Avec la 5G, cap sur le streaming interactif et l'usine 4.0

Avec la 5G, cap sur le streaming interactif et l'usine 4.0 Programmé pour décembre, la téléphonie mobile de cinquième génération risque de faire des déçus. Loin des performances annoncées, le nouveau standard ouvre néanmoins des perspectives.

Alors que le lancement commercial de la 5G est annoncé pour ce mois de décembre, les premiers utilisateurs risquent d'être déçus par les performances du réseau de cinquième génération. Loin des promesses d'une augmentation du débit par dix, la hausse devrait être plutôt d'un facteur de deux ou trois. Il en va de même du délai de latence qui ne sera pas immédiatement réduit à la milliseconde. Toutefois, la 5G ouvrira néanmoins la voie à de nouveaux cas d'usage en mobilité, parmi lesquels le streaming interractif pour la collaboration, ou encore le vision computing à distance pour piloter l'usine 4.0.

Le déploiement de la 5G sera très progressif. Le réseau atteindra sa pleine puissance d'ici dix ans comme ce fut le cas pour la 4G qui n'a plus grand-chose à voir avec ses débuts. Dans la phase dite "non standalone", entre 2021 et 2023, la nouvelle norme cohabitera avec un cœur de réseau 4G. Cette "5G-" ou "4G++" apportera avant tout de la capacité supplémentaire aux opérateurs. Le cumul des bandes passantes 4G et 5G donnera de l'oxygène à des réseaux arrivés à saturation dans certaines zones à forte densité.

Les opérateurs font, de fait, face à une hausse continue du trafic. Au premier trimestre 2020, la consommation de données sur les réseaux mobiles en France a cru de 40 à 50% selon les chiffres de l'Arcep. "Dans un premier temps, le principal atout de la 5G sera de soulager la 4G", résume Stéphane Allaire, directeur du programme 5G chez Bouygues Telecom. "L'augmentation du débit et la réduction de la latence permettront néanmoins de naviguer de manière plus fluide sur Internet et de regarder des vidéos de meilleure définition."

Pas d'usages disruptifs avant 2023

"Si la seule promesse de la 5G pour le grand public est celle d'un débit amélioré, cela convaincra les early adopters mais pas les millions d'abonnés qui rechigneront à payer plus cher", estime pour sa part Guillaume Vaquero, senior manager et expert en digital et technologies émergentes au sein du cabinet de conseil français Wavestone. Pour faire passer la pilule, les opérateurs devraient, selon lui, inclure de nouveaux services de type jeu vidéo en ligne. Premier opérateur français à avoir annoncé ses forfaits 5G, Orange en propose un avec un transit de données illimité.

"Tant que le spectre est aux mains des opérateurs télécoms, le marché cellulaire privé aura du mal à décoller"

A l'instar des box 4G, les opérateurs devraient également commercialiser des box 5G. Cet Internet domestique sans fil (ou fixed wireless access) se présenterait alors comme une nouvelle alternative à l'ADSL et permettrait de pallier l'absence de fibre dans les zones grises ou blanches.

Mais pour voir des cas d'usage disruptifs émerger dans le sillage de la 5G sur le front de la réalité mixte ou encore du véhicule autonome par exemple, il faudra attendre 2023 et l'arrivée de la 5G "standalone". Cette fois, le cœur du réseau reposera à 100% sur le nouveau standard au-delà du déploiement de nouvelles antennes.

Exit les infrastructures réseau matérielles des équipementiers, le nouveau cœur de réseau sera virtualisé. Cette virtualisation apportera de nouvelles fonctionnalités comme le network slicing. Un découpage virtuel du réseau mobile en tranches qui permettra de garantir une qualité de service de bout en bout en vue de couvrir, par exemple, une usine ou un port.

Le compromis de la bande passante

Les débuts de la 5G en France seront aussi limités par les choix du régulateur. L'Arcep n'a pas retenu les fréquences basses autour de 1 Ghz qui portent le signal très loin ni, à l'inverse, les ondes millimétriques (24,25 - 27,5 GHz) qui présentent des performances très élevées sur une portée de quelques centaines de mètres.

