Aymeril Hoang (Société Générale) "Nous avons identifié 700 start-up et poussé 60 d'entre elles dans le groupe"

Plutôt que de financer un accélérateur, la Société Générale préfère miser sur l'intrapreneuriat et les partenariats opérationnels. Décryptage de la stratégie d’innovation du groupe par son responsable, Aymeril Hoang.

Aymeril Hoang, directeur de l'innovation du groupe Société Générale. © Société Générale

JDN. Contrairement à la plupart de vos homologues, vous n'avez pas créé d'accélérateur. Pourquoi ne pas suivre cette stratégie qui permet de dénicher des pépites et de nouer des liens forts avec elles ?

Aymeril Hoang. On ne s'interdit rien, mais nous voulons que tous les outils mis en place pour renforcer les liens avec l'écosystème start-up répondent à des besoins internes en termes de transformation. On ne ressent pas le besoin d'avoir un accélérateur en tant que programme normé, avec des thèmes, une sélection, des promotions successives… Ça ne correspond pas à nos besoins opérationnels.

Le problème de l'accélération, c'est que les start-up travaillent sur des projets parfois non prioritaires pour le corporate, qui ne débouchent sur rien de concret. L'enjeu principal, pour nous, est de mobiliser nos équipes internes autour de projets. Le groupe contient beaucoup de métiers et travaille sur des problématiques très différentes.

Notre stratégie est donc de multiplier les partenariats avec des espaces d'innovation et de créer divers projets. On ne s'interdit rien : hackathons, challenges, concours… Notre priorité, c'est d'être plus souple, de changer nos méthodes de travail, notre vision, de manipuler de nouvelles technologies… Nous voulons travailler avec tout l'écosystème de manière très concrète.

D'une certaine manière, même si nous n'utilisons pas un programme et une structure normée, nous accélérons des start-up via tous ces partenariats. Une accélération avec une promesse de mentoring permet d'être bien plus opérationnel et peut mener à des investissements, voire des rachats, comme celui de Fiduceo par notre filiale Boursorama.

Vous collaborez avec le Player, un lieu d'innovation collective, avec Le Tank, un espace de coworking pour les créatifs, vous organisez des hackathons… Mais outre le rachat de Fiduceo par Boursorama, quels sont les autres exemples concrets d'innovations, de produits lancés par la Société Générale qui sont issus de ces initiatives ?

Une cinquantaine d'équipes, soit 1 000 collaborateurs environ, ont déjà passé entre une journée et plusieurs semaines au Player pour y brainstormer sur un projet avec des spécialiste de divers secteurs et collaborer avec des externes. En est par exemple issue Star Drive, une application mobile d'aide à la conduite pour les jeunes, qui préfigure une future application de tarification comportementale (pay as you behave).

Il y a quelques semaines, un hackathon panafricain s'est aussi tenu à Dakar. Trois projets portant sur l'expérience utilisateur en agence ont été retenus, portés par deux start-up et une équipe d'étudiants. Ils vont désormais pouvoir développer leurs solutions en collaboration avec la Société Générale.

"Nous sommes focalisés sur la transformation de l'existant"

Au Sénégal, une start-up interne a lancé Manko, une nouvelle banque qui s'adresse aux petits commerçants ou entrepreneurs. Des agents de crédit à scooter et équipés de tablettes vont directement les voir pour monter les dossiers. Un partenariat avec la start-up française Tag Attitude, plateforme de paiement mobile, a permis d'améliorer le service.

Nous sommes très focalisés sur la transformation de notre existant. On s'équipe pour tester de nouveaux business avec des start-up, pour essayer de nouvelles choses comme avec Manko et Tag Attitude, mais aussi pour créer de nouveaux business "from scratch".

Avez-vous noué de nouveaux partenariats dans l'écosystème ?

Oui, avec PlaineCoWorking, à Aubervilliers et avec l'agence d'innovation In Process. Nous lançons beaucoup de projets internes sur l'expérience utilisateur, nous faisons donc de plus en plus appel à des méthodes de design-thinking.

Vous avez évoqué des projets portés par des collaborateurs et prototypés au Player. En interne, comment accélérez-vous la transformation numérique ? Comment facilitez-vous l'agilité, l'intrapreneuriat ?

