Laure de La Raudière (Députée) "La blockchain pourrait permettre à l'Etat de diminuer la dépense publique et être plus efficace"

La députée "Agir-La droite constructive" d'Eure-et-Loir présente les conclusions du rapport de la mission d'information à l'Assemblée nationale sur la blockchain.

JDN. Dans ce rapport cosigné avec le député LREM Jean-Michel Mis, vous formulez 20 propositions pour développer la blockchain en France et en Europe. Quel est le message principal que vous avez souhaité faire passer ?

Laure de La Raudière, co-rapporteuse de la mission d'information sur la blockchain. © LdLR

Laure de La Raudière. Nous lançons une alerte sur l'investissement à apporter en France sur la technologie blockchain. La France doit avoir une philosophie conquérante sur le sujet et l'Etat au premier chef, à la fois en tant qu'utilisateur et fédérateur de projets. La blockchain a le potentiel de changer en profondeur les relations entre les acteurs d'une même filière économique. Aussi, nous souhaitons que l'Etat puisse devenir un animateur de projets blockchain au sein des filières, afin de les inciter à s'emparer de cette technologie. Il faut notamment mettre tous les acteurs autour de la table, même des concurrents. Prenons l'exemple de l'agro-alimentaire. Pour avoir une blockchain intéressante en matière de traçabilité et de sécurité alimentaire, il faut réunir les distributeurs, les producteurs, les logisticiens, les industriels… Et ne pas laisser seulement un acteur gérer le réseau comme peut le faire Carrefour ou Casino aujourd'hui. C'est grâce à une gouvernance décentralisée que l'on pourra assurer une plus grande traçabilité du producteur jusqu'au consommateur et ainsi gérer plus efficacement et rapidement les crises sanitaires.

Un des objectifs de la mission était d'identifier dans les textes de lois les freins au développement de la blockchain. En avez-vous trouvés ?

Oui et nous en avons même levés. Nous avons fait plusieurs recommandations sur les crypto-actifs, qui sont des sous-jacents de la blockchain. Nous avons par exemple créé dans la loi Pacte un droit d'accès au compte pour les entreprises labellisées par l'AMF (si les banques traditionnelles refusent d'en ouvrir, c'est la Caisse des Dépôts qui devra s'en charger, ndlr), qui était une demande très forte des start-up. Seulement, la Caisse des dépôts est très réticente sur ce sujet (elle a indiqué ne pas être équipée pour ouvrir ce type de compte, ndlr).

Les start-up de la blockchain ne peuvent pas se retrouver sans compte en banque. En fait, il faut une banque sans exposition aux Etats-Unis et qui ne peut donc pas subir de sanction de la part de ce pays (dans le cadre de l'extraterritorialité du droit américain et vu le parcours de certaines cryptomonnaies, ndlr). Les députés impliqués sur ces enjeux des crypto-monnaies sont très attachés à conserver le droit d'accès au compte bancaire dans la loi Pacte, mais  la Banque de France ou à la Banque Postale  pourraient aussi bien faire l'affaire que la Caisse des dépôts. L'important, c'est que nous apportions par la loi une solution, puisque le monde bancaire ne le fait pas . Sinon, dans d'autres domaines juridiques, nous n'avons pas trouvé de frein mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas.

Vous souhaitez que les services publics utilisent la blockchain. De quelle manière ?

Aujourd'hui, les entreprises qui mettent en place des projets blockchain le font pour gagner en productivité et efficacité. L'Etat pourrait donc faire de même pour diminuer la dépense publique et être plus efficace. Prenons l'exemple de la délivrance des diplômes. Aujourd'hui, pour avoir une copie conforme d'un diplôme, le citoyen doit se rendre dans sa mairie ou à un commissariat de police, faire la queue, obtenir la certification de la copie conforme de son diplôme : c'est long, pénible et cela a un coût administratif. Avec la certification de diplômes sur la blockchain, l'Etat gagnerait en efficacité et lutterait plus facilement contre la fraude. On pourrait imaginer la certification de tous les documents administratifs. En Suisse par exemple, le registre du commerce genevois est sur la blockchain.

Dans la proposition numéro 1, vous évoquez le besoin de financements publics pour la R&D. C'est-à-dire ?

Je tire le signal d'alarme : c'est le moment d'investir. Il n'y a pas encore de positions établies dans le monde. En plus, nous avons de nombreux atouts : des talents, de la formation et de nombreuses entreprises qui s'intéressent à la blockchain. Il faut donc accélérer avec de l'argent public français et européen. En France, on pourrait utiliser les mêmes mécanismes que pour l'intelligence artificielle comme le PIA (programme d'investissement d'avenir, ndlr). Et au niveau européen, il faut porter les enjeux de stratégie technologique dans le débat des élections européennes. Ce sera l'occasion d'évoquer le sujet de la blockchain.

Vous évoquez l'idée d'une monnaie numérique émise par la banque centrale européenne. Quel est l'avantage d'un tel projet ?

Je vois plusieurs avantages. Cela permettrait de rassurer les investisseurs qui souscrivent aux émissions de jetons pour financer les start-up de la blockchain. Ensuite, cela offrirait une alternative aux crypto-monnaies très volatiles comme le bitcoin. Enfin, cela apporterait des garanties d'honorabilité aux institutionnels et cela leur permettrait de monter en compétences sur les sujets blockchain et crypto.

"On pourrait imaginer la certification de tous les documents administratifs via la blockchain"

On peut imaginer que cette monnaie soit émise par une autre entité que la Banque centrale européenne. Le principal étant qu'elle soit rattachée à un groupe d'Etats et qu'elle ne soit pas émise par une chambre de compensation classique. Plusieurs pays réfléchissent d'ailleurs activement à émettre leur propre monnaie virtuelle comme la Suède et l'Estonie.

Pensez-vous que la France est bien positionnée sur les sujets blockchain et crypto ?

Le discours du gouvernement est plutôt positif et c'est une bonne chose. Cependant, je ne vois aucun projet de transformation porté par l'Etat. Je ne vois donc pas comment on pourra gagner en souveraineté technologique en France et en Europe. Il faut aller plus loin. La Suisse est en avance, pas seulement dans les ICO mais aussi dans les cas d'usage concrets. Nous avons d'ailleurs pu y aller dans le cadre de la mission pour rencontrer plusieurs acteurs, il y a un vrai dynamisme.

Avez-vous prévu de déposer de nouveaux amendements sur les crypto-actifs ?

Il faut aller plus loin que ce qui est d'ores et déjà inscrit dans la loi de finances. En particulier sur la fiscalité des échanges de crypto à  monnaies fiat (euro, dollar…, ndlr). Pour l'instant, on part sur une taxe automatique lorsqu'il y a des échanges de crypto à  monnaies fiat. Nous demandons à ce que cette taxe s'applique seulement quand il y a un virement sur le compte bancaire.