Quelles perspectives pour la fintech et l’insurtech en 2020 ?

Michele Foradori, chargé d’investissement au sein du fonds spécialisé BlackFin Tech, revient sur les prévisions qu’il avait faites pour 2019 et partage sa vision des tendances à suivre en 2020.

En 2019, pour la première fois, nous nous étions risqués au jeu des prédictions. Un an est passé et il est maintenant possible de vérifier, en toute humilité, à quel point nous avons eu raison… ou tort. Car personne n’a de boule de cristal : c’est ce qui rend le travail d’un investisseur si passionnant. Les surprises et les erreurs d’appréciation font partie intégrante de notre quotidien.

Pour résumer, je dirais que nous avons eu raison à 50% : 

1. Les néobanques européennes partent à la conquête du monde
(25% réalisé)  

La volonté des néobanques européennes de sortir des frontières du continent ne s’est pas démentie. Mais cela leur prend plus de temps que prévu. Ainsi, la conquête des Etats-Unis par N26 s'avère être plus complexe qu’anticipé, tandis que Revolut s’est d’abord renforcé sur ses marchés domestiques, tout en préparant un nouveau méga-tour de table destiné à financer correctement son lancement officiel aux États-Unis, au Canada, à Singapour et au Japon. Mais en attendant, la multiplication des acteurs locaux dans les différents marchés complexifie la tâche des néobanques européennes qui souhaitent s’y implanter...

2. La DSP2 se concrétise enfin
 (25% réalisé)  

La directive européenne est bien entrée en application, mais seul le Royaume-Uni a véritablement pris le virage de l’open-banking. L’Europe continentale est encore à la traîne sur ce sujet. Certes, nous avons eu raison sur les sujets de la consolidation des fournisseurs d’API et de la multiplication des services s’appuyant sur les nouveaux standards mis en place par la DSP2, mais, là encore, nous avons surestimé le temps nécessaire pour en voir les effets concrets à travers tout le continent.

3. Un essor de l’identification et de la détection de fraude
(100% réalisé)  

Il y a un an, nous expliquions que la combinaison de la DSP2 et du RGPD (aux côtés d’autres textes réglementaires) allait accroître les besoins pour des solutions destinées à protéger les données des citoyens et à réduire les risques pour les fournisseurs de services financiers. C’est confirmé : 2019 a été marqué par un boom des solutions de KYC (comme Onfido ou Yoti, par exemple), d'anonymisation des données (Privitar) ou de détection de fraude (Featurespace ou Guardsquare).

4. Vers une (r)évolution proptech 

(60% réalisé)  

Nous avions bien anticipé le développement des start-up proposant du courtage en crédit (Trussle, Pretto, Molo Finance), l’émergence des modèles d’ibuying (Nested, Casavo) ou encore l’arrivée de solutions alternatives de cautionnement pour les locataires (Flatfair). Par contre, nous avons été un peu trop enthousiastes à propos des nouvelles formes de crédit immobilier (Virgil, Unmortgage) et des plateformes d’automatisation de la gestion locative (Rentify, Goodlord, Bellman).

5. Les autres tendances à suivre en 2019 
(50% réalisé) 
  • Les nouveaux modèles dans le crédit à la consommation, reposant sur des modèles d’abonnement – Peut-être avons-nous été un peu trop enthousiastes, pour l’instant, mais des modèles comme Viabill restent intéressants à suivre.
  • La montée en puissance de produits et services de retraite alternatifs - Bien vu ! Cf. Epsor ou Abaka.
  • Les nouveaux modèles d’assurance et de gestion des risques, en particulier avec l’assurance paramétrique - mis à part Descartes Underwriting, cette thématique ne s’est pas vraiment développée en Europe, à l’inverse des Etats-Unis où ce marché est très dynamique...

