Citoyen, il est de votre devoir de vous intéresser au stablecoin !
Les paiements en espèce vont disparaitre, et se pose la question de ce qui va les remplacer. Face à un possible euro numérique liberticide, une alternative à connaitre absolument : le stablecoin.
Le 24 avril 2023, la Banque Centrale Européenne sort son rapport sur l'Euro Numérique. Quatre jours plus tôt, la Société Générale, via sa filiale SG Forge, annonce le lancement d'un stablecoin euro (1). Coincidence? Le futur de l'argent se joue peut être maintenant. Le stablecoin...encore un anglicisme non réellement traduit que vous devez connaitre, pour parler d’une cryptomonnaie, ou plutôt d’un cryptoactif non volatile dont la valeur reste équivalente à un euro. D’ailleurs, le positionnement d'une grande banque européenne sur ce marché est peut-etre une date historique sur ce sujet si important de l'argent digital. Enfin, important pour qui s’y intéresse, et pour l’instant nous sommes encore trop peu nombreux encore à comprendre l’importance des stablecoins, qui va bien au-delà du monde des crypto-enthousiasmes. Tous les citoyens de France, et du monde, doivent savoir ce qu’il est en train de se passer. Il s’agit d’une question sociétale.
Cet article ne vise ainsi pas à faire la promotion du projet de la Société Générale, qu’on apprécie par le simple fait qu’il existe et qu’il soit porté par une banque. L’idée est de sensibiliser le lecteur sur le rôle critique que les stablecoins auront peut-être un jour sur notre société, et sur le danger que leur absence pourrait représenter.
Pour vous expliquer tout cela, commençons par parler de monnaie digitale.
Nous nous dirigeons dans un monde où les espèces n’existent plus et où les moyens de paiements sont de plus en plus régulés. Il est facile d’imaginer un monde demain où chacune de nos dépenses, chacun de nos revenus sont tracés dans une base de données aux mains de l’état, où tous vos actifs financiers sont connus en temps réels par celui-ci, et où il peut s’autoriser, sous différents bons et mauvais prétextes, à geler l’intégralité de vos comptes en quelques secondes. Y voyez-vous une superbe outil pour lutter drastiquement contre la fraude fiscale et remplir rapidement les caisses de l’état, ainsi que freiner le financement du terrorisme et empêcher le blanchiment d’argent sale ? Une manière de réduire pour les commerçants les frais que les VISA et autres MASTERCARD appliquent aujourd'hui? Ou plutôt un danger majeur pour les libertés individuelles ?
Je suis personnellement dans ce dernier groupe. Si je reconnais les avantages majeurs qu’une monnaie totalement traçable et automatisable apporterait, j’ai surtout peur des dérives possibles. On peut s’inquiéter d’une telle monnaie, que l’on appelle dans notre jargon les CBDC (Central Bank Digital Currency), si elle venait à être déployée en France ou en Europe sans une profonde réflexion préalable. Tout va bien au début, les bénéfices sont rapides à identifier : moins de fraude à la TVA, plus de difficulté à justifier des revenus occultes, etc. On s’en félicite grandement, et un après l’autre les moyens de paiements du passé (carte de crédit, virement SEPA…) sont remplacés par cette technologie. Jusqu’au jour où arrive au pouvoir un gouvernement un peu plus autoritaire que les précédents. Il dispose alors de l’outil de contrôle parfait : ton rating social est mauvais ? Je te gèle tes fonds. Tu ne votes pas pour moi, je te coupe tes comptes. Tu as une tête qui ne me reviens pas ? Je te prends ton argent, je te laisse sans aucun moyens de paiements, dans la rue. On imagine sans problème l’épisode de la série Black Mirror qui nous fera entrer dans ce monde cauchemardesque.
Les banques centrales déjà au travail
Ce scénario est tout sauf impossible. Ce qui est particulièrement dérangeant à mes yeux est qu’il est en train de se décider en ce moment, de manière assez anonyme et surtout loin des débats publics ! La quasi-totalité des banques centrales, y compris en France, sont en train d’étudier la mise en place de CBDC, et certains pays ont déjà lancé leur monnaie numérique. S’étonnera-ton d’ailleurs que le premier pays à avoir installé un système de notation sociale de ses concitoyens, la Chine, soit aussi le premier à avoir lancé sa monnaie numérique, actuellement en cours de déploiement à grande échelle ? (2) Faites donc quelques recherches dans votre moteur de recherche sur les avancées de la Banque de France (3) et celles de la Banque Centrale Européenne (4) sur l’Euro Numérique et vous constaterez par vous-mêmes que de nombreux travaux, certains bien avancés, sont déjà en cours.
