Marc Espagnon (BNP Paribas) "Notre plateforme d'instant payment sera prête en novembre 2018"

Paiement mobile, DSP2, instant payment… Le directeur des paiements et du cash management à la banque de détail en France de BNP Paribas évoque ses chantiers en cours.

Marc Espagnon, directeur des paiements et du cash management chez BNP Paribas. © BNP Paribas

JDN. La BCE lancera en novembre prochain un système de règlement des paiements instantanés sur lequel les banques pourront se brancher. Quand BNP Paribas sera-t-elle prête à s'y connecter ?

Marc Espagnon. Nous serons prêts en novembre 2018. Nous avons envie de devenir un acteur très significatif sur le paiement instantané. Nous lancerons donc une plateforme paneuropéenne qui couvrira tous les pays où BNP Paribas est présent. Etre prêt signifie être reachable. Tout le monde sera certainement reachable fin 2018 mais il faudra qu'il y ait des PSP (prestataires de services de paiement, ndlr) qui commencent à émettre des paiements pour que cela marche. Aujourd'hui, force est de constater que peu d'entreprises sont prêtes à démarrer. C'est normal car il faut être capable d'émettre des paiements, recevoir les notifications et gérer la trésorerie au fil de l'eau. Une entreprise sait gérer du temps réel sur la carte, pour le virement c'est nouveau.

Pensez-vous que toutes les banques françaises seront prêtes en novembre ?

Il me semble que toutes ont annoncé qu'elles seraient prêtes mais je ne connais pas leur planning. Le défi pour chaque communauté qui a décidé de lancer l'instant payment est d'atteindre une masse critique avec la majorité des banques capables de recevoir les instant payments. Si vous émettez votre virement instantané et qu'il y a une chance sur deux pour qu'il ne soit pas reçu, cela marchera pas.

Sur quels cas d'usage de paiement instantané travaillez-vous ?

Le premier cas d'usage consiste à faire de l'encaissement, c'est-à-dire de l'initiation de paiement. Au lieu d'encaisser par une carte bancaire, le marchand initie un ordre pour débiter directement le compte de son client. Vous pourrez le faire soit en e-commerce soit en proximité. Sur l'e-commerce, Paylib (la solution de paiement des six grandes banques françaises, ndlr) travaille sur une solution. Cependant, nous n'anticipons pas un raz-de-marée. Les e-marchands doivent encore caler leurs parcours clients, la fiabilité des systèmes… Sur la proximité, c'est encore plus compliqué car il faut que le paiement se fasse vite pour les contraintes de passage en caisse, et qu'il y ait du réseau dans le magasin (l'instant payment passerait probablement par un système de QR code sur téléphone, ndlr). Ce cas d'usage viendra dans un deuxième temps.

"L'instant payment apporte une valeur, donc il a vocation à être payant"

Ensuite, nous travaillons sur le paiement en face à face, par exemple lorsque vous devez régler un livreur de pizza ou de fioul. Est-ce vous qui initieriez le paiement depuis votre compte bancaire pour payer le livreur ou est-ce lui qui débitera votre compte avec une application ? Il y a plein de parcours différents à imaginer. Le deuxième grand usage est de remplacer le virement par l'instant payment. Pour les particuliers, Paylib devra intégrer l'instant payment pour que les consommateurs puissent faire leurs virements entre ami en temps réel.

Quel sera le business model de l'instant payment ?

L'instant payment apporte une valeur donc il a vocation à être payant. Côté entreprise, ça se fera dans tous les cas côté particuliers il y a aussi forcément des cas d'usage où l'instant payment doit être payant. La loi impose que le tarif soit le même que l'ordre soit initié par notre client ou par un initiateur de paiement, c'est-à-dire une fintech, mais elle n'impose pas la gratuité.

Crédit Mutuel rejoindra Paylib à la fin de l'année. C'était la dernière grande banque française qui manquait autour de la table. Peut-on dire que le pari est enfin réussi ?

En plus d'avoir réussi à fédérer toutes les banques, Paylib s'est structuré puisqu'un directeur général est arrivé, Vincent Duval. En termes de produit, Paylib avait démarré avec le paiement e-commerce, qui aujourd'hui se développe bien. Nous comptons plus de  2 500 marchands partenaires, ce qui est très satisfaisant . Nous avons ensuite lancé le paiement en proximité. C'est un peu plus lent parce que les Français privilégient toujours la carte et que Paylib ne couvre que le monde Android. L'application Paylib n'est pas opérationnelle dans l'environnement Apple (elle concurrence directement Apple Pay, ndlr). Force est de constater qu'à part les Chinois peu de pays on vraiment installé cet usage de manière massive. En France, on n'a pas encore ce point d'inflexion comme on l'a eu il y a deux ou trois ans sur le paiement par carte en sans contact.

Paylib a récemment lancé du paiement en peer-to-peer. Est-ce que cette fonctionnalité permettra de faire décoller le paiement mobile ?

Nous pourrons mesurer l'utilisation de ce service une fois que tout le monde sera branché et qu'on aura créé un annuaire qui permettra à partir d'un numéro de téléphone de créditer les fonds sans avoir à saisir l'IBAN. BNP Paribas a été le premier à l'ouvrir en avril dernier. Depuis d'autres banques sont arrivées et toutes devraient y être en fin d'année.

"Nous travaillons sur l'agrégation car sommes convaincus qu'elle peut apporter beaucoup en gestion de budget"

Nous fondons beaucoup d'espoir sur le peer-to-peer. C'est un domaine où d'autres communautés bancaires ont bien réussi. Les banques américaines ont pu se positionner de manière efficace (elles ont lancé l'application Zelle en 2017 qui a dépassé Venmo, l'application de peer-to-peer de PayPal, en termes de volumes transférés, ndlr). Ce n'est pas parce que ça marche dans un pays que c'est réplicable, il y a évidemment des facteurs culturels propres à chaque pays. 

Un autre gros chantier occupe les banques : la DSP2 (directive européenne sur les données de paiement, ndlr). Où en êtes-vous ?

Nous travaillons sur l'agrégation car sommes convaincus qu'elle peut apporter beaucoup en termes de gestion de budget. L'agrégation participe déjà à l'enrichissement de toutes nos offres de banque en ligne. Nous sommes aussi en train d'adapter nos systèmes pour permettre de gérer les scorings de fraude de la meilleure façon possible. Notre objectif est de ne pas avoir plus de 3DS que ce qu'on a aujourd'hui. Bien que la réglementation oblige théoriquement à déclencher de l'authentification forte, on voudrait être capable de la déclencher que dans des cas très précis, idéalement moins souvent qu'aujourd'hui et en maintenant des niveaux de fraude très bas.

Développez-vous votre propre API ?

Nous sommes sur l'API de la Stet (entité créée par les six grandes banques françaises et qui gère les demandes d'autorisation de chaque paiement par carte bancaire sur le territoire, ndlr). Nous développons toutes les fonctionnalités de cette API.

Quelques mois avant l'entrée en vigueur de la DSP2 (en janvier 2018, ndlr), les banques françaises étaient frileuses face à l'open banking. Est-ce toujours le cas ?

On a beaucoup vu la DSP2 comme une manière de désintermédier les banques. Et on a assez peu considéré l'usage que les banques pouvaient en faire. On va vers un monde plus ouvert et plus innovant mais pas vers la fin programmée des banques et l'avènement des fintech. Avec la DSP2, chacun doit se creuser les méninges pour apporter de la valeur.