Détournement d'une BD par un parti d'extrême droite : quelles sont les limites de la parodie ?

La CJUE a rendu hier un arrêt attendu en matière de droit d'auteur. Cela faisait suite à l'action engagée par les ayants droit de l'auteur d'une BD, choqués par la transformation et l'utilisation de celle-ci faite par un parti d'extrême droite belge.

La Cour répond en se référant directement au sens habituel du terme "parodie" dans le langage courant et rappelle l'importance de la liberté d'expression et du principe de non discrimination.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu hier son arrêt dans l’affaire opposant les héritiers et ayants droit de l’auteur des bandes dessinées Bob et Bobette au parti d’extrême droite belge, donnant ainsi une définition précise de l’exception de parodie.

Lors de la réception organisée en janvier 2011 par la ville de Gand (Belgique), Monsieur Deckmyn, membre du Vlaams Belang, avait distribué des calendriers de l'année 2011 détournant la couverture d'une bande dessinée de Bob et Bobette.

Le calendrier du parti politique quant à lui reprenait la couverture de la bande dessinée de façon détournée, en faisant apparaitre le bourgmestre de la ville de Gand qui jetait des pièces à des personnes voilées ou de couleurs. Les ayants droit avaient saisi la justice et le juge avait reconnu l’atteinte en ordonnant au parti politique de ne plus utiliser cette image. Le parti politique a fait appel de la décision en s’appuyant sur l’exception de parodie.

La juridiction d’appel belge a ensuite formé un renvoi préjudiciel, c’est-à-dire qu’elle a demandé à la CJUE de lui donner son interprétation du droit européen.

En effet, la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 précise en son article 5, paragraphe 3, sous k) que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations aux droits d’auteur et aux droits voisins, « notamment lorsqu'il s'agit d'une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche » mais elle ne donne pas davantage de précisions.
 
La question posée aux juges européens par la juridiction belge était de savoir quelles étaient les conditions dans lesquelles l’exception de parodie pouvait s’appliquer. En attendant la réponse, le juge national avait donc suspendu le litige.

L’examen de la décision de la CJUE révèle que celle-ci se réfère directement au sens habituel du terme « parodie » dans le langage courant.

Concrètement, cela signifie que pour être légale, une parodie doit évoquer de façon claire une autre œuvre existante mais en présentant des différences suffisamment claires pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. Et bien entendu, elle doit constituer une manifestation d’humour ou de raillerie.

La CJUE indique également que la parodie doit respecter un juste équilibre entre d’une part, les intérêts et les droits des auteurs (mais aussi des éditeurs, artistes, producteurs etc) et d’autre part, la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée.

Enfin, elle précise que pour vérifier le respect de ce juste équilibre dans une situation donnée, le juge national doit se référer aux circonstances de l’affaire.

Exit donc les conditions diverses évoquées devant la Cour, selon lesquelles la parodie devrait présenter un caractère original propre, autre que celui de présenter des différences perceptibles par rapport à l’œuvre originale parodiée, devrait pouvoir raisonnablement être attribuée à une personne autre que l’auteur de l’œuvre originale lui-même, devrait porter sur l’œuvre originale elle-même ou devrait mentionner la source de l’œuvre parodiée.

Son interprétation de la directive donnée, la CJUE renvoie donc dès aujourd’hui l’affaire devant le juge belge. Ce sera à lui de décider, en fonction des critères énoncés, s’il y a contrefaçon ou non.

Toutefois, la CJUE a quand même pris soin de rappeler dans sa décision l’importance du principe de non-discrimination fondée notamment sur la race, la couleur et les origines ethniques (article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), en relevant que le fait que la parodie effectuée par le parti d’extrême droite comporte un message de nature discriminatoire pouvait effectivement porter atteinte aux intérêts des ayant droits de l’auteur de la bande dessinée puisqu’elle associe l’œuvre d’origine à ce message.

En tout état de cause, la décision rendue ce jour par la CJUE a force obligatoire et s’impose donc non seulement à la juridiction belge qui a posé la question mais aussi à toutes les juridictions des États membres. Ceci est d’autant plus valable que la CJUE a jugé que la parodie était une notion autonome et qu’elle devait donc être interprétée de manière uniforme sur tout le territoire de l’Union.

Par conséquent, les tribunaux français devront donc également appliquer l’interprétation donnée par la CJUE de la notion de parodie.

L’interprétation donnée hier par la CJUE demeure néanmoins similaire à celle déjà appliquée en France.

Traditionnellement, la jurisprudence française considère en effet que pour être légitime, la parodie doit poursuivre une intention humoristique, éviter tout risque de confusion avec l’œuvre parodiée et permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée.

Le Tribunal de grande instance de Paris avait eu l’occasion de le rappeler en 2008 en condamnant TF1 et la société So Nice Productions à 75 000 euros de dommages et intérêts pour s’être trop inspiré de Fort Boyard dans l’émission « 1ère compagnie ». Cette émission de téléréalité avait pour but de placer des célébrités dans un pseudo camp militaire de la jungle guyanaise. Dans l’un des numéros de l’émission, une séquence intitulée « Fort Guyane » s’inspirait fortement du célèbre jeu, en utilisant sa musique et ses caractéristiques principales, telles que les clés et trois personnages s’inspirant fortement de ceux bien connus de Fort Boyard.

Face à cette accusation, TF1 et les producteurs de « 1ère compagnie » avaient opposé l’exception de parodie. Le Tribunal l’avait rejetée en considérant que le but de la reprise de ces éléments caractéristiques de Fort Boyard était parasitaire et non pas uniquement humoristique.

En conclusion, ce qu’il faut retenir de la décision rendue ce jour par la CJUE est que pour être légale, une parodie doit :
  • constituer une manifestation d’humour ou de raillerie,
  • évoquer une autre œuvre existante tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci,
  • respecter un juste équilibre entre les droits et intérêts des ayants droit de l’œuvre parodiée et la liberté d’expression de l’utilisateur d’une œuvre protégée, étant précisé que l’appréciation de cet équilibre se fait par rapport aux circonstances de l’affaire.
Il n’en demeure pas moins que la parodie reste soumise à l’appréciation souveraine des juges.