François Deltour (CPA) "La disparition des cookies tiers va inciter les gros annonceurs à internaliser leur programme d'affiliation"

Le président du Collectif pour les acteurs du marketing digital revient sur l'annonce de Google. Et s'inquiète d'une privatisation par les walled gardens de la mesure de la performance sur le Web.

JDN. Google a annoncé la disparition des cookies tiers dans Chrome d'ici deux ans. Quelle sera la conséquence pour le marché de l'affiliation, pour qui ces cookies sont si importants ?

François Deltour est président du CPA. © CPA

François Deltour. C'est évidemment un game changer. Le genre d'annonce qui va obliger le marché à se retrousser les manches pour trouver des alternatives. La bonne nouvelle, c'est qu'on a un peu de temps devant nous. Deux ans en l'occurrence. Rappelons aussi que Chrome ne condamne pas le cookie dans son ensemble. Son annonce concerne uniquement les cookies tiers. Les cookies 1st party continueront à fonctionner et on va finalement se retrouver dans la même situation que pour Safari, un environnement où seuls les cookies 1st party sont autorisés depuis près de deux ans. On y voit que dès lors que les annonceurs mettent les infrastructures nécessaires en place pour nous permettre de déposer et lire des cookies 1st party en marque blanche pour leur compte, on continue à travailler sereinement.

Ces cookies 1st party ont désormais une durée de vie de 24 heures sur Safari. Si un internaute achète un produit plus de 24 heures après avoir cliqué sur la publicité, la contribution de l'éditeur à l'origine de cette dernière ne pourra plus être reconnue. N'est-ce pas problématique ?

Pas forcément. Déjà parce que les internautes qui effectuent un achat plus de 24 heures après avoir cliqué sur une publicité sont plutôt rares. Et puis, quand ils le font, c'est le plus souvent sur un autre device, ce qui ne nous permet pas, de toute façon, d'attribuer correctement la vente. Dans les faits, cela ne change donc pas grand-chose.

Le marché de l'affiliation est donc plutôt préservé ?

"Quand Google a décidé de mettre un terme à son Google Affiliate Network, les annonceurs ont repris la main, investi mieux et plus dans le secteur"

Il l'est en tout cas plus que le marché de l'achat display classique qui a lui besoin du tracking cross-site, de la mesure post-view et donc des cookies tiers pour fonctionner correctement. En affiliation, on a seulement besoin de suivre l'internaute sur le site de l'annonceur une fois qu'il a cliqué sur la publicité. Tout cela sera encore possible via le dépôt de cookies 1st party ou des délégations Cname. Mais pour cela, une grande partie des annonceurs vont devoir internaliser la gestion de leurs programme d'affiliation. C'est sans doute une bonne nouvelle pour le dynamisme de notre marché. On l'a vu aux Etats-Unis quand Google a décidé de mettre un terme à son Google Affiliate Network. Les annonceurs ont repris la main, investi mieux et plus dans le secteur. La disparition des cookies tiers pourra être compensée par une plus grande implication des gros annonceurs.

Et les autres ?

Ça va être une autre histoire pour les petits et moyens sites dont on voit qu'ils n'ont pas toujours les compétences ou les ressources pour nous permettre de déposer des tags chez eux. Le risque c'est que, faute de pouvoir mettre en place des stratégies d'acquisition de trafic pérenne, certains décident d'aller voir Amazon. Mais ça reste finalement une petite part du gâteau. On compte environ 200 000 e-commerçants en France pour environ 7 000 programmes d'affiliation. L'affiliation reste avant tout un domaine réservé aux e-commerçants qui ont une taille critique.

Outre la disparition des cookies tiers, Google a également annoncé qu'il limiterait les informations disponibles dans le user-agent, cet ID présent en en-tête d'URL et qui permet de savoir, entre autres, par quel device et quelle version de navigateur l'internaute passe…

"Google a toujours été juge et partie mais sans cookies tiers, la plupart des acteurs n'auront même plus accès aux données qui leur permettaient jusque-là de challenger les résultats qu'il communique"

C'est peut-être ça le plus inquiétant. Ça va nuire à tous ceux qui font du ciblage ou de la réconciliation via fingerprinting et c'est une remise en question totale des standards du W3C qui font que le Web est ouvert à tous. Google fait clairement tout pour que l'on passe par son propre écosystème. Regardez Privacy Sandbox, que Google nous présente comme un moyen de faire de l'optimisation publicitaire tout en préservant la vie privée des internautes. Les annonceurs et éditeurs vont devoir passer par l'API de Chromium pour récupérer des données de ciblage. Quelles données seront partagées ? Et quels partenaires y auront accès ? Selon quels critères d'éligibilité ? On n'en sait encore rien. Google a toujours été juge et partie mais c'est encore plus préoccupant car sans cookies tiers, la plupart des acteurs n'auront plus accès aux données qui leur permettaient de challenger jusque-là les résultats communiqués par Google. Google est parti pour privatiser la mesure de la performance. Avec ce système, c'est le navigateur qui aura toute la maîtrise sur la collecte des données !

C'est aussi une des pistes explorées par la Cnil dans sa recommandation soumise à consultation publique : recueillir le consentement de l'internaute via le navigateur…

C'est une perspective très inquiétante car elle établirait une situation de quasi-monopole en faveur de deux acteurs, Google et Apple, qui sont déjà ultra-dominants sur le Web. La position de la Cnil est difficilement compréhensible à plusieurs titres. Notamment parce qu'elle constitue une sérieuse entrave à la liberté d'entreprendre en demandant, via l'article 3 sur la liberté de consentement, que l'utilisateur qui refuse la dépose de cookie ne subisse pas de préjudice. En faisant cela, on enlève au média toute capacité de monétisation via la publicité ciblée. En clair, on tue la publicité classique chez les éditeurs et on favorise les environnements logués sous couvert de protection des libertés…