Plus largement, 2019 a vu le nombre de tours de table en amorçage se réduire pour les fintech, au profit d’investissements conséquents dans des entreprises plus matures. Les méga-deals se multiplient ainsi, parfois à des valorisations totalement déraisonnables. En 2019, nous avons relevé 20 tours de table dans la fintech en Europe supérieurs à 100 millions de dollars (11 en Grande-Bretagne, 5 en Allemagne, 2 en Suède, aucun en France).


Sur les quelques 500 levées de fonds fintech, insurtech et regtech que nous avons relevé en 2019 en Europe (soit plus de 7 milliards d’euros investis), le secteur de la banktech est largement sur-représenté, suivi par les solutions de paiement et les regtech.



Qu’en sera-t-il en 2020 ? Voici les sujets qui nous semblent intéressants à suivre cette année.

  1. Le crédit n’a pas dit son dernier mot, au contraire

Aux prémices de la fintech, le crédit a été l’un des tous premiers sujets à avoir attiré les start-up (Funding Circle ou Lending Club par exemple). Aujourd’hui, il demeure l’un des segments les plus lucratifs des services financiers - d’où un intérêt qui ne se dément pas, que ce soit dans le domaine du crédit aux particuliers ou à destination des professionnels.

Dans ce domaine, les innovations des cinq dernières années se concentrent aussi bien sur le produit que la distribution. Nous pensons que 2020 va être marqué par une accélération, notamment avec des produits à faible risque, qui s’intègrent totalement dans les habitudes des consommateurs. Les sociétés de crédit à la consommation qui s’insèrent dans les processus transactionnels, comme Alma en France, ScalaPay en Italy ou Viabill au Danemark, nous paraissent intéressantes à suivre.

En outre, nous pensons que des solutions alternatives de crédit vont se multiplier, pour répondre aux besoins nouveaux générés par la nouvelle économie et les nouveaux modèles d’affaires (gig economy, on-demand, modèles SaaS, e-commerce…). Par exemple, les États-Unis sont en avance sur les solutions de financement s’appuyant sur les revenus futurs (le prêt est remboursé avec les bénéfices de l’entreprise). Dans la foulée du succès de Clearbanc, nous devrions voir prochainement débarquer en Europe, probablement depuis Londres, Berlin ou Paris, de telles solutions.

Enfin, nous devrions assister à la multiplication des plateformes permettant aux employés et travailleurs indépendants de recevoir les revenus de leur travail par anticipation. Ce type de service est déjà proposé par plusieurs banques à travers le monde, mais les fintech s’y intéressent désormais de près, en apportant une dimension technologique qui manque encore aux acteurs traditionnels. Cela se traduit par une meilleure connexion entre les logiciels RH et financiers, davantage de flexibilité (pour les employés et leurs employeurs), une redéfinition de l’expérience utilisateur et de nouveaux modèles de services…

 2. Le directeur financier est l’objet de toutes les attentions

Dans les PME/ETI, beaucoup de tâches financières sont encore faites à la main, du suivi des transactions à l’établissement des prévisions, en passant par la chasse aux factures impayées. Il en va de même pour les grandes entreprises, mais d’une autre manière : les logiciels existent, mais les processus et les modes de travail sont encore peu digitalisés.

Pour ces deux raisons, nous considérons que 2020 (et les années qui suivront) sera l’année des services ciblant les directeurs financiers, dans le but d’automatiser les tâches à faible valeur ajoutée et de faciliter l’accès à l’information.

Cette vague d’innovation va concerner aussi bien la base (les PME/ETI) que le sommet de la pyramide (les groupes du CAC 40). Un premier mouvement a déjà touché la gestion des notes de frais (Pleo, Spendesk) et les offres bancaires pour les PME (Qonto, Tide). Plus récemment, le segment des PME a connu un regain d’intérêt de la part des logiciels de gestion de trésorerie (comme Agicap en France ou Futrli en Grande-Bretagne), des solutions de recouvrement et de gestion des factures impayées (Dunforce en France ou Likvido au Danemark par exemple) ou des outils de conformité (comme Xelix en Grande-Bretagne).