Rien n’est encore décidé, et nos craintes sont peut-être infondées. La monnaie numérique de banque centrale existera bientôt, je n’en ai aucun doute, et probablement pas dans une forme aussi dangereuse que celle imaginée. Mais le risque est si important qu’il faut tout de même s’en prémunir, et dès aujourd’hui en parler.
Ne vous trompez pas sur mon opinion. Je ne suis pas un anarchiste anti-système, ou quelqu’un refusant par principe le changement ou l’innovation. Je suis totalement en faveur d’une monnaie numérique, c’est pratique à bien des égards, tant pour le particulier et les entreprises dans la finance « retail », que pour la finance « wholesale » des gouvernements, grands groupes et de l’interbancaire.

Mais pour toutes les raisons évoquées plus haut, je suis totalement contre un monopole d’état sur les moyens de paiement.
Totalement contre les grosses bases de données aux mains de technocrates non élus et qui, au nom de la LCB-FT (Lutte contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme) nous rajoutent tous les jours de nouvelles règles à chaque fois un peu plus liberticide : la fin des paiements en espèce au-dessus de 1000€, le KYC crypto obligatoire dès le premier centime, etc...Si nous laissons faire, il sera interdit de payer de manière anonyme quoique ce soit d’ici la fin de la décennie. Même si vous n’avez rien à vous reprocher, trouvez-vous normal qu’une institution puisse littéralement tout savoir de vous : dans quel boulangerie vous étiez, à quelle heure, quel sandwich vous aimez ?
Lorsque vous remplirez en ligne vos fiches d’impositions sur le revenu, vous constaterez que le gouvernement sait déjà presque tout de vos actifs financiers. Enfin, pour l’instant il n’en a qu’une image à la fin de l’année dernière. Imaginez si maintenant il pouvait en plus contrôler vos dépenses une à une sur vos comptes bancaires, et ce en temps réel. Ca me fait personnellement terriblement peur. Pire, cette base de données pourrait être compromise, et hackée par des gouvernements ennemis ou des criminels qui sauront, soyez-en sur, l’exploiter à vos dépends.
Rappelons-nous de cette citation attribuée à Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux ». Et la liberté, c’est aussi pouvoir dépenser son argent librement, quitte à en faire n’importe quoi.
Tant bien même que l’euro numérique soit inéluctable, il existe des solutions. Il faut en effet permettre la concurrence dans les moyens de paiement.
L'alternative Stablecoin
Parmi les alternatives à cette e-monnaie d’état, ma préférée est celle des stablecoins. Nous voila revenu à notre sujet d’origine. Il s’agit de cryptoactifs gérés sur des blockchains publiques, et dont la valeur n’est pas volatile par rapport à une monnaie fiduciaire de référence (l’euro ou le dollar par exemple), car a priori pour chaque « coin » créé, il existe un euro véritable quelque part sur un compte en banque pour en assurer la valeur. Peut-être avez-vous déjà entendu parler de certains d'entre eux: l'USDT (USD Tether), l'USDC (USD Coin, de Circle), le BUSD (Binance USD) ou encore le DAI, parmi les plus gros. Tous fonctionnant sur des blockchains très peu consommatrices d'énergie, compatibles avec nos exigences RSE contemporaines.
Sur le principe, et à l’image du Bitcoin, ces cryptoactifs sont librement échangeables, pseudo-anonymes, et permettent de réaliser des transactions immédiates. L’émetteur du stablecoin peut fixer des règles dans son fonctionnement (montant maximum par transaction, possibilité de geler un compte sur demande d’un officiel, de blacklister des utilisateurs, etc), mais ces règles seront transparentes, définies par du code logiciel visible par tous sur la blockchain. Sur un marché concurrentiel, libre à chacun d’accepter ou non d’utiliser le stablecoin de la Société Générale et ses règles associées, ou de lui préférer celui de la société Circle, ou celui de Binance.