C'est au sein de ces fréquences hautes que les expérimentations en cours présentent les applications les plus avancées. Par exemple, dans la nouvelle gare de Rennes, la SNCF teste en lien avec Orange plusieurs cas d'usage de la 5G : la possibilité de télécharger quasi-instantanément un film depuis les quais, mais aussi des scénarios de télémaintenance ou encore de formation en réalité augmentée à destination des agents de terrain. Quant au Grand Port Maritime du Havre, il expérimente la 5G pour piloter des smart grids, ou pour gérer la traçabilité des containers en vue d'optimiser les temps de chargement et de déchargement des bâteaux.

La bande de fréquence attribuée début octobre par l'Arcep se situe dans la moyenne du spectre (3,4-3,8 GHz). Soit un compromis entre portée et force du signal. Dans ses recommandations aux opérateurs, l'autorité française des télécoms les enjoint d'informer les consommateurs sur le niveau de qualité de service accessible en fonction des bandes de fréquence utilisées. Leur carte de couverture en 5G devra refléter cette réalité.

Dernier handicap, l'Etat français a vendu tous les blocs de fréquences aux quatre opérateurs mobiles (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile) alors que l'Allemagne a, elle, réservé une tranche de 100 mégahertz à ses industriels, en l'occurrence Siemens et les constructeurs automobiles nationaux. "Tant que le spectre est aux mains des opérateurs télécoms, le marché cellulaire privé aura du mal à décoller", déplore Mathieu Lagrange, directeur réseaux & sécurité de l'Institut de recherche technologique b<>com.

Traduction simultanée automatique

Même limitée, la bande moyenne facilitera néanmoins certains usages. "La 3G a donné accès aux informations textuelles et permis le surf sur mobile. La 4G a étendu les usages au streaming audio et vidéo", rappelle Stéphane Allaire. "La 5G ouvre, elle, la voie à l'interactive streaming. Soit la possibilité d'interagir avec le flux de données en temps réel." Le streaming interactif donne, par exemple, la possibilité de s'entretenir avec un interlocuteur étranger avec une traduction automatique quasi simultanée des échanges. La 5G devrait aussi accélérer l'adoption du cloud gaming mobile en réduisant les temps de latence.

C'est toutefois l'industrie qui tirera profit en premier des apports de la 5G avant sa diffusion auprès du grand public. Au sein des usines et infrastructures industrielles, la 5G permettra en effet la généralisation de la réalité virtuelle et augmentée en réduisant le décalage entre les mouvements de tête et l'affichage et donc l'effet mal de mer. "Chaussé d'un casque 5G, les techniciens interagiront avec l'équipement à maintenir", illustre Mathieu Lagrange. "Des informations contextuelles comme le niveau d'usure des pièces détachées se superposeront à son champ de vision."

"Dans une usine, la 5G en lien avec le computer vision permettra de détecter des incidents à distance"

Pour Guillaume Vaquero, les cas d'usage les plus prometteurs portent sur le traitement de la vidéo en haute résolution. Dans le domaine de la vidéosurveillance, les algorithmes d'intelligence artificielle sont déjà capables d'analyser des flux vidéo de caméras 4K. "Dans une usine, ces systèmes de computer vision alliés à la 5G permettront de détecter à distance des incidents ou des défauts de qualité sur une chaîne de production."

Toujours dans l'usine du futur, la densification du réseau permise par la 5G permettra de connecter des milliers de capteurs mais aussi des robots industriels autonomes. Libérés de leurs câbles, ces derniers pourront collaborer avec le personnel dans le même espace (ou cobotique) comme le font les AGV (pour automated guided vehicles), les véhicules autonomes dédiés au transport de marchandises.

Enfin, la 5G devrait concrétiser les espoirs placés dans la smart city en collectant les données des infrastructures urbaines connectées (mobilier urbain, éclairage public, bâtiments...), des régies de transports ou des distributeurs d'énergie (eau, électricité, gaz). Une fois agrégées, leur analyse permettra aux villes intelligentes de gérer de façon plus efficiente leurs ressources. Le numérique rimera alors avec transition écologique.