En bourse, l'adtech a de nouveau la côte

En bourse, l'adtech a de nouveau la côte Les valorisations des adtech cotées en bourse explosent et les projets d'IPO se multiplient, après quelques années de vaches maigres. Jusqu'à quand ?

Ça aura pris un peu de temps mais la bourse s'est finalement réconciliée avec les valeurs de l'adtech. Il suffit de regarder les performances de The Trade Desk, Magnite, Pubmatic et même Criteo, pourtant pas épargné par les marchés ces trois dernières années, pour s'en convaincre. Le cours de ces quatre sociétés est en hausse de 57% sur l'année 2020, selon des données remontées par la banque d'investissement Luma Partner. Rapportée à leur valeur du 24 mars, alors que la crise du coronavirus battait son plein, cette hausse était même de 165%. Surfant sur ce regain de popularité, de nombreux acteurs du secteur ont annoncé leur intention de s'introduire en bourse d'ici la fin de l'année. Le géant de la recommandation de contenus, Taboola, a initié le mouvement, via un Spac. Son principal concurrent, Outbrain, garde la porte ouverte alors qu'une dizaine d'autres adtech - Applovin, Doubleverify, Integral Ads Science, IponWeb, IronSource, LiftOff, Mediamath, MediaOcean ou encore WhiteOps – ont annoncé vouloir faire de même, ou sont pressenties pour.

Ça se bouscule donc aux portillons du Nasdaq et c'est d'autant plus surprenant quand on connait la défiance historique de ce dernier envers un secteur qu'il a longtemps jugé trop complexe et opaque. L'américain Appnexus (désormais baptisé Xandr), en sait quelque chose, lui qui avait dû se résoudre à se vendre au géant des télécoms AT&T en 2018, après avoir visé, durant plusieurs années et vain, une introduction en bourse. La société avait même été jusqu'à remplir son document d'introduction préalable à une IPO, le fameux S1, courant 2016, avant de faire marche arrière, effrayée par des conditions de marché tumultueuses. Le désamour était tel à l'époque que le Nasdaq était devenu un gigantesque cimetière pour adtech, et des actions comme celles de Tremor Video, Sizmek, Yume ou encore Rocket Fuel se vendaient au plus bas. Une action comme celle de Rubicon Project (désormais baptisée Magnite) s'échangeait autour des 16 dollars, contre près de 60 aujourd'hui.

 

Comment expliquer ce retournement de situation ? La crise du coronavirus, qui a digitalisé les usages, et avec eux, une bonne partie des investissements publicitaires, n'y est évidemment pas pour rien. "TV connectée, audio, le retail media… La croissance du secteur est portée par l'émergence de nouveaux canaux de monétisation", confirme Arnaud Créput, le PDG de l'adtech Smart. Quand The Trade Desk signe un gros annonceur, plusieurs centaines de millions de dollars d'investissements basculent chez lui, et pour plusieurs années…

L'autre changement tient au profil des adtech qui envisagent ou tentent l'aventure boursière. "On voit une deuxième vague succéder à celle constituée des Rocket Fuel et cie", analyse Gil Doukhan, associé chez le fonds d'investissement Iris Capital. Une nouvelle génération portée par la success story The Trade Desk ( valorisé 41 fois son Ebitda quatre ans après son IPO) et qui serait bien plus vertueuse que les pionniers du secteur. Des pionniers qui ont parfois profité de la méconnaissance des investisseurs pour réussir de véritables hold-up, en s'introduisant en bourse alors qu'ils n'étaient même pas rentables et que leur croissance était gonflée artificiellement. "C'était un peu le Far West aux débuts du programmatique, avec des sociétés à la valorisation astronomique sur des business models limités", reconnait Arnaud Créput.

"Beaucoup d'investisseurs se sont fait avoir par des profils de sociétés qui semblaient bien fonctionner, parce que c'est facile de générer plusieurs millions de dollars de chiffre d'affaires dans l'adtech rapidement"

"Beaucoup d'investisseurs se sont fait avoir par des profils de sociétés qui semblaient bien fonctionner, parce que c'est facile de générer plusieurs millions de dollars de chiffre d'affaires dans l'adtech rapidement, avec les conséquences que l'on connait", ajoute Gil Doukhan. Le plus emblématique exemple s'appelle Rocket Fuel. Un temps valorisé 2 milliards de dollars, la société, empêtrée dans des scandales de fraude et de marges opaques, a été contrainte de sortir de bourse en juillet 2017. La société a été acquise pour près de 125 millions de dollars par Sizmek, une autre adtech sortie de la cotation, un an plus tôt, elle aussi au rabais. Sizmek s'est depuis déclaré en faillite et ses actifs ont été cédés à certains de ses concurrents, dont Amazon, courant 2019. "Cet épisode a fait beaucoup de mal à l'écosystème", estime Gil Doukhan.