L’un des intérêts des stablecoins c’est qu’il est aujourd’hui techniquement très simple d’en créer un : quelques smart-contracts à développer et le tour est jouer. Tout individu a la tête bien faite, ayant une vision claire de ses objectifs et quelques compétences IT peux créer sa start-up et se lancer. La difficulté n’est pas dans l’informatique. Elle est tout d’abord dans la réglementation, mouvante. Un nouveau cadre réglementaire européen vient d’ailleurs d’être voté, un bon pavé de plus de 580 pages (5) laissant pas mal de places à l’interprétation, et obligeant la start-up désireuse de se lancer à respecter des dizaines d’obligations juridiques : connaissance client, une analyse de l’origine des fonds, le gel des fonds à la demande des autorités, etc… Du standard si on se place du point de vue du monde financier. Des règles liberticides cependant si on regarde le stablecoin comme un remplaçant au billet de banque, ou une alternative à bitcoin. La boulangère vous demande-t-elle votre carte d’identité et vos fiches de revenus avant d’accepter vos piécettes avant de vous donner votre baguette ?
Une réglementation claire, principal élément de confiance pour les institutionnels
Les crypto-punks historiques peuvent critiquer à juste titre ces règles contraignantes fixées par la loi, à l’encontre de la volonté initiale et libertaire de Satoshi Nakamoto, le créateur de Bitcoin.
Cependant, même pour eux, cette réglementation présente au moins un avantage. Elle permet d’apporter de la confiance là où il en manquait, et faire rentrer dans le jeu de nouveaux joueurs. Les investisseurs institutionnels qui souhaiteront utiliser des stablecoins sauront comment faire tout en respectant leur règles de conformité (on l'espère en tout cas, sinon qu'y a-t-il donc dans ces 580 pages et déjà dizaines de notes complémentaires?). Amundi, Axa IM et autres Black Rock pourront s’échanger du cash instantanément, via les stablecoins et la blockchain, sans avoir peur de se prendre une énorme amende de l’AMF dans la foulée. Enfin, ils pourront se faire une place dans le monde de la Finance Décentralisée (la « DeFi ») sur laquelle tant de promesses reposent quant à l'évolution de notre système financier (une autre fois peut-être en parlerons nous).
Car c’est simple : sans stablecoin, pas de DeFi, et sans DeFi, aucune grosse masse monétaire ne circulera dans les cryptoactifs.
Les stablecoins actuels du marché n’apportent pas la confiance attendue par ces institutionnels, ils présentent trop de risques pour leur permettre de les toucher, même du bout du pied. Et on les comprend : le scandale Terra Luna et ses 40 milliards de dollars envolés en 48h en avril 2022 –(6), ou la récente crise de l’USDC (7), un stablecoin d’une capitalisation de 30 milliards de dollars qui lui aussi en 48h a perdu 10% de sa valeur lorsque la Silicon Valley Bank a fait faillite, prouve sans aucun doute que les stablecoins actuels ne sont pas très…stables !
Si les institutionnels arrivent, le bitcoin prendra énormément de valeur
Sans régulation forte, pas de confiance, sans confiance pas d’institutionnels, sans ces derniers et sans stablecoins de qualité, pas de croissance majeure de la DeFi à attendre et pas d’adoption de masse de la crypto. Nos crypto-libertariens vont donc crier à la fin des libertés individuelles, et les bitcoin maximalistes de 18 ans vous expliquer que la régulation c’est mal, que l’état c’est pas bien, et que seul un web3 totalement décentralisé apportera une solution aux excès de notre secteur financier. Ce sont pour autant les mêmes qui le soir rêvent d’un bitcoin à 300 000€, sans comprendre qu’il n’arrivera jamais sans ces institutionnels pour en acheter par paquet de cents.
Je ne suis pas fan des textes de loi, et des règles qui s'ajoutent les unes aux autres nécessitant un bataillon d'avocats pour les comprendre, mais de manière très pragmatique, je ne vois pas comment nous pourrons les éviter. La pression politique est trop forte.
