Le dialogue a remplacé le monologue. Sur Facebook par exemple, chaque post de l’Occitane invite l’internaute en Provence, tandis que Citroën le convie à bord d’une 2CV avec justesse et espièglerie. 
Si cela séduit, c’est parce que la langue de l’entreprise répond à notre irrépressible besoin d’entendre des histoires, des mythes, de donner un sens séduisant à nos actions, à nos achats. L’entreprise qui inscrit le quotidien de ses clients dans un récit symbolique sait qu’elle se détachera du lot.
Avec l’évolution des datas, selon Thierry Plantegenest, directeur Client Groupe Renault Monde, la langue devient sociale : « Quand je dois écrire, ma source ? Elle provient des attentes des clients qui nous livrent leurs témoignages, leurs opinions via les réseaux sociaux, le service relation clientèle, des études qualitatives que nous organisons. Mes mots, mes verbes, sont issus de la langue du client. Je ressens le ton donné sur les réseaux sociaux et m’en inspire. »

L’entreprise est un média et se « met en récit »

Dans cette attention et cette dimension sociale et humaine, une vérité plus grande de la relation avec le collaborateur et le client apparaît. Le langage de l’entreprise prend source entre autres dans la parole des collaborateurs. Et on écoute enfin le client pour converser avec lui.
Désormais, quand l’entreprise s’exprime, c’est dans une logique de conquête, de séduction et de valorisation de ses savoir-faire... Elle prouve, démontre, et en appelle à parts égales la raison et l’émotion pour offrir une expérience, pour créer un écosystème qui lui ressemble, car expérience et écosystème sont les mots dans l’air du temps.  

Le langage : ce capital stratégique

Personnalité numérique, codes sémantiques. La langue devient un capital stratégique.  Et la qualité du langage génère, exprime une performance. Thierry Plantegenest ajoute : « on vient juste de découvrir la puissance du langage et c’est le digital qui a changé la donne. »
« Les marques doivent se penser elles-mêmes comme un média, ouvert jour et nuit, en accès libre et permanent qui encourage les échanges entre personnes. [2] » : la vidéo devient un levier d’illustration capital. Le produit devient un élément du scénario. Et l’entreprise raconte une histoire. Selon Jean-Marc Guscetti, « raconter une histoire est pertinent, efficace, inspirant. Sur le Web, l’entreprise qui se raconte possède deux choses : des racines et des ailes.»
On observe ainsi un retour de la création : «  Les valeurs présupposées de la création et de l'artiste entrent alors en résonance avec celles de la culture Internet. [3]». Chez Monoprix ou Oasis, chaque message de la marque devient l’objet de véritables créations linguistiques...
Sephora souhaite « séphoriser le Monde », Nuxe invente la formule de civilité qui ne dit jamais adieu : « Prodigieusement vôtre ». Chez Leroy Merlin, dont le partage fait partie de l’ADN, on crée la « communauté des bricoleurs passionnés ». C’est comme si, sur le Web, enfin, les entreprises osaient décider d’un style.

Présent perpétuel et vélocité du Web

Toutefois, tout n’est pas paradis dans cet Eden numérique et il y a d’ores et déjà des fruits à ne pas cueillir... Au même moment, les mots du référencement se recentrent autour du prix, de l’efficacité et la langue apparaît souvent brutale. Prix cassés, bonnes affaires, top ventes etc... Parfois, sur le Web, la langue se dessèche.
Attention, souvent la vélocité de l’écriture numérique nuit parfois à la subtilité. L’écriture numérique condense et peut négliger toute nuance. Tout est vite simplifié... et de simple on tend vers le simplificateur : c’est l’ère des phrases courtes, des brochettes de mots.  Plus de pauses, plus de subordonnées, plus d’imparfait ou de futur : c’est le temps du présent perpétuel.
Pour conclure, Sophie Durand, directrice de la Communication de Randstad, possède à ce sujet une formule clé : « On est dans l’éphémère, dans le « one shot » : alors, comment s’inscrire dans le temps ? Comment assurer une constance dans nos messages et nos postures ? »
Voilà l’enjeu : incertitude, urgence, simultanéité et multi-dimensionnalité des messages : on le sent, les entreprises cherchent l’équilibre de leur nouveau discours. Le meilleur fait face au pire ! C’est une époque magnifique.


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[1] TOUBOUL, Annelise, CROISSANT Valérie, Les enjeux de l’Information et de la Communication, GRESEC, 2011.
[2] KAPFERER, Jean-Noël, Réinventer les marques, Eyrolles, 2013.
[3] TOUBOUL, Annelise, CROISSANT Valérie, Les enjeux de l’Information et de la Communication, GRESEC, 2011.