Et si la e-santé devenait un service comme les autres ? 

La e-santé a le vent en poupe et en la matière, la France ne manque pas de savoir-faire. Ce secteur va devenir une branche à part entière du monde des services. Comment opérer cette mutation ? Voici quelques pistes à envisager.

La e-santé est en vogue. Alors que le monde de la santé vit une profonde mutation avec l’irruption de nombreuses innovations, la France, qui fait partie des principaux acteurs mondiaux des services et du digital, entend jouer un rôle majeur dans cette transformation. En témoigne l’émergence et le succès de nombreuses start-up. Citons l’exemple de  H4D qui vient juste de lever 6,7 millions d’euros. Cette entreprise qui en est à son second tour de table compte installer des cabines de télémédecine dans tout l’Hexagone. Ainsi, à l’heure où les déserts médicaux ne cessent de croître, cette nouvelle solution permettra aux patients de consulter à distance, grâce à un équipement ultra-performant ; les professionnels de santé pourront "dépister, diagnostiquer et suivre des pathologies aiguës et chroniques", comme l’annonce l’entreprise. Cette innovation vient répondre à une véritable demande. En effet, d’après une étude du Conseil National de l’Ordre des Médecins, le nombre de généralistes a baissé de 8,4% entre 2007 et 2016. Les zones rurales ainsi que les petites villes sont fortement touchées par ce phénomène qui devrait s’accroître encore davantage d’ici 2025. Alors que la cour des comptes rappelle qu’il est nécessaire de maintenir les efforts et, qu’à la suite de l’ANI, la concurrence entre les acteurs de l’assurance s’est accrue, la transformation de la santé par le digital représente une priorité pour notre pays. 
Une branche du monde des services 
Outre le fait que la e-santé représente une filière d’avenir, il apparaît de plus en plus qu’elle va être une branche à part entière du monde des services. Cela signifie que l’innovation du secteur doit concerner non seulement les nouvelles technologies, mais aussi et surtout les usages. Or, de ce point de vue, beaucoup reste encore à faire. Certes, l’étude de la DGE, intitulée "E-santé : faire émerger l’offre française en répondant aux besoins présents et futurs des acteurs de santé",  présente un tableau très encourageant. Les auteurs estiment le potentiel du marché de la e-santé entre 2,2 et 3 milliards d’euros par an ; le marché de la télé-santé (l'une des branches de la e-santé) est évalué quant à lui à 340 millions d'euros en France en 2014. Un marché très ouvert à la créativité, puisque 30% de ses acteurs sont des start-up.   
Pas qu'une question de technologies 
Mais derrière ce tableau très optimiste qui dessine les contours d’un secteur en pleine expansion et où règne en maître l’innovation, de nombreuses questions se posent en matière d’expérience utilisateurs. Comment les Françaises et les Français envisagent l’arrivée de ces technologies ? Sont-ils prêts à les accepter? L’étude citée montre que la e-santé n’échappera pas à la règle qui s’applique habituellement aux innovations technologiques. Pour être acceptées, elles doivent être accompagnées d’une prestation de service qui en facilite l’usage. Si 73% des Français sont convaincus de l’intérêt des objets connectés pour la prévention des maladies, ils ne sont que 11% à effectivement utiliser un objet connecté et 37% à envisager d’acheter un objet connecté de santé ou de bien-être dans les six mois à venir. Si les coûts liés à l’achat représentent un premier obstacle (59% des personnes interrogées), ces dernières doutent également de l’utilité de l’appareil (25% des personnes interrogées). Enfin, ces "consommateurs potentiels", placés face à un objet connecté de santé, attendent des repères leur permettant de bien choisir leur solution en fonction de leurs besoins (label, conseils de la part des professionnels de santé…). Cela nous renvoie à une autre opportunité de la e-santé révélée également par la même enquête : la possibilité de communiquer plus facilement avec son médecin, y compris en dehors des consultations (pour 63% des personnes interrogées), est l’une des plus fortes attentes en terme de santé connectée. L’accessibilité permanente aux soins apparaît donc comme une priorité. Mais, livrés à eux-mêmes, face