Les stablecoins régulés, ce n’est pas que c’est bien, mais c'est un passage obligé par lequel passer si nous souhaitons que le monde des cryptoactifs continue sa belle histoire et sa croissance ininterrompue. Vous penserez sans doute à mes mots qu’en tant qu’acteur du monde de la crypto, je vois peut-être un intérêt personnel à voir ce sujet pris en main correctement. Au-delà de ce petit cercle dont je fais partie, quel intérêt vous dites-vous aurait cependant le français moyen à regarder les stablecoin, lui qui le plus souvent n’a jamais entendu même parler d’Ethereum ou de Binance intéresser ?
Sans stablecoin, pas d'alternative à la e-monnaie d'état
Et c’est là que le sujet de la CBDC revient. S’il n’existe pas de stablecoin, il n’y aura pas d’alternative à proposer à la monnaie digitale d’état qui va bientôt nous être mis sous le nez, servi sur un plateau que personne n'a demandé. Et c’est là prendre un risque majeur, car une monnaie digitale officielle mal conçue et sans concurrence pourrait, sous couvert de la protection du consommateur ou de la lutte contre le terrorisme, devenir le plus horrible des outils de contrôle d’un gouvernement autoritaire. Il ne faut pas laisser cette option planer au-dessus de nos têtes, ne jamais tenter nos politiques d’entrer dans la surenchère sécuritaire.
Et donc, même si la crypto ne vous intéresse pas, vous devez vous intéresser au futur de l'argent en France. En tant que citoyen, vous devez vous étudier les stablecoins, et souhaiter leur développement rapide. Avant qu’il ne soit trop tard, pour avoir au moins une contre-proposition à faire le temps venu. Et nous pouvons même aller plus loin, vous ne voulez pas qu’un seul stablecoin, vous en voulez plein. Du stablecoin émis par des banques, des start-ups, des grands groupes ou même par des états. Vous voulez avoir le choix, vous voulez pouvoir passer de l’un à l’autre, vous en voulez des très à cheval sur la régulation, et d’autres peut-être un peu plus dans la zone grise, vous en voulez des 100% européens, et d’autres étrangers. Vous en voulez en dollar, en euro, en yuan. Vous voulez pouvoir passer de l’un à l’autre, une fois les contrôles d’accès réalisés.
Vous voulez de la concurrence, juste assez pour avoir le droit d’acheter votre croissant en espérant qu’aucune base de données n’ait réussi à vous tracker et savoir que vous les préférez au beurre quand votre docteur vous impose pourtant un régime.
Nous avons besoin d'un peu de chaos dans l’ordre d’état pour nous sentir libre
Visons une interopérabilité entre plusieurs moyens de paiement portés par des acteurs différents, dont la monnaie numérique d'état n'en serait qu'un parmi d'autres (même si le plus gros). Plutôt qu'un système unique et centralisé source potentiel d'abus futur.
Donnons aujourd'hui une chance au secteur privé de proposer des alternatives, et remercions au passage les sociétés et personnes qui s'y lancent déjà. Espérons que si demain une institution d’état veut vous prendre votre argent, tant bien même la raison est légitime, elle devra faire plus qu'un simple clic sur un bouton, et tout comme c’est encore globalement le cas aujourd’hui, passer par des étapes de vérification devant des tiers, y compris devant des autorités étrangères ou des sociétés de droit multiple, afin de prouver qu’elle est dans le bon droit et réussir son opération.
Que vous soyez pour ou contre, il est donc de votre devoir citoyen de vous intéresser au futur de la monnaie, et donc aux stablecoins. Votre devoir de faire connaitre votre intérêt pour le sujet dans l’espace publique, votre devoir de prendre les positions en la matière de vos députés ou présidentiables en considération lors des prochaines élections.
Et vous avez bien entendu le droit ne de pas être d'accord avec moi. Ce qui est important c'est que votre position soit forgée sur la base d'une argumentation réfléchie, d'une connaissance du sujet, et non pas d'aprioris rapides issu de poncifs anti-crypto vieux d'il y a dix ans mais encore trop souvent entendus dans la bouche de certains politiques. A très bientôt pour avoir le plaisir d'en débattre avec vous,
(2) https://edition.cnn.com/2023/04/24/economy/china-digital-yuan-government-salary-intl-hnk/index.html
(4) https://www.ecb.europa.eu/paym/digital_euro/html/index.fr.html
(5) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0117_EN.pdf
Alain Broustail, citoyen français