Les profondes transformations liées à la transition écologique tardent à se produire, néanmoins les acteurs financiers pourraient y gagner à se montrer pro-actifs à leurs sujets.
Samedi 12 Décembre 2015, après deux semaines d’intenses négociations et une dernière journée
marathon, l’accord de Paris, premier accord universel sur le réchauffement climatique est adopté
par 195 pays. Laurent Fabius, président de la COP21 et Ministre des Affaires étrangères lors de cet
événement, qualifiait dans Le Monde cet accord de "différencié, juste, durable, dynamique,
équilibré et juridiquement contraignant". A l’approche de la 3e
année après son entrée en vigueur,
où en est la France de ses engagements pris ?
D’après le Haut Conseil pour le climat, pas assez loin. Ils affirment dans leur premier rapport publié en juin dernier que "les objectifs que la France s’est fixés (…) sont ambitieux, mais loin d’être
réalisés". L’organisme indépendant créé par Emmanuel Macron observe que "la réduction réelle
des gaz à effet de serre (GES), de 1,1% par an en moyenne pour la période récente, est quasiment
deux fois trop lente par rapport au rythme nécessaire pour la réalisation des objectifs". Etant donné
le rôle central du secteur bancaire dans l’économie, l’atteinte de ces objectifs devra passer par une
transformation profonde des institutions financières. Entre risques et opportunités, voici quelques
tendances à intégrer pour faire face à ces nouveaux enjeux.
De nouveaux risques à prendre en considération
Alors que François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France appelait les banques centrales à "émettre le bon signal et donner l’exemple dans leurs politiques d’investissements" lors
de son discours sur le risque climatique prononcé en avril dernier. La nécessité d’intégrer de
nouveaux risques liés au changement climatique dans le suivi de la stabilité financière ne semble
désormais plus faire de doute. L’agence de notation de crédit Scope Insight indique qu’au-delà du
risque physique, mesurant l’impact du changement climatique sur les personnes et les biens, les
risques les plus importants en termes financiers sont ceux de transitions et de responsabilité. Les risques de transitions couvrent la capacité des banques à s’adapter à un profond changement de
mode de consommation vers des biens et des services non dépendants des énergies fossiles. Que
ces changements soient motivés par une prise de conscience des consommateurs ou bien causés par
une politique de taxation des activités les plus polluantes, ils affecteront en profondeur les modèles
d’entreprises ; notamment au niveau de l’importance croissante que prendront les normes
d’analyses extra-financières intégrant le critère "climat".
Les risques de responsabilités quant à eux
englobent les potentiels dommages et intérêts que les entreprises pourraient être amenées à payer
si elles étaient jugées responsables du dérèglement climatique. Par exemple Bayer fait face à plus de
18 000 procédures de plaignants visant à faire reconnaître la responsabilité du géant de l’agrochimie
face à leurs préjudices. L’une de ces procédures l’opposant à un jardinier malade d’un cancer en
phase terminale avait même entraîné une condamnation à verser 289 millions de dollars à la
victime, une somme ensuite réduite par une juge à 78,5 millions de dollars.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) alerte les banques dans son analyse
publiée en avril dernier nommée Le changement climatique : quels risques pour les banques et les
assurances ? Ses auteurs préviennent : "le nombre de recours est pourtant en hausse au niveau
international et l’on ne peut qu’encourager les établissements à s’emparer du sujet". L’ACPR évoque
ici clairement les initiatives telles que la pétition "L’Affaire du siècle" qui a recueilli plus de deux
millions de signatures pour dénoncer "l’inaction climatique" du gouvernement français ou encore
l’ONG Urgenda qui a lancé une action en justice contre les Pays-Bas. Ces actions visent aujourd’hui
principalement les états, cependant la crise de confiance se propage également sur les acteurs
bancaires.