aux objets connectés de santé, les français semblent encore perdus et ce, bien qu’ils conçoivent leur utilité en terme de prévention. Une nouvelle preuve que la e-santé ne pourra s’imposer que si les innovations technologiques s’intègrent dans des offres de service qui respectent les attentes des utilisateurs. Autrement dit, il faudra que les promoteurs de ces technologies déploient des trésors d’ingéniosité en matière de design de service pour en rendre l’usage accessible au plus grand nombre. L’enjeu est de taille, car il s’agit moins pour les consommateurs de s’approprier de nouveaux objets que d’encourager l’émergence de nouveaux comportements. Il faut passer d’un système où les consommateurs sont passifs à l’égard de leur santé à un système de médecine préventive, où ils adoptent des attitudes pro-actives. Face à cette vague de transformation, certains métiers vont devoir se ré-inventer pour faire face à la concurrence. Ainsi, dans une tribune du Monde, Xavier Pavie, professeur à l’Essec et membre du comité scientifique d’esprit de service France, s’interroge sur l’uberisation possible des pharmacies. Pour lui, "la pharmacie ne disparaîtra pas, ne sera pas ‘ubérisée’ si et seulement si elle mise sur sa valeur ajoutée. Les laboratoires pharmaceutiques, les répartiteurs, les groupements, tous lorgnent sur le pharmacien et ses clients, et cherchent tous à réinventer son métier à sa place. Or lui seul connaît son métier, lui seul est capable de fournir une valeur ajoutée ‘inubérisable’".
Esprit de service et société du "care"
Tous ces exemples illustrent une seule et même idée : pour que  fonctionne la révolution de la e-santé, il faut y ajouter les principes du modèle "esprit de service", qui permettront d’établir une relation de confiance entre le prestataire et son "client/patient". Demain, ce sont les sociétés qui auront une approche de service globale qui s’imposeront. Les grands acteurs de ce secteur stratégique de la e-santé devront être capables de privilégier un accompagnement tout au long de la vie : de la prévention, à la convalescence en passant par les soins ; mais aussi en dehors de ce même parcours de soin, par l’intégration d’une offre de services en termes de sport, de culture, d’alimentation, l’ensemble étant reliées à la santé. Bien évidemment, cette offre devra s’appuyer également sur des innovations technologiques. Enfin, ils devront privilégier la proximité et la réactivité. Cette approche est d’autant plus complexe, qu’il y a un nombre considérable d’acteurs sur le marché et pas véritablement de démarche coordonnée. D’où la nécessité pour les professionnels du monde de la santé de s’inspirer des relations de service réussies qui prennent en considération à la fois les besoins des clients et des collaborateurs. C’est à cette condition qu’ils réussiront à susciter la confiance. De ce point de vue, le modèle "esprit de service" - co-créé par les acteurs du monde du service - constitue une excellente source d’inspiration. L’hôpital Saint Joseph a rejoint cette association afin de réfléchir à la manière d’améliorer les parcours de ses patients. De la même manière, demain, nous pouvons tout à fait imaginer que les entreprises de e-santé nous proposeront un accompagnement permanent, en temps réel et ce, tout au long de la vie ; tout cela sera possible grâce à la digitalisation, la simplification et la gestion des datas : un processus dont les assureurs et les mutuelles seront des acteurs de premier plan. Ce changement de paradigme permettra le passage à une médecine avant tout préventive, ultra personnalisée et ciblée. 

La société du "care" qui évoque l’éthique de la sollicitude, et regroupe des valeurs telles que l’attention, le soin, la responsabilité, la prévenance, l’entraide et bien d’autres encore, verra alors peut-être le jour : on passera du soin apporté au patient, au soin de la relation client (personnalisation et attention). Ce modèle existe déjà, et il ne demande qu’à être transposé. En associant ainsi le savoir-faire réfléchi de l’esprit de service et les innovations technologiques de la e-santé, non seulement on évitera une robotisation qui risquerait d’être fatale aux entreprises innovantes, car rejetée par les patients, mais en plus on réussira à créer de nouveaux emplois.