Il a fallu du temps au secteur pour montrer patte blanche mais c'est désormais chose faite. "Il y a eu un gros écrémage entre 2017 et 2018, avec des disparitions et une consolidation du secteur qui a permis aux plus vertueux de survivre", analyse Arnaud Créput. La plupart des candidats à une IPO réalisent aujourd'hui plus de 100 millions de dollars de chiffre d'affaires dans le monde, sont rentables ou proches de l'être, et continuent de croître fortement. "La nouvelle génération est beaucoup plus saine, les financements sont venus moins facilement, ce qui l'a contrainte à rester sérieuse", constate de son côté Gil Doukhan. Et de donner en exemple Applovin, une plateforme mobile qui a réalisé 1,5 milliard de dollars de revenus en 2020 et a sollicité la banque Morgan Stanley pour chapeauter son introduction en bourse. "Applovin est en passe de devenir le Trade Desk du mobile, à la faveur d'une technologie pointue et de dirigeants hyper compétents."

L'adtech est donc redevenue hype et ce n'est pas forcément une surprise. "Quand on a deux ou trois IPO qui marchent bien, comme ça a été le cas pour The Trade Desk ou Pubmatic, ça donne des idées aux concurrents et aux investisseurs", rappelle Gil Doukhan. Cet enthousiasme irradie à tous les niveaux, même du côté des fonds d'investissements. Alors qu'il a pu être difficile pour certaines adtech de boucler des séries A, B ou C ces dernières années, l'argent frais est de retour. "On observe un regain d'intérêt des fonds pour des adtech qui ont déjà quelques années d'existence et cherchent à lever plusieurs millions d'euros", observe Marc Oiknine, associé chez Alpha Capital Partners UK. "Il y a un petit côté mouton de Panurge, confirme un investisseur. Avec des fonds qui se disent que c'est intéressant d'aller chercher des actifs sous-exploités pour faire la culbute." Le fonds Capital Croissance, qui vient de remplacer Cathay Capital comme actionnaire majoritaire de Smart, est sans doute de ceux-là. L'argent nouvellement investi doit permettre à l'adtech française de poursuivre son développement à l'international et, peut-être, un jour de s'introduire en bourse. 

"Le secteur va se calmer à la première IPO ratée"

"Etre côté, ce n'est intéressant que si le marché comprend ce que l'on raconte et que l'on se sert des fonds levés pour accélérer", prévient Arnaud Créput. Smart, qui a appartenu à Auféminin, un groupe côté par le passé, en sait quelque chose. L'adtech n'a pas pu investir autant qu'elle le souhaitait en R&D à l'époque pour satisfaire aux exigences de rentabilité des actionnaires. "C'est surtout dû au fait qu'on appartenait à un groupe média et des actionnaires qui raisonnaient en multiple d'Ebitda et non pas de chiffre d'affaires comme aujourd'hui", nuance Arnaud Créput. S'introduire en bourse, c'est devoir composer avec un environnement juridique et financier qui coûte, de facto, 2 à 3% de chiffre d'affaires. "Mais c'est aussi s'appuyer sur la confiance des marchés pour faire du business et sur des possibles échanges de titres pour faciliter les opérations de M&A", précise Arnaud Créput. Smart n'envisagera donc cette option que quand il sera suffisamment gros pour digérer tout ça. "Il faut que l'on atteigne les 100 millions de dollars de revenu net avec 40% de revenus aux US et 50% sur la vidéo", estime Arnaud Créput. La société en a réalisé 44 millions en 2020, dont 20% aux Etats-Unis. "On devrait être IPO ready en 2023", espère son dirigeant.

Reste à voir si les conditions de marché seront, à cette échéance, toujours favorables. Et si la fenêtre ouverte par l'IPO de The Trade Desk le sera encore. "Ce sont des cycles qui s'auto-nourrissent. Le secteur va se calmer au premier échec", prédit Gil Doukhan. D'autant qu'il y a des choses qui n'ont pas changé. Google et Facebook accaparent l'essentiel des revenus et de la croissance d'un marché qui a vu quelques-uns de ses outils stratégiques, comme l'adserving, devenir des commodités. Et l'avenir n'a jamais semblé aussi flou, au regard des contraintes règlementaires que la Cnil va faire peser sur le secteur dès le 1er avril et de l'annonce par Google de la disparition des cookies tiers début 2022. Cela sans que le marché ne trouve d'alternative viable. "La fin des cookies tiers nous montrera si le secteur est résilient ou non", conclut Arnaud Créput. Rendez-vous est donné.