L’iPhone ne va pas tout de suite bouleverser le marché européen

Alors que l’iPhone n’est pas encore disponible en Europe, une partie de l’industrie s’attend à une révolution. Il n’est toutefois pas si évident que la capacité de différentiation qu’offre la marque Apple compense le manque à gagner potentiellement imposé par le nouvel écosystème Apple.

Voila bientôt trois ans que le buzz autour du premier téléphone Apple est né. Un an après une première rumeur en septembre 2004, le Motorola ROKR avec un logiciel iTunes embarqué était né. Depuis la rumeur n'a cessé d'annoncer que Apple lancerait son propre téléphone sous sa marque et un emballement médiatique sans précédent a vu le jour depuis l'annonce officielle de Steve Jobs en janvier dernier.

Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi, alors que le téléphone n'est toujours pas disponible en Europe, une partie de l'industrie s'attend à une révolution :


1) Apple a su créer un nouveau segment de marche avec l'iPod en vendant plus de 100 millions de son lecteur multimédia depuis son lancement il y a quelques années. Même si certains appareils sont désormais vendus moins de 150 dollars et qu'il ne s'agit pas d'un produit de remplacement (contrairement aux téléphones), il n'y a aucun doute qu'Apple est capable de s'imposer comme un acteur clef d'un marché en tant que nouvel entrant.

2) La force d'Apple est double : la puissance de sa marque et de son marketing qui pousse ses aficionados a payer une prime (entre 500 et 600 dollars) pour acquérir n'importe quel produit Apple (et a faire des heures de queue pour être parmi les premiers a acquérir un iPhone) et sa capacité d'innovation en créant des produits simples et faciles a utiliser grâce à une bonne intégration entre le hardware (iPod) et le software (iTunes). Mes collègues de New York et San Francisco qui ont eu l'occasion de tester l'iPhone depuis quelques temps reconnaissent que l'expérience utilisateur et le fameux écran multi-touch sont des éléments de différentiation très forts.


3) La révolution qu'attendent certains tient essentiellement à l'écosystème Apple. A la surprise de tous, Apple a réussi à imposer a AT&T (l'opérateur américain qui distribue exclusivement l'iPhone aux US) de ne pas subventionner le téléphone, de ne pas associer sa marque au produit, de laisser à Apple le soin de prendre en charge le processus d'activation via iTunes, de faire des modifications dans son réseau pour permettre un usage fluide de tous les services bases sur un nouvel OS mobile (Mac OS).

Cependant, il faut relativiser ses attentes car un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte :


1) Apple est un nouvel entrant qui ne propose qu'un seul téléphone dont l'objectif de vente représenterait 10 millions d'exemplaires d'ici a fin 2008. L'industrie du téléphone portable est une industrie de volume ou près de un milliard de téléphones seront vendus dans le monde en 2007 par quelques acteurs majeurs (Nokia et Motorola à eux seuls représentant plus de 50 % du marché) qui disposent d'une gamme très large de produits. Il est donc évident qu'Apple, même avec moins de 1 % du marché dans 18 mois ne va pas tout de suite bouleverser le marché.

2) En revanche, sur le segment des Smartphones haut de gamme, 10 millions de téléphones représentent un volume significatif. Il a fallu 18 mois à Nokia pour atteindre ce seuil avec sa gamme de terminaux Nseries. Nul doute que Nokia, Samsung et Sony Ericsson dont la part de marché sur le segment haut de gamme est beaucoup plus importante en Europe qu'aux Etats-Unis, vont insister pour mettre en avant les fonctionnalités inexistantes à ce jour sur l'iPhone. Cela dit, il est tout a fait envisageable qu'Apple lance un téléphone spécifique pour le marche européen dont on ne connaît pas encore les caractéristiques et toute spéculation dans ce domaine est vaine tant que le produit ne sera pas effectivement commercialise.

 

3) Ce qui est sûr en revanche, c'est que le marché européen est plus fragmenté et plus mature que le marche américain. Il est donc peu probable qu'Apple cherche une exclusivité avec un seul opérateur pan-européen, mais il est plus probable que plusieurs accords différents aient lieu avec différents opérateurs sur les principaux marchés. Le poids de la distribution indépendante (The Phone House, Phones 4U) varie aussi considérablement d'un pays a l'autre et il n'est pas certain qu'Apple dispose de la même force de frappe qu'aux Etats-Unis (les Apple shops au sein de la FNAC sont seulement en train de se déployer, les Apple Stores ne sont pas présentes dans tous les pays européens). Les usages Internet, SMS et 3G sont beaucoup plus matures en Europe qu'aux Etats-Unis et il n'est pas si évident que la capacité de différentiation qu'offre la marque Apple compense le manque à gagner potentiellement imposé par le nouvel écosystème Apple.

Certaines questions restent en suspens tant que l'on ne connaîtra pas les conditions de lancement de l'iPhone en Europe : quel usage SMS sur un écran tactile ? Quelles réactions de la part des opérateurs poussant leurs services de musique over the air (3UK, SFR) ? Au-delà des early adopters et sans subvention, l'iPhone peut-il vraiment devenir un produit de masse ? Quelles sont les opportunités de revenus pour les fournisseurs de contenus et d'applications qui vont devoir développer des versions spécifique pour un iPhone OS ?



Il est encore trop tôt pour se forger une opinion définitive sur le marché européen, tout simplement car Apple pourra réserver une surprise avec une version dédiée à l'Europe et en développement depuis longtemps à Cupertino. En revanche, l'arrivée d'un nouvel entrant ne peut que stimuler le marché et initier la révolution des services mobiles, en étant profitable à l'ensemble du marché du multimédia mobile.



thusson at jupiterresearch.com