Frédéric Genta (Monaco) "Nous souhaitons attirer une dizaine d'ICO par an"

A l'approche de la Nuit du Directeur Digital, le CDO et ministre du Numérique de la Principauté de Monaco dévoile son nouveau projet dans le secteur de la blockchain.

Le JDN propose pour la cinquième année consécutive le 4 juillet prochain un événement destiné à récompenser les acteurs qui accompagnent la transformation numérique des grandes entreprises. Pour en savoir plus : La Nuit du Directeur Digital.

JDN. Le Prince Albert vient de dévoiler un programme numérique dont un volet concerne la blockchain et les crypto-monnaies. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Frédéric Genta, chief digital officer et ministre du Numérique de la Principauté de Monaco. © Principauté de Monaco

Frédéric Genta. La Principauté de Monaco se lance dans l'univers des ICO (levées de fonds en crypto-monnaies, ndlr). Nous avons mis au point un visa pour les porteurs de projets d'ICO qui ressemble à celui proposé par la France dans le cadre de la loi Pacte. La différence, et elle est fondamentale, c'est que le visa monégasque est un visa obligatoire. Pour obtenir ce visa, il faut se soumettre à une quinzaine de conditions techniques, réglementaire et commerciale. Une commission vérifie ensuite le white paper (document de présentation, ndlr), l'organisme monégasque anti-blanchiment, le SICCFIN, vérifie de son côté les sources de financement et les banques doivent appliquer des règles strictes de KYC. Nous assumons être très regardant mais au moins nous aurons la confiance des investisseurs. Une fois qu'un projet aura obtenu son visa, l'argent suivra forcément.

Autre condition pour obtenir le visa : avoir un projet en lien avec les engagements du Prince à savoir l'environnement, la cleantech et la real estate tech. Enfin, les porteurs de projets doivent impérativement s'installer à Monaco. Le visa ICO est un outil qui doit nous permettre de devenir un hub technologique. Nous sommes conscients que nous ne sommes pas une start-up nation. En permettant de faire des ICO à Monaco, nous voulons devenir une "funding nation".

Autoriserez-vous tous les types d'ICO ?

ICO est le terme chapeau. Nous allons plutôt encourager les STO, security tokens offerings, des ICO qui donnent des parts dans une entreprise. Dans un premier temps nous nous concentrerons sur des STO privées, c'est-à-dire ouvertes à quelques investisseurs. Nous pensons nous aligner sur le modèle de Singapour, qui limite à 50 investisseurs une STO privée. Nous allons cibler les milieux d'affaires, environnementaux, et les fondations. A noter que nous n'accueillerons pas d'investisseurs américains car le gendarme financier américain est stricte à plusieurs égards.

De quelles compétences avez-vous eu besoin pour vous lancer dans ce chantier ?

J'ai une équipe de 120 personnes sur les projets numériques qui m'a en partie aidée. Nous avons mélangé des compétences locales et externes. Par exemple, nous nous sommes entourés d'avocats et d'experts techniques sur le smart contract de plusieurs nationalités. Nous avons également fait appel à un cabinet d'audit parisien pour plancher sur la viabilité du business model.

Avez-vous déjà accepté un projet d'ICO ?

Nous avons validé le projet d'ICO de Luc Jacquet, le réalisateur de La Marche de l'empereur. Ce projet est important pour Monaco car Luc Jacquet est un grand défenseur de l'environnement. Notre fonds souverain va même participer à l'opération. Ce qui veut dire que l'année prochaine, il y aura des crypto-monnaies dans le bilan du fonds de réserve monégasque !

"Nous avons validé le projet d'ICO de Luc Jacquet, le réalisateur de La Marche de l'empereur"

Ce sera une STO privée mais nous n'excluons pas de faire une ICO qui émettra des utility tokens (des jetons donnant des droits d'usage, ndlr) en 2020 pour toucher la communauté de Luc Jacquet. Cette STO servira à financer ses cinq prochains films et les deux prochains festivals. Nous visons entre 20 et 30 millions d'euros avec une dizaine d'investisseurs. Les tickets seront donc élevés.

Pourquoi Luc Jacquet a-t-il besoin de réaliser une ICO ?

Il est vrai qu'il n'a pas de problème pour financer ses films. Mais quand Disney ou Century Fox financent un film, ils obtiennent les droits. Pour Luc Jacquet, ce système est un grand gâchis car il est en possession d'une banque d'images qu'il ne peut pas utiliser pour des fins pédagogiques. Avec l'ICO, Luc Jacquet pourra racheter les droits et images et produire un contenu supplémentaire. Dans ce cas précis, la Fondation de Monaco aura également des droits pour utiliser ce contenu. 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

La deuxième difficulté est contre-intuitive. Monaco est un pays qui va bien. Notre budget est excédentaire, nos systèmes de santé et d'éducation sont très bons. Il est donc difficile d'insuffler le sentiment d'urgence pour se transformer. Enfin, nous devons faire face à une carence de compétences : sur 9 000 Monégasques et 35 000 habitants, vous n'avez pas les mêmes compétences qu'un pays de 60 millions d'habitants. Il faut également faire coexister des compétences internes et externes. La greffe des deux a été un peu complexe.

Combien de projets espérez-vous labelliser ?

Nous souhaitons attirer une dizaine d'ICO par an. Je suis convaincu qu'une fois que les premiers projets auront réussi leurs financements et qu'ils seront installés dans des bureaux à Monaco, plein d'autres suivront. Nous imaginons que ces entreprises créeront en moyenne entre 20 et 30 emplois, ce qui fait environ 300 emplois supplémentaires par an et plus de 5 000, si on accélère le rythme, dans dix ans. Nous n'excluons pas non plus de prendre des participations dans d'autres ICO plus tard.

Résumé du projet :

Pourquoi le projet est innovant

"Nous sommes le premier pays à soutenir une ICO responsable, celle de Luc Jacquet. Et nous avons une force considérable : notre rapidité d'exécution permise par l'agilité que nous offre notre petite taille."

Pourquoi le projet est stratégique

"Ce projet fait partie du programme numérique lancé par le Prince Albert de Monaco et qui englobe plusieurs secteurs dont la santé, l'école, la 5G ou encore la mobilité. Le budget de la Principauté consacré au numérique s'élève à 4% du PIB, ce qui représente une progression de 200% en un an."

Pourquoi le projet est transformateur

"Nous avons la volonté de décupler une qualité de vie déjà exceptionnelle par un cadre de vie intelligent, fluide et agréable. Ce projet permet d'offrir un nouveau cycle de prospérité économique à tous les Monégasques et les résidents."

Pourquoi le projet est accélérateur

"Il permet de générer une croissance pérenne et équilibrée à Monaco par un accroissement de la valeur ajoutée sur un territoire défini. Nous souhaitons devenir un pays en mesure d'accueillir sur son territoire des projets innovants et soutenir les entreprises de demain en toute sécurité."