"Des ex-collaborateurs montent un projet d'intelligence artificielle"

Nous avons des entrepreneurs dans notre groupe, qui partent pour créer leur entreprise à l'extérieur. Certains se sont lancés récemment dans des projets ambitieux dans l'intelligence artificielle, le change management dans les organisations, le paiement… On essaie de leur faciliter la vie en les hébergeant dans les lieux partenaires par exemple.

Pour ce qui est de la transformation interne, nous voulons généraliser l'intrapreneuriat, changer nos méthodes et process pour prototyper plus vite, travailler en mode start-up et promouvoir les méthodes agiles. Pour ça, on se fait par exemple aider par des entreprises comme Theodo, qui produit des applications Web et mobiles. Nous voulons fonctionner comme les jeunes entreprises de croissance.

Insuffler un esprit start-up dans un si grand groupe, n'est-ce pas illusoire ? Comment faire dépasser à ces expérimentations (intrapreneuriat, hackathons…) le stade de gadget et les déployer à grande échelle ?

Il faut distinguer les phases de prototypage et d'industrialisation et de production. L'industrialisation nécessite bien sûr d'être intransigeant sur la sécurité des opérations, sur la qualité du produit, d'être clair et sécurisé… Et c'est un lourd process. Pour passer de manière fluide à la phase de production, on essaie de tester en anticipant les contraintes réglementaires, de sécurité… Puis on béta teste énormément. Par exemple, pour les projets des banques d'investissement et de financement : l'an dernier plusieurs innovations ont été lancées pour aider les PME/ETI sur la prise de risque et elles ont été béta testées avec certaines d'entre elles.

Nous avons aussi lancé en 2015 l'Appli LAB, disponible pour quelques milliers de clients technophiles et sur laquelle on teste des changements d'ergonomie et de nouvelles fonctionnalités en permanence.

Enfin, nous renouvelons nos procédures d'achats pour signer plus facilement des contrats et partenariats avec ces start-up.

Lors de la souscription de la Société Générale au fonds 360 Capital Partners, vous avez laissé entendre que vous alliez investir dans d'autres fonds début 2016… Est-ce que ces projets se concrétisent ?

"Nous sommes en discussion pour investir dans un fonds"

On a rencontré tous les fonds de capital risque pour savoir avec quelles start-up de leur portefeuille nous pourrions travailler et on est en effet en discussion avec l'un d'entre eux en ce moment pour y investir, mais je ne peux pas en dire plus. La souscription à 360 Capital Partners nous permet en tout cas d'avoir accès à une intelligence collective très intéressante et peut générer du business avec des start-up.

Votre équipe abat par ailleurs un travail de veille sur le secteur pour identifier les tendances et jeunes pousses avec lesquelles vous pourriez travailler…

On regarde en effet beaucoup ce qui se passe sur d'autres secteurs ou marchés géographiques. Je suis allé à San Francisco, mais aussi en Chine où le contexte réglementaire est plus souple. Je vais aussi aller en Inde. C'est un boulevard pour des acteurs créatifs qui s'appuient sur le Big Data…

L'équipe a identifié entre 700 et 800 start-up en France l'an dernier, en a analysé 300 puis poussé 60 d'entre elles au sein du groupe. On a fait en sorte que tous les métiers de Société Générale aillent voir ce que les petits acteurs font dans leur créneau et qu'ils créent des relations avec eux.

 

Diplômé de l'ENS de Cachan et agrégé d'économie et de gestion, Aymeril Hoang est passé par l'Arcep avant de rejoindre la DGCCRF en 2003 pour travailler sur l'ouverture à la concurrence du secteur de télécoms. Entre 2005 et 2008, il dirige l'équipe numérique de la DG Trésor à San Francisco et y accompagne près de 80 start-up françaises. En 2009, il devient conseiller innovation et nouvelles technologies à l'Ambassade de France à Washington. En 2010, il est nommé directeur général d'une start-up Internet dans les services immobiliers. Deux ans plus tard, il devient conseiller innovation puis numérique et attractivité du Ministre délégué aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique où il pilote l'initiative French Tech. Il est directeur de l'innovation du groupe Société Générale depuis 2014. 

Aymeril Hoang sera présent lors de la conférence "Banques, digital et Fintech" organisée par CCM Benchmark le 16 mars 2016.