Georges-Henry Portefait (EY) "Les objets connectés ne sont pas assez fiables pour être utilisés par les assureurs"

Pour le senior manager chez EY, les offres mêlant IoT et assurance santé se développeront en même temps que la fiabilité des mesures s'affinera.

Georges-Henri Portefait. © EY

JDN. Quel est l'intérêt pour un assureur de mettre en place des programmes de récompenses pour les assurés utilisant des objets connectés et faisant preuve d'une bonne conduite (sport, bonne alimentation…) ?

Georges-Henry Portefait. L'assureur pousse le client à améliorer sa santé, bien sûr. Mais ce type de programme lui permet aussi d'affiner sa connaissance du client et donc d'améliorer l'expérience utilisateur. Par ailleurs, il optimise la gestion de risque et libère ainsi des mannes financières pour les investir ailleurs. Enfin, il peut mettre en place une prévention et gestion des risques plus affutés, basés sur des mesures plus que des modèles prédictifs perfectibles.

Où en est-on aujourd'hui du développement de ces offres ?

Beaucoup d'initiatives et de prototypes sont lancés dans le monde,mais on observe peu de projets vraiment concrets car l'impact de la régulation est très fort. Je pense que les assureurs vont d'abord mettre en place des programmes de "rewards" en fonction de la quantité de paramètres que vous avez accepté de partager avant d'aller plus loin et de le faire en fonction de votre activité.

En France, il est difficile de faire ce genre de choses dans la santé. Mais le frein réglementaire n'est pas le seul. Aujourd'hui, la fiabilité de la mesure des objets connectés de bien-être n'est pas encore au rendez-vous : prenez quatre bracelets connectés différents, vous avez de grandes chances de récupérer quatre données différentes sur votre activité physique. Ce n'est pas grave quand il s'agit de podométrie, mais c'est bien plus gênant si l'on prétend mesurer des données de santé. Certains objets connectés, comme les piluliers et pill-trackers qui rappellent la prise de médicaments ou même en vérifient la prise, constituent une bonne piste, mais les assureurs n'ont pas encore trouvé de modèle économique.

Diminuer les coûts de santé des assurés, ce n'est pas un modèle économique ?

"On n'a pas encore de vision claire des gains réels"

Le business model n'est pas stable. On dit que courir est bon pour le cœur mais c'est peut-être mauvais pour les articulations et cela nécessitera plus tard une opération : on échange le potentiel gain contre un coût. Tant qu'on n'a pas une bonne vision des gains réels, c'est un pari pour les assureurs. Les objets connectés en tant que coachs de vertus n'ont pas encore prouvé leur impact financier.

Il va falloir chercher le vrai intérêt dans le quantified self. Par exemple la brosse à dents connectée destinée à mesurer le temps de brossage des enfants est un gadget. Mais si à terme elle analyse la composition de la salive et détecte des caries en train de se former, alors l'impact sera positif pour l'assuré et la société. Les soins seront effectués plus tôt et les dépenses de santé réduites.

En somme, le marché décollera quand les objets connectés iront plus loin dans l'usage ?

"A terme, les objets connectés mesureront précisément le métabolisme"

Pas forcément, car d'autres freins existent aussi, comme l'intégration des objets connectés dans le parcours de santé, difficile en France vu le poids de la sécurité sociale, et celui de la sécurité des données. Mais oui, à terme, vont se développer des objets connectés très fiables qui mesureront précisément le métabolisme. Quand l'approche sera plus intégrée, qu'on mesurera précisément le métabolisme, on en verra davantage l'intérêt. L'objectif sera de maintenir l'homéostasie, c'est à dire empêcher tout dérèglement. On assistera à un changement de paradigme : on va passer du curatif et du préventif/conseil (faites plus d'exercice, mangez mieux…) à la prévention médicale.

On fait aujourd'hui du coaching santé parce qu'on bégaye encore, mais nous compterons plus de 20 milliards d'objets connectés dans le monde en 2020 selon Gartner et les progrès d'analyse croisés avec le Big Data vont en démultiplier l'utilité. Il n'y a qu'à voir Google, qui a créé des lentilles qui mesurent la glycémie et veut analyser de plus en plus de paramètres avec des petites puces de ce type.

Mais les données de santé sont extrêmement sensibles et la peur de la surveillance par l'assureur est aussi un frein…

En France on brandit beaucoup le chapeau noir de la prudence dès que l'on parle objets connectés, on a peur de la surveillance des données… peut-être pas forcément  à tort. Mais les données ne sont pas dangereuses intrinsèquement, c'est la manière dont on les partage qu'il faut surveiller. On pourrait imaginer une utilisation de la blockchain, par exemple, pour garantir l'intégrité et le cycle de vie d'une information.

Certains observateurs imaginent aller beaucoup plus loin qu'un système de récompenses, en modulant directement le prix de l'assurance en fonction de données de santé. Qu'en pensez-vous ?

C'est possible techniquement, mais est-ce souhaitable ? Autant les récompenses sont faciles à justifier et valoriser, autant tarifer selon les données de santé est très compliqué. La logique de l'assurance réside dans la mutualisation de risque. Dans ce cas, on transforme le métier, le business model, on individualise les risques et bénéfices. Et puis cela pose un problème éthique : les assureurs vont vouloir éviter d'assurer les gens malades, par exemple ceux dont les paramètres montrent qu'ils pourraient développer un cancer.

Admettons que tous les freins disparaissent, que l'on calcule de plus en plus de données jusqu'à avoir une vision telle du métabolisme qu'on saura qui va se dérégler et quand. Dans ce cas, on dépasse largement l'assurance. C'est le fondement même de la façon dont on a fait société qui est discuté.

Georges-Henry Portefait, senior manager chez EY, a 20 ans d'expérience dans l'architecture et la mise en œuvre de services et solutions dans des environnements IT complexes. Il est spécialisé dans l'utilisation des technologies digitales telles que le cloud computing et les modèles "as-a-Service" qu'il met en œuvre dans les services financiers (banques et assurance).

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