Évidemment, le marché des grands groupes est bien plus complexe pour les start-up de la fintech. Les processus de vente sont plus longs et les grands éditeurs de solutions verrouillent le marché. Néanmoins, des opportunités demeurent : des exemples prometteurs existent dans la gestion des flux de trésorerie (AccessPay en Grande-Bretagne), la prévision financière (Cashforce en Belgium) ou la conversion de devises (Just Technologies en Norvège).

D’autres sujets un peu plus éloignés de la fonction de directeur financier commencent à intéresser les entrepreneurs, tels que la gestion avancée de la paie et des achats. 2020 pourrait se révéler une année riche en innovation dans ces domaines.

 3. De nouveaux terrains d’innovation émergent pour les acteurs établis

Cela ne fait aucun doute : les acteurs traditionnels des services financiers ne vont pas baisser les bras et laisser le champ de l’innovation aux start-up. Au contraire, ils semblent être de plus en plus ouverts à des associations avec des start-up BtoB opérant dans la fintech et l’insurtech, que ce soit pour améliorer leurs processus internes, ajouter des fonctionnalités à leurs produits et services, exploiter davantage leurs données ou améliorer leurs back-offices.

Nous pensons que 2020 sera marqué par la croissance du segment du BtoB, ouvrant de nouvelles perspectives d’innovation. Deux sujets nous semblent particulièrement porteurs pour les douze prochains mois : les solutions dédiées au respect de la vie privée et celles dédiées à la gestion des documents.

Étant donnée la nature sensible des données traitées par les acteurs des services financiers et les contraintes réglementaires supplémentaires qui les concernent, la question du respect de la vie privée n’est pas une préoccupation nouvelle. Ces contraintes expliquent les difficultés que peuvent avoir des acteurs établis à collaborer avec de nouveaux fournisseurs de services, comme les fintech et les assurtech : mettre en place des environnements de tests sécurisés et respectueux de l’anonymat des données clients représente des coûts et des délais supplémentaires. Mais des entreprises comme Privitar ouvrent la voie : elles montrent qu’il est possible de mieux exploiter les données "dormantes".

L’extraction de données à partir de documents, tout comme leur récupération est un autre point d’amélioration pour un secteur soumis à des règles strictes de conformité, qui produit chaque année des millions de pages de documents, stockés physiquement ou au sein de systèmes d’information vieillissants. Des start-up comme Eigen Technologies ou Omni:us proposent des solutions convaincantes à ces problèmes. Le développement des solutions utilisant le machine learning permet d’ouvrir de nouvelles pistes pour accélérer la digitalisation des services financiers (voir par exemple reciTAL ou Evolution.ai).

 4. Les autres tendances à suivre en 2020

Il y a de nombreux autres sujets sur lesquels nous allons nous pencher cette année… en voici quelques-uns :

  • L’intérêt croissant des plateformes (Uber, Deliveroo...) pour la fintech, afin d’élargir leurs sources de revenus, tout en offrant des expériences sans couture à leurs clients. C’est une bonne nouvelle pour les fournisseurs d’API et les plateformes de paiement et de services bancaires, comme Wirecard, Marqeta, Adyen ou Stripe…
  • La volonté des fournisseurs d’assurances en ligne et des MGA de prendre le virage du full-stack afin de capter davantage de valeur et de se libérer des partenariats contraignants noués avec les courtiers.
  • Le développement de services ciblant des niches jusqu’ici négligées, à la fois dans l’insurtech et la fintech. Ce mouvement s’observe dans la banque, avec des services pour les enfants comme Kard, GoHenry ou gimi, ou pour les plus âgés (Kindur, Clover Health), dans le private banking ou dans l’assurance pour les PME/ETI (Coverflex and SingularCover).
 

À suivre donc, et rendez-vous début 2021 pour un bilan !