Une confiance à reconquérir
"On va rentrer dans le vif du sujet : pour faire simple, on va bloquer le siège de la BNP". Cette
phrase lancée par l’animatrice d’une des formations à la désobéissance civile proposées par
Extinction Rebellion est loin d’être anodine. C’est un exemple illustrant la cristallisation des
accusations, notamment climatique, dont font l’objet les banques. La revendication principale
affichée lors du blocage du hall du siège social de la Société Générale en mars dernier était très
claire : non aux
investissements dans les énergies fossiles. La multiplication des actions ciblant les
banques sont révélatrices de par leur portée symbolique d’un sentiment de défiance croissant.
Une enquête de la Banque de France effectuée début 2019 souligne que "les répondants sont
plutôt méfiants à l’égard des institutions financières" avec un niveau de confiance mitigé vis-à-vis de
leur banque principale : 45% s’estiment plutôt confiants et 18% très confiants soit 63% au total. Et ce
chiffre tombe à 57% seulement chez les 25-44 ans. Chez les
business model, le constat s’aggrave encore
comme le montre une enquête effectuée en 2017 aux Etats-Unis. A la question "faites-vous
confiance aux banques pour être justes et honnêtes ?", seuls 28% des 30 000 personnes interrogées
étaient d’accords. La confiance étant au cœur de la relation bancaire et même du système bancaire,
les banques se doivent d’agir et de montrer qu’elles sont à l’écoute des nouvelles préoccupations de
leurs clients.
Intégrer les nouvelles préoccupations et valeurs du marché
D’après un sondage Ipsos-Sopra Steria de septembre 2019, la protection de l’environnement est
désormais la première préoccupation des français. Plus de la moitié des sondés (51%) estiment
même la nécessité de "prendre des mesures pour faire face à l’urgence environnementale, même
avec des sacrifices financiers". Ce qui peut laisser entendre qu’il existe une réelle opportunité en
terme d’attrait commercial pour une banque profondément "ecology centric". Mais ce qui peut
aussi être perçu comme une menace pour les banques n’intégrant pas ces nouvelles valeurs, étant
donné qu’il est devenu plus facile de changer de banque depuis la loi Macron sur la mobilité
bancaire de 2017.
Au-delà d’éventuels clients, une banque intégrant en profondeur les nouveaux enjeux écologiques
dans son business model pourrait permettre d’attirer des talents qui recherchent des emplois ayant
du sens. PwC a mis en avant dans son étude Workforce of the Future que 88% des millennials
souhaitent travailler dans une entreprise dont les valeurs sont en accord avec les leurs. Sachant que
d’ici 2025 ils représenteront les trois quarts du marché de l’emploi, les banques ont alors tout
intérêt à tenir compte de leurs souhaits. De surcroît, l’expérience des projets à dimension
écologique a démontré d’autres effets bénéfiques. Que ce soit pour le bien-être des collaborateurs
mais aussi sur leur productivité.
Une étude américaine publiée en 2013 indiquait que 40% des sondés souffraient de brown-out,
une démotivation professionnelle liée à l’absence de sens dans leur emploi. De son coté, Nicolas
Garnaud, chef de produits crédits chez Boursorama Banque et à l’initiative des offres de prêts
écoresponsables nous confiait que ces offres innovantes ont suscité une ferveur qui lui a permis de
réaliser plus rapidement ce projet grâce à une plus grande mobilisation des parties prenantes tout
en créant satisfaction et fierté pour l’ensemble des collaborateurs. Cette ferveur a pu être constaté
pendant le développement de l’offre mais également de manière plus pérenne sur d’autres projets.
Reste que le rapport du Haut Conseil pour le climat étant un rapport sollicité par le gouvernement,
ce même gouvernement devra y répondre d’ici la fin de l’année devant le Sénat et l’Assemblée
nationale. Et si la trajectoire dessinée n’est pas plus alignée avec les ambitions de cette nuit d’hiver
de 2015, les banques n’auront plus qu’à prendre les devants pour dynamiser la transition écologique
afin de "make our planet great again".