Néobanques pour pro : de l'urgence de proposer du crédit

Néobanques pour pro : de l'urgence de proposer du crédit Les néobanques BtoB ne peuvent pas toutes octroyer de prêts garantis par l'Etat à leurs entreprises clientes. Les Qonto, Shine & co cherchent donc des solutions.

Chercher un financement. C'est aujourd'hui une des priorités des petites et moyennes entreprises. Avec le Prêt garanti par l'Etat (PGE), qui s'élève au total à 300 milliards d'euros, les sociétés de toutes tailles peuvent demander des crédits à leur banque. Enfin, presque toutes. Les clientes des néobanques pour professionnels n'ont pas forcément ce privilège. Les néobanques BtoB ne possèdent pas d'agrément d'établissement de crédit (elles sont seulement établissement de paiement) et ne peuvent donc pas octroyer de prêts. Leurs clients multibancarisés peuvent s'adresser à leur banque traditionnelle pour obtenir un prêt mais celles qui ont fait de ces néobanques leur compte principal se retrouvent sans solution de crédit.

"Si jamais, les clients de Shine sont éligibles à un crédit chez Mansa, nous les prévenons"

"C'est dommage de ne pas avoir une solution pour eux. Nos clients étaient tout à fait conscients que nous n'étions qu'établissement de paiement et en temps normal ils n'auraient pas eu besoin ou voulu de crédit. Là, ils se retrouvent bloqués, victime de la soudaineté de la crise", regrette Alexandre Prot, CEO de Qonto, qui estime que 50% de ses 75 000 clients ont seulement un compte chez elle. Shine ne communique pas d'estimation mais assure que nombre de ses clients ont aujourd'hui besoin de financement. Chez le franco-belge Anytime, tous les clients sont multibancarisés mais "nous avons tout de même beaucoup de demandes de clients pour les prêts garantis par l'Etat", indique Damien Dupouy, son CEO. Car même si une entreprise sollicite sa banque traditionnelle pour un crédit, il n'est pas dit qu'elle en obtiendra un.

Seule Manager.one peut à ce jour proposer du crédit à ses clients, car elle est adossée à la banque privée familiale Wormser Frères, qui examine les dossiers et octroie les prêts. Mais la fintech assure qu'elle n'a reçu qu'une dizaine de demandes de financement à ce jour pour la simple raison que ses clients sont plutôt de grosses PME ou ETI, donc des structures ayant de la trésorerie. "Les dossiers vont être étudiés avec des conditions plus favorables que d'habitude. Mais on ne peut pas non plus financer une entreprise en faillite. Même si  il y a la garantie de l'Etat, il y a toujours 10% de risque", note Adrien Touati, CEO de Manager.one.

L'incontournable Bpifrance

Pour les autres, il devient urgent d'aider leurs clients à se financer. Shine, qui compte 50 000 clients indépendants et TPE, a lancé avec Mansa, plateforme de prêts pour indépendants, un site co-brandé. "Si jamais, nos clients sont éligibles à un crédit chez Mansa, nous les prévenons", résume Nicolas Reboud, CEO de Shine. Créé fin 2019, Mansa permet aux indépendants de contracter des crédits allant de 1 000 à 10 000 euros avec des taux allant de 2 à 5%. "Nous avions commencé des discussions avec Shine avant la crise mais ce n'était pas prioritaire des deux côtés. Avec la crise, nous avons tout accéléré", raconte Ali Rami, CEO de Mansa, qui assure que ce partenariat "marche déjà bien". Shine prévient également ses clients quand ils sont éligibles aux aides de Bpifrance et a développé un simulateur qui détermine si un indépendant ou une TPE peut demander l'aide du fonds de solidarité débloqué fin mars par le gouvernement.  

Shine travaille actuellement avec Bpifrance pour trouver des solutions de crédit mais rien n'est encore officiel pour le moment. Qonto s'est aussi tournée vers la banque publique d'investissement. "Nous cherchons à voir comment Bpifrance pourrait faire des prêts en direct aux clients des néobanques qui n'ont pas de compte dans une banque traditionnelle", précise Alexandre Prot.  

"On ne va malheureusement pas pouvoir avancer la deadline d'obtention de l'agrément d'établissement de crédit"

La néobanque a également contacté l'ACPR pour proposer elle-même du crédit. Un établissement de paiement peut délivrer des services de crédit associés à du paiement, ce qui permet de prêter pour une durée de moins de douze mois. "On voulait donc le lancer. Mais même si on l'avait mis en place assez vite, cela aurait pris entre 4 et 6 semaines. Et ces crédits ne feraient pas partie du PGE. Dans un marché où tous les crédits émis sont garantis par l'Etat, nous lancer avec des crédits pas garantis aurait créé une distorsion de concurrence. En plus, cela aurait limité le montant total du prêt étant donné que c'est risqué à 100%", fait remarquer Alexandre Prot. L'autre piste un temps envisagée par Qonto consistait à accélérer l'obtention de son agrément d'établissement de crédit, dont les démarches ont été lancées fin 2019 pour avoir le feu vert des régulateurs d'ici fin 2020 et octroyer ses premiers crédits début 2021. "On ne va malheureusement pas pouvoir avancer cette deadline. C'est déjà un calendrier ambitieux", lâche Alexandre Prot. Rien d'étonnant puisque le crédit est un produit très complexe et très réglementé.

Aucune piste de partenariat avec un acteur spécialisé n'est envisagée du côté de Qonto. "Nous n'avons pas trouvé d'acteur parfait pour répondre aux besoins de nos clients qui sont à la fois des petites et moyennes entreprises", justifie le dirigeant. En attendant d'avoir une solution, la start-up renvoie ses clients vers des solutions de financements alternatives comme l'affacturage.

Anytime devait quant à elle lancer une offre de crédit début 2020 avec un acteur bancaire traditionnel. Mais le projet a été mis en pause. "Le gros problème du crédit est qu'il doit se baser sur des statistiques. Or, les cartes sont brouillées, les prises de risque sont trop importantes. Nous sortirons l'offre post-Covid-19, quand l'activité économique aura repris", indique Damien Dupouy.

Pas de crédit, moins de clients ?

L'absence de solution de crédit pendant cette crise pourrait pénaliser les néobanques BtoB à moyen terme. "Les néobanques ont un churn important. Leurs clients vont devenir plus fidèles à des banques traditionnelles. Certains sont déçus d'avoir quittés leur banque où ils avaient un crédit pour aller chez une néobanque", souligne un expert du secteur. "Comme les particuliers, les professionnels ont plusieurs comptes bancaires. La vraie question est de devenir banque principale. Si vous perdez cet espoir, ce sera plus complexe pour vous à l'avenir", ajoute-t-il.

Du côté des néobanques, la sonnette d'alarme n'a pas été tirée. "Nos clients nous utilisent comme compte principal pour le quotidien et leur banque secondaire pour les prêts et opérations structurantes, c'est complémentaire. Je ne suis pas sûr qu'on perde fatalement des clients. Ma crainte réside d'abord dans la reprise globale de l'activité économique", confie Damien Dupouy. "Contrairement aux banques traditionnelles, nous aidons beaucoup nos clients sur la partie administrative, encore plus pendant la crise. Même s'ils ouvrent un compte chez une banque traditionnelle, nous sommes confiants qu'ils resteront chez nous", assure le CEO de Shine. Néanmoins, "la crise actuelle montre que c'est évidemment important d'avoir un compte dans un établissement qui peut éventuellement proposer du crédit", conclut… le patron de Qonto.