Firmin Zocchetto (PayFit) "Le marché européen est si vaste que nous ne ressentons pas le besoin d'aller aux Etats-Unis"

Créé en 2015, Payfit pourrait être la prochaine licorne fintech française. Son cofondateur revient sur la genèse du prestataire RH en mode Saas et livre ses ambitions.

JDN. PayFit s'est lancé en 2015 avec l'objectif de simplifier et d'automatiser les tâches liées à la paie. En quoi votre approche a-t-elle été différente des services concurrents ?

Firmin Zocchetto est le cofondateur et CEO de PayFit. © Payfit

Firmin Zocchetto. Lorsque Florian Fournier, Ghislain de Fontenay et moi-même avons fondé Payfit, notre objectif était de simplifier la vie des PME européennes en leur permettant d'éditer facilement des bulletins de paie en ligne. Le droit du travail en France est très complexe et la gestion des bulletins de paie est souvent un cauchemar pour beaucoup d'entreprises. Afin de résoudre ce problème, nous avons créé un langage de programmation dédié à la paie, baptisé Jetlang, qui prend en compte toutes les complexités du droit du travail. Payfit compte désormais 400 collaborateurs contre dix il y a à peine trois ans. D'ici deux ans, nous devrions être 1 000. L'entreprise a levé un total de 90 millions d'euros auprès d'investisseurs européens, dont 70 millions en juin dernier.

Vous aviez seulement 22 ans lorsque vous avez créé Payfit. Le fait de ne pas avoir d'expérience dans le secteur de la paie a-t-il été un atout ?

Cela a clairement été un avantage dans la mesure où notre objectif était de mettre entre les mains de nos clients un produit simple à utiliser malgré la complexité du droit du travail français. Il est très difficile d'accomplir cela avec un regard d'expert car vous aurez tendance à créer un produit comme ceux que vous avez l'habitude d'utiliser. De notre côté, nous sommes arrivés sur ce marché avec un regard de novice.

Nous nous sommes simplement demandés : quel produit un entrepreneur avec une quinzaine d'employés aimerait utiliser ? Nous nous fichions de ce qui existait déjà. Pendant près d'un an et demi je me suis forcé à ne pas regarder les solutions concurrentes. L'un de nos modèles était Captain Train, une start-up qui avait réussi à créer un produit très complexe tout étant très simple d'utilisation pour ses clients.

Combien de temps a-t-il été nécessaire pour le développement de Jetlang ?

Entre la première ligne de code en janvier 2015 et notre premier client en avril 2016, il s'est écoulé près de 16 mois. Notre approche a été peu conventionnelle dans la mesure où l'on conseille souvent aux entrepreneurs d'aller parler rapidement à des clients pour trouver leur product-market fit. De notre côté, nous n'avons parlé à personne pendant près d'un an et demi. La seule fois où nous sommes allés parler à des clients, c'était pour interviewer des restaurateurs. Nous nous demandions quel secteur cibler en premier. Après cette journée d'entretiens, nous avons finalement décidé de démarrer avec les start-up, comme par exemple Heetch qui a fait partie de nos premiers clients. Nous aurions très bien pu créer des fiches de paie en deux jours sur Excel et aller parler rapidement à des clients, mais cela n'aurait pas eu le même impact. Notre choix de développer Jetlang fait encore notre force aujourd'hui.

Quelles sont les fonctionnalités de PayFit ?

Nous proposons trois offres aux entreprises. La première permet de gérer très simplement la paie de ses collaborateurs pour 15 euros par mois et par employé. Nos "Jetlang Masters" sont chargés de paramétrer le système pour le compte de nos clients afin de leur fournir une solution clé en main. Outre la gestion des bulletins de paie et des déclarations sociales, nous proposons également la gestion des congés payés, le suivi du temps de travail et des notes de frais. Un collaborateur peut ainsi faire sa demande de congés directement auprès de son manager via PayFit. Idem pour les notes de frais : une fois le justificatif envoyé, les frais en question sont automatiquement remboursés avec le salaire. Enfin, PayFit assure également le processus d'onboarding des nouveaux collaborateurs, permettant par exemple aux entreprises de collecter facilement certains documents administratifs et autres informations.

Quel est le profil de vos clients ?

Nos clients sont des entreprises de 1 à 1 000 salariés de tous secteurs : un restaurant, une boulangerie, une start-up, etc. Nous comptons désormais plus de 4 000 entreprises clientes dont 500 à l'étranger. Je peux par exemple vous citer Revolut en Grande Bretagne ou encore Big Mamma en France. Il nous reste encore des millions de PME à conquérir !

PayFit s'est depuis développée en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne. Où en êtes-vous dans votre expansion européenne ?

Nous connaissons une croissance rapide dans les quatre pays où nous sommes présents, et ce n'est qu'un début. Pour nous développer à l'international, nous appliquons globalement les mêmes recettes qu'en France, avec quelques adaptations. Nous bénéficions également d'un effet de bouche-à-oreille venu de France. Nous travaillons actuellement au développement de notre produit en Italie. Notre méthode est de faire venir des collaborateurs locaux dans nos bureaux français puis nous ouvrons un bureau sur place lorsque nous avons au moins 50 clients. Le délai nécessaire pour adapter notre plateforme dépend des spécificités juridiques du pays en question.

Gardez-vous un œil sur le marché américain ?

Le marché européen est tellement vaste que nous ne ressentons pas le besoin d'aller en Asie ou aux Etats-Unis à court terme. Nous préférons donc concentrer nos efforts en Europe pour le moment et nous verrons par la suite.

L'entreprise est-elle rentable ?

Ce n'est pas notre objectif pour le moment. Nous sommes dans une phase de conquête de nouveaux marchés et nous préférons investir dans notre croissance. Nous verrons ce que nous ferons ces prochaines années pour mettre en place une rentabilité qui nous permettra de continuer à croître de manière saine.

Cette digitalisation de la gestion des ressources humaines va-t-elle conduire à une réduction des équipes RH dans les entreprises ?

Chez PayFit, nous utilisons bien sûr notre solution. Et notre équipe RH est cinq fois plus importante que celles de beaucoup d'entreprises non-digitalisées. Une plateforme comme PayFit permet aux RH de concentrer leurs efforts là où elles apportent de la valeur ajoutée. Les équipes RH sont avant tout là pour recruter, s'assurer du bien-être des collaborateurs dans leur travail, s'occuper des plans de carrière et de la formation, définir le processus d'onboarding, etc. Nos équipes RH sont ainsi plus nombreuses et plus efficaces. Nous voyons plutôt cette digitalisation comme une évolution.

Comment voyez-vous PayFit évoluer au cours de ces cinq prochaines années ?

Dans cinq ans, nous serons sans doute plusieurs milliers de PayFiters. Nous espérons bâtir une entreprise où il fait bon travailler et devenir un modèle de société avec une croissance saine. Notre porte d'entrée dans les entreprises s'est faite par la gestion de la paie mais il y a plein d'autres choses que nous pourrions proposer, comme dans le domaine du recrutement et des entretiens annuels. Nous espérons avoir un impact sur des millions de personnes.

Firmin Zocchetto est le cofondateur et PDG de PayFit, un service SaaS de gestion de paie automatisé et un outil de gestion des RH  Après une classe préparatoire au lycée Sainte Geneviève à Versailles, Firmin Zocchetto intègre l'ESCP. Il met un terme à ses études pour fonder Payfit avec Florian Fournier (CPO de PayFit) rencontré sur les bancs de l'ESCP et Ghislain de Fontenay (CTO de PayFit).