L’émergence d’une nouvelle structure sociale à l’origine des gilets jaunes

Nous assistons depuis quelques semaines à l’éclatement du mouvement des "gilets jaunes ", qui est le condensé d’une contestation politico-économique et d’une défiance sociétale. Mais quelle en est la cause ?

La croissance de la deuxième moitié du XXème siècle avait accouché de la classe moyenne et divisé la France en trois classes :

  • Une classe populaire, environ 15% de la population, ayant moins de 50% du revenu médian
  • Une vaste classe moyenne regroupant un peu plus de 70% de la population avec un revenu proche du revenu médian
  • Une classe supérieure, ayant un revenu plus de deux fois supérieur au revenu médian. A noter que les membres de cette classe bourgeoise – qu’ils soient médecins ou chefs d’entreprise, tiraient leur richesse d’une activité essentiellement locale, ancrée dans une région ou un pays.
Le bouleversement de la structure sociale par la mondialisation

La mondialisation a ouvert le marché français aux produits étrangers, et particulièrement aux produits à bas coûts du monde émergent : en 2017, les importations représentaient 33,4% du PNB contre 14,9% en 1987 (source Insee). Cette poussée des importations a détruit des pans entiers du tissu industriel français, et pour éviter la paupérisation d’une partie de la population, l’Etat a alors déployé un vaste programme d’aides sociales. Ces revenus de subsistance ont permis de fortement réduire la pauvreté : seulement 7,5% de la population a aujourd’hui un revenu inférieur à 50% du revenu médian, alors même que celui-ci a doublé depuis 1970. En contrepartie, les taxes levées pour alimenter ces aides ont appauvri la classe moyenne et la classe supérieure.

Parallèlement, les exportations françaises se sont développées à un rythme proche de celui des importations : une partie des entreprises françaises a réussi à tirer parti de la mondialisation pour s’internationaliser et s’enrichir, ce qui profite à la population qui travaille directement ou indirectement pour elles.

Dès lors, on assiste à un déplacement progressif des classes avec trois grandes évolutions :

  • La classe populaire, pauvre, est en voie de disparition et se concentre parmi les familles monoparentales, les travailleurs indépendants et les agriculteurs.
  • La classe moyenne agrège progressivement la classe populaire et donc ne la surplombe plus, et simultanément elle pâtit d’un niveau de prélèvements obligatoires élevé.
  • La classe supérieure, appauvrie par de multiples taxes sur le patrimoine, est progressivement remplacée par une classe liée aux entreprises internationalisées.
La société française est désormais divisée en deux classes 

Tout d'abord, une vaste classe regroupant presque 80% de la population. Il ne s’agit plus d’une classe moyenne, car elle n’est plus centrale dans la distribution des revenus. La classe pauvre étant en voie de disparition, les membres de cette classe ne se considèrent plus comme privilégiés, mais au contraire comme potentiellement menacés dans leur niveau de vie par les évolutions du monde qui les entoure (délocalisations, restructurations, immigration, robotisation…). Leur activité reste enracinée dans une région ou un pays, et leur qualité de vie repose essentiellement sur celle de leur environnement. On pourrait appeler cette classe la classe économique. 

En suite, il y a une nouvelle classe que l’on peut qualifier de classe marchande. Elle regroupe les 20% les plus riches de la population, détient plus de 40% des revenus, et vit en dans un environnement d’échanges monétarisés, ouvert, fluide, mondialisé, hautement qualifié et technologique. Les marqueurs de reconnaissance y sont désormais liés au domaine de compétence, tandis que l’appartenance sociale ou nationale disparaît.

Des intérêts divergents... des conséquences politiques inévitables

La classe économique ne veut pas assumer les conséquences de la mondialisation nécessaire au déploiement de la classe marchande. Elle cherche à empêcher la concurrence agressive des pays à bas coûts sur les entreprises qui les emploient et l’immigration qui pèse sur ses salaires et menace son cadre de vie ; ce cadre de vie dans les pays développés, dont les services publics font notamment partie intégrante, est un élément essentiel de la qualité de vie de la classe économique et sans doute son principal patrimoine. Mais elle n’est pas représentée, les partis traditionnels actuels restant fondés sur la structuration de classe des années "Trente Glorieuses".

Alors, un certain nombre de ses membres revêtent un gilet jaune et se révoltent. Ce vent de contestation souffle aujourd’hui partout sous nos yeux dans le monde occidental. La classe économique étant 4 fois plus nombreuse que la classe marchande, nul doute que son combat mené pour le pouvoir aboutira, par la rue ou par les urnes.

Les règles de l’ordre politico-économique posées depuis 30 ans par la classe marchande pourraient alors céder : libre échange, rigueur monétaire, libre circulation des hommes et des capitaux, zone euro.

Dans ce contexte, le temps des frontières et des relances budgétaires est susceptible de revenir : il pourrait donc y avoir plus de croissance et plus d’inflation. Ce n’est ni un bien, ni un mal, c’est différent et il faut s